Nouveauté chez La Grinta. Si les supporters sont absents des stades depuis quelques mois, leur passion reste sans faille. Alors nous avions envie de leur offrir une carte blanche pour raconter avec leurs propres mots et sans filtre ce moment, ce joueur, cette victoire ou cette déception qui symbolise le mieux leur amour pour un club. Après « Monsieur Mehdi » et la Roma, « Camelus Blaah » évoque son OM.
Dans le grand livre du dieu des supporters, mes statistiques personnelles rappelleront que le premier but vu au Vélodrome était un tir de raccroc de Ludovic Asuar. Un fait peu émouvant en soi, d’autant que la moitié du stade était amputée pour cause de travaux.
Ce ne fut que quelques minutes après ce but que l’explosion olympienne survint. Un enfant de la ville né ailleurs, Hamada Jambay, catapulta à l’instinct cette volée phénoménale qui, l’espace d’un dixième de seconde, prit tout un stade aux tripes. Pour peu qu’il soit un minimum assidu, chacun, quelle que soit sa génération, aura reçu au Vélodrome au moins l’une de ces communions d’adrénaline pure. Elle se nommait peut-être Milan pour de plus anciens, Leipzig pour les plus jeunes, elles eurent pour nom La Corogne ou Newcastle en ce qui me concerne.
Malgré tout, en faisant le tri des souvenirs, c’est aussi le stade du quotidien qui revient en tête, ces matchs anonymes, plus ou moins heureux, mais qui pour certains ont représenté une inoubliable première fois. Certains arrivants naissent à Marseille sur le parvis de la gare Saint-Charles, s’éblouissent de la ville qui bourdonne à leurs pieds, et plongent à leur tour dans le tumulte. On naît à Marseille aussi dans les escaliers du stade. Ce carré de lumière qui se découpe en haut des marches, la rumeur sourde qui roule au-dessus du béton sombre, c’est sans doute la même dans beaucoup de villes, mais ce qui se passe en haut n’appartient qu’à la nôtre. Les lieux de baptêmes ne manquent pas pour qui vient d’ailleurs : on monte à la Bonne Mère ; on monte au sémaphore de Callelongue ; on monte au cœur des virages.
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Mon OM des premières fois raconte Marseille. Souleymane le Sénégalais. Julie la Bourguignonne. Lotfi l’Algérien. Karim le Tunisien. Faye la Chinoise. Et même Hervé le Bordelais. Tous et toutes venus d’ailleurs, tous Marseillais pour un jour ou à jamais, tous invités à assister au spectacle dont ils faisaient partie. Certains ont plongé au cœur du oai, d’autres préféraient rester sur les hauteurs, en retrait. Certains matchs étaient inoubliables, d’autres furent des moments affreux endurés sous le mistral d’hiver. En tout cas, tous ont raconté Marseille à mes amis mieux que des mots ne l’auraient fait. Bordéliques, chaleureux, malpolis, parfois injustes, mais ensemble. C’était nous.
Bien sûr, j’y emmenai ma femme dès que possible. Elle m’aime encore malgré tout. Mes filles eurent ensuite l’âge de venir à leur tour, dans les sages tribunes Ganay pour commencer. Le premier geste fut de leur monter ces tifos qui racontaient ma jeunesse et ces virages où, c’est promis, je les emmènerai à leurs dix ans.
On ne sait pas ce qui se passe dans la tête de celui qui découvre l’OM. Je me suis toujours demandé ce que pensait le géant Klas Ingesson pour son premier match. Tout juste débarqué de Suède, il nous faisait face, torse nu et silencieux comme tous ses équipiers, un après-midi de juillet où le virage pleurait Depé. C’était pourtant une belle journée pour jouer au football.
C’était une belle journée aussi, ce samedi de novembre au stade de La Martine : Quentin, mon camarade savoyard n’avait pas eu l’honneur de l’initiation au Vélodrome, le tirage au sort de la Coupe de France ayant réservé Consolat à son club de cœur. René Malleville était là aussi ; je ne lui avais jamais parlé jusqu’à ce moment, quand je lui ai annoncé que son ami le Mad Professor, notre ami Moké, Christophe, venait de rencontrer une mort absurde sous les balles des terroristes. La communion du stade, c’est aussi celle des moments tragiques, où l’on doit se resserrer pour ne pas se laisser glacer. On la ressent parfois depuis la télévision, peut-être plus encore que dans les moments d’extase. Quand le portait de Christophe s’est affiché sur les écrans géants ; dans les tifos où le peuple marseillais rendait hommage aux martyrs de Noailles ; dans les moments qui n’ont guère fait l’histoire, aussi, quand les groupes rendaient adieu à leurs camarades disparus.
Marseille se livre volontiers à celles et ceux qui n’aiment pas le football. Elle est plus réticente envers ceux qui ne comprennent pas l’OM. Le stade Vélodrome, certes, c’est crier après onze personnes qui courent après un ballon. C’est aussi partager et transmettre ; pour les uns, c’est le simple plaisir de partager du temps en famille ou entre amis. D’autres y consacrent leur vie. Pour tous, c’est une heure et demie passée à se sentir « être ensemble », ni plus ni moins, une heure et demie de caramentran où chacun, sous le costume olympien, exprime sans filtre son propre Marseille. Il y a les placides, les énervés, les joyeux, les fadas, les teigneux, les fatigués, les affamés, les touristes aussi, il en faut. De tout ce mélange naît une chose qui ne se monétise pas : l’identité. On ne rend pas l’identité invisible en l’éblouissant de leds. On ne la réduit pas au silence en renforçant les haut-parleurs. On ne la divise pas en sélectionnant son public, que ce soit par l’argent ou par la correction du langage. Vous avez le droit de ne pas aimer Marseille ; vous ne gagnerez pas son respect en refusant de la comprendre.
Super article !