Juanma Lillo a profité de l’évènement de la Coupe du monde 2022 pour se confesser à The Athletic. À travers la mondialisation d’idées et pratiques, quelques tendances du Mondial en cours, l’opportunisme chez les observateurs et l’abondance de scouting entre autres, l’ancien adjoint de Pep Guardiola à City exprime sa vision sur l’évolution du football. Traduction.
Le football est fini et maintenant, peu importe ce que c’est, je n’ose pas le nommer. Le but du jeu a été subverti, maintenant ils cherchent plus de consommateurs que de fans, l’industrie a besoin de l’argent des droits audiovisuels.
Et malgré cela, j’ai vu tous les matchs de cette Coupe du monde. Comme toujours.
Je préfère le football de sélection au football de club parce que je l’entends ainsi : les meilleurs joueurs se réunissent pour leur sélection, et les interactions entre eux sont donc plus riches. Je pourrais vous le prouver, j’ai des notes sur des milliers de matchs entre 1950 et 1990. Douze téras sont sur mon bureau en face de moi.
Les meilleurs joueurs se réunissent pour le football de sélection et, Dieu merci, ils ne sont pas piégés par la toute-puissance du manager, parce qu’il n’y a pas le temps d’entraîner.
C’est merveilleux, le fait que les managers ne peuvent pas impacter autant le jeu à une Coupe du monde à l’avantage de ceux qui comptent vraiment : les joueurs.
C’est vraiment merveilleux parce que nous, les managers, avons trop d’influence. C’est insupportable. Nous avons nos propres idées et nous disons que nous les défendons pour aider les gens à comprendre le jeu. Ce sont des conneries ! Ça devrait être aux joueurs de comprendre le jeu tel qu’ils le comprennent.
Et tout est mondialisé maintenant.
Et tout est mondialisé maintenant. À l’échelle des clubs, si vous allez à une séance d’entrainement en Norvège et une en Afrique du Sud, ce sera les mêmes. ‘Fixez à l’intérieur pour trouver des espaces à l’extérieur’, ‘passez ici, passez là’. Les bons dribbleurs sont finis, mon ami. Où pouvez-vous les trouver ? Je n’en vois plus.
Je regarde tous les championnats dans le monde. Je travaille au Qatar maintenant, j’étais en Angleterre récemment, je suis passé par le Japon, la Chine, l’Amérique du Sud… eh bien, en Amérique du Sud vous pouvez toujours trouver un joueur technique avec des qualités tirées de la rue plutôt que d’une académie.
On ne réalise même pas le désordre qu’on a fait.
Nous avons mondialisé une méthodologie à tel point qu’elle s’est glissée dans les Coupes du monde : si les joueurs du Cameroun et du Brésil changeaient de maillot à la mi-temps, vous ne vous en rendriez même pas compte. Peut-être avec les tatouages ou les cheveux jaunes, mais pas compte tenu de la performance.
Tout est ‘Dos toques’. Tout est deux touches. Parce qu’ils s’entraînent tous en deux touches, ils jouent tous en deux touches. Nous avons imposé ‘El Dostoquismo’, comme je l’appelle.
Et je dis cela en tant que grand représentant de beaucoup de ces méthodes et façons de penser! Je suis comme un père qui regrette.
S’il y avait une personne avec qui j’aimerais vraiment m’insurger maintenant, ce serait bien moi il y a 25 ans. Ne faites pas confiance à quelqu’un qui dit qu’il ne regrette rien dans la vie.
« C’est drôle maintenant, tout le monde parle de bloc haut, bloc bas… les seuls blocs que je connais sont des blocs d’appartement. Avec un garage ? Sans garage ?. »
Mais quoi qu’il en soit, de cette Coupe du monde. Je me souviens de la Tunisie-Danemark de la première semaine. C’était mon match préféré : 0-0 mais il était plein d’occasions de buts. Davantage même que la victoire 7-0 de l’Espagne contre le Costa Rica, où, en passant, ils ont si bien joué. Avec le bon tempo, les bons espaces, une exécution rapide.
L’Espagne a été malchanceuse de se retrouver face à deux équipes, le Japon et le Maroc, qui n’ont pas ressenti le besoin d’ouvrir des espaces dans leur défense pour tenter de gagner le match.
