Un River Plate-Boca Juniors à plusieurs centaines de kilomètres de la France, qui plus est pour une finale de Copa Libertadores, il n’en fallait pas plus pour prendre un billet d’avion et vous faire vivre ce match si particulier. Malgré l’absurdité de cette finale disputée en dehors du sol sud-américain.
« Vous allez voir le Superclasico ? Moi, je suis supporter de l’Atléti, j’ai fait une finale de Ligue des champions et une finale d’Europa League au stade. Il ne me manque plus que celle là et en plus ma femme est argentine, supportrice de Boca. »
6 h 30, ce samedi 08 décembre au matin à l’aéroport et le ton est donné. Une jeune femme nous interpelle également : « Je suis ici pour le travail mais je rentre à Buenos Aires en passant par Madrid. J’ai pris mes billets il y a bien longtemps si j’avais su je serais resté à Madrid. Mais la vérité c’est que je suis de Varela (banlieue sud de Buenos Aires) et dans mon quartier on est tous pour Independiente. Je veux que Boca gagne, comme ça on joue la Libertadores l’année prochaine. »
À notre arrivée à Madrid, les maillots de Boca sont omniprésents au moment de récupérer les valises. On suppose qu’un vol de Buenos Aires est arrivé à la même heure. Juste le temps de prendre un petit déjeuner avec un ami supporter xeneize sur place et nous voilà en plein centre-ville de Madrid à la Puerta Del Sol. Nous décidons de prendre la température et remarquons des maillots de Boca et River un peu partout autour de nous. Direction l’auberge à deux pas de la station de métro du même nom, un petit établissement bon marché d’environ huit chambres. Là encore, six chambres sont réservées par la peña de Boca à New York !
Banderazo, Tevez et cumbia
Après avoir flâné et descendu quelques bières dans la capitale espagnole, le moment est venu de s’informer des différents événements organisés par les deux hinchadas. Midi, banderazo des supporters de Boca devant l’hôtel des joueurs, il est déjà trop tard pour nous. On décide donc de s’intéresser au banderazo prévu par les Millonarios sur la Puerta Del Sol à 17 heures. Un bon quart d’heure avant l’heure prévue, la place est déjà désertée par les supporters de Boca et la police a déjà coupé les routes la longeant. Les supporters de River commencent à s’amasser et à chanter au rythme des bombos. Le sapin de Noel traditionnel de la place est envahi par les différentes bâches de River. On peut identifier les forces riverplatense en présence : Concepcion-Tucuman, Mendoza, Los Angeles, Miami, Toronto, Connecticut, New York, Ibiza, Cordoba, Malaga, Sydney, Dublin ou encore Munich. Le gros des animations est assuré par les filiales de River à Barcelone, Valence et Madrid. On retrouve également Bader, de la filiale de River en France arrivé de Bâle le matin-même.
Pendant plus d’une heure au banderazo, la plupart du répertoire des millonarios est repris par les supporters présents dont le chant à la mode : « al cobarde de tevez lo mandaste a la tele, a pedir por favor que el partido no se juegue, estan todos cagados estan muertos de mieda, saben que si se juega, los cojemos de nuevo ». Traduction : « À ce lâche de Tevez, tu l’as envoyé devant les caméras, en suppliant pour que le match ne se joue pas. Ils se chient tous dessus, ils sont morts de peur, ils savent que si le match se joue, on les baisera de nouveau ». Ce chant fait directement référence aux incidents qui ont conduit à délocaliser cette finale retour. Les argentins font, une fois de plus, preuve d’ingéniosité et de réactivité dans leurs chants. La Conmebol en prendra également pour son grade et sera priée de nombreuses fois d’aller a la puta que lo pario. Le tiraste gas, abandonaste ou encore vamos a ver al Millonario, vamos a ver al tricampeon seront bien repris. Quelques fumis sont craqués. Sans avoir assisté au banderazo de Boca et en ayant uniquement suivi les événements en direct sur les grands médias argentins via notre téléphone, on a quand même l’impression que celui de River a rassemblé plus de mondes notamment grâce à l’horaire et surtout une meilleure organisation via les réseaux sociaux.
« Je viens de La Plata (Argentine) uniquement pour ce match. J’ai fumé toutes mes économies pour venir mais je ne regrette pas du tout. Je vais en profiter pour aller voir le Barça mardi en Ligue des champions au passage », nous raconte une jeune supportrice traduisant la folie de certains d’entre eux. Difficile de quantifier le nombre de personnes sur la Puerta Del Sol, beaucoup de badauds se sont également mélangés à la foule, des touristes espagnols, latino-américains et même chinois sont subjugués devant le spectacle et immortalisent le moment via leurs portables. Un détail attire notre attention : pas de présence « officielle » des Borrachos Del Tablon, la barra brava de River.
La soirée sur Madrid suit son cours, les chants de River continuent dans le restaurant où nous prenons place avec un groupe d’amis argentins originaires d’Ituzaingo, en banlieue ouest de Buenos Aires. En fin de soirée, notre boite de nuit regorgera d’Argentins des deux clubs. Le propriétaire avait anticipé le coup : La serveuse a du mal à nous servir un bon fernet et les morceaux populaires de cumbia et cuarteto font délirer les lieux. Les deux camps se chambrent gentiment et se mélangent même pour danser par moment.
Fans zones, contrôles de