L’approche du Maroc était que lorsque l’adversaire avait le ballon à 50 mètres de son but, il agissait comme s’il était à 10 mètres. Beaucoup d’équipes l’ont fait dans cette Coupe du monde.
Le Maroc ne s’est pas placé très bas contre l’Espagne, parfois ils ont défendu 10 mètres devant leur surface. Ils n’ont laissé aucun espace à l’Espagne. Il est de plus en plus difficile de surmonter cette approche. Les équipes peuvent déplacer toute une ligne d’un côté à l’autre du terrain presque plus vite que le ballon ne peut voyager.
Il est vrai qu’il aurait pu sembler que l’Espagne avait besoin de mettre plus de balles dans la surface, essayer de provoquer des actions aléatoires et chercher le second ballon, mais alors pour cela, vous devez presser plus haut et être vraiment proche de l’adversaire. Si ce second ballon va à Hakim Ziyech ou Sofiane Boufal – quel joueur c’est, par ailleurs! – et ils dribblent en remontant le terrain, créent une contre-attaque et marquent un but, tout le monde vous critiquera aussi.
C’est drôle maintenant, tout le monde parle de bloc haut, bloc bas… les seuls blocs que je connais sont des blocs d’appartement. Avec un garage? Sans garage ?
Cette envie de trouver du vocabulaire qui rend le football plus difficile à comprendre m’énerve. Quel que soit le bloc que le Maroc avait, c’était beaucoup de joueurs travaillant ensemble, sacralisant une incroyable envie de ne pas ouvrir les espaces.
L’Espagne était si inquiète de se faire prendre en contre-attaque qu’elle ne risquait pas vraiment certaines passes à l’intérieur.
C’était le contraire avec l’Argentine quand ils ont perdu contre l’Arabie Saoudite : ils essayaient de faire la passe déséquilibrante trop tôt, et quand vous faites cela, vous êtes exposés à la contre-attaque. Contre la Pologne, l’Argentine a changé quelques joueurs mais surtout ils ont été plus patients et se sont améliorés.
Mais je n’oserais pas dire quelle équipe a été la meilleure parce qu’elles sont toutes si semblables et les joueurs sont si identiques.
C’est vrai, maintenant, qu’il n’y a plus de mauvais joueurs. Mais il n’y a plus de joueurs exceptionnels non plus. En essayant de tuer les méchants, nous avons aussi tué les bons.
Il y a quelques tendances qui ressortent de cette Coupe du monde, et pas toutes mauvaises ! Je pense que nous avons vu que les équipes, lorsqu’elles sont menées au score, ont été plus elles-mêmes. Elles ont osé faire plus de choses. Et puis quand elles ont été égalisées, soudainement elles ont fait un pas en arrière à nouveau. Cela s’est beaucoup répété.
Et une chose que nous devrions commencer à bien plus considérer : il y a eu de plus en plus de buts suite à des centres en retraits ou des passes en arrière.
Comme les équipes essaient de jouer le plus loin possible de leur propre but, lorsqu’elles franchissent la ligne défensive de l’adversaire, elles vont si vite que les joueurs du milieu passent devant celui qui a le ballon à l’extérieur. J’avais l’habitude de dire à Manchester que le dernier joueur à arriver dans la surface est le premier à pouvoir tirer. Je le dis tout le temps à mes attaquants : plus on se rapproche du but, plus on est loin du but.
Chaque équipe est si soucieuse de défendre et de contrôler les espaces proches de son but qu’il y a maintenant plus de menaces venant de plus loin.
Il faut parfois prendre du recul.
« Il y a des années, la Coupe du monde était aussi très utile pour découvrir de nouveaux footballeurs de pays inconnus. Ils avaient leurs propres caractéristiques, ils n’étaient pas des joueurs identiques comme de nos jours. »
Parlons donc de perspective. Les gens disent que c’est une excellente décision que Cristiano Ronaldo n’ai pas commencé au cours des seizièmes de finale pour le Portugal. Cela a déjà été couvert par les philosophes grecs : bien est tout ce qui finit bien. Mais jusqu’à ce qu’il se termine nous ne disons rien, juste au cas où…
C’est ce qu’on appelle l’opportunisme, c’est aussi simple que cela.
Combien des opinions que vous entendez sur le football ont été exprimées au début des matchs ? Faites attention à ce qui est dit avant un match, tant qu’il y a un certain raisonnement, bien sûr. Car après un match, tout le monde est intelligent.
Vous savez que si le Portugal avait perdu 2-0 alors, laisser Ronaldo de côté aurait été une terrible décision. ‘Comment diable donnez-vous le maillot floqué n°9 à un enfant qui est dans l’élite du football depuis quatre jours?’
Je pense parfois que les 90 minutes d’un match sont presque un inconvénient pour certaines personnes qui veulent juste louer les gagnants et critiquer les perdants.
Alors je vais vous dire des choses que je pensais avant que le tournoi débute. Je ne veux pas être un opportuniste !
Pour moi, l’Angleterre et le Portugal sont les deux équipes avec le plus grand nombre de joueurs de haut niveau dans un groupe d’âge qui leur donnera également de bonnes chances à l’avenir.
James Maddison, c’est un footballeur authentique, plus un produit de la rue qu’un produit d’une académie. Il est audacieux. Il a du culot. Un manager peut lui dire de faire A, mais s’il croit que B est la bonne option, il fera B.
J’adore cela. Toute idée qui vient dans la tête de Maddison est 100 fois meilleure que toute idée que vous trouverez à n’importe quelle conférence de coaching.
Regardez la qualité que l’Angleterre a dans l’équipe, et même certains des gars qui ont été laissés de côté !
Et puis le Portugal… le jeune défenseur central de Benfica, António Silva, ne joue même pas. Savez-vous à quel point cet enfant est bon ? Incroyable. C’en est absurde.
Le gars qui a remplacé Ronaldo, Gonçalo Ramos… Je suis plus surpris que quand Ronaldo ne joue pas, Rafa Leão ne soit pas le remplaçant.
Je suis plus comme : ‘Wow, Leão ne joue pas, est-ce que quelque chose se passe avec lui?’. Mais alors il y a Ramos, un gars qui est capable non seulement de marquer trois buts, mais chaque fois qu’il était en contact avec la balle, il a rendue l’action meilleure. Il a tout bonifié. Il était vraiment propre. Et João Cancelo, capable de prendre de meilleures décisions dans le dernier tiers que la plupart des attaquants.
Il est difficile pour moi de mettre en avant plus de nouveaux joueurs – essentiellement parce que je les connaissais déjà. Et je ne fais pas ça pour me gonfler, mais parce qu’il y a tellement de scouting et tellement d’analyses que plus un seul joueur nous semble nouveau dorénavant.
Vous regardez Sofyan Amrabat contre l’Espagne – je le connaissais déjà. Je ne l’avais pas vu faire une performance aussi complète que lundi, mais je sais comment il est en tant que joueur.
Il y a des années, la Coupe du monde était aussi très utile pour découvrir de nouveaux footballeurs de pays inconnus. Ils avaient leurs propres caractéristiques, ils n’étaient pas des joueurs identiques comme de nos jours.
Ce scouting, c’est comme cueillir des champignons dans la forêt, comme nous le faisons en Espagne. Si vous allez dans la forêt après 7 heures vous verrez que tous les arbres sont épuisés, les gens ont déjà été et pris tous les bons champignons. Avec les footballeurs, c’est la même chose. Tout le monde est allé les voir. Il est difficile de trouver un champignon que quelqu’un n’a pas déjà cueilli.
Vous vous demandez comment on fait revenir le football à ce qu’il était ? Oubliez ça. Le type de personne qui joue au football est différent maintenant, mais cela arrive dans tous les domaines : musique, art, peu importe…
Nous sommes formés par la culture qui nous entoure et les nouvelles générations s’habitueront à la VAR comme une chose naturelle. Ne me faites pas commencer sur ce point. Ni sur les statistiques.
Vous et le contexte dans lequel vous vous trouvez, c’est la même chose. Prenez le cactus, par exemple. Il y a des années, un cactus n’avait pas d’épines. Nous nous adaptons à l’environnement, le contexte est vivant et change. Et donc, au fil du temps, le cactus a fait pousser ses épines. C’est ce que nous avons maintenant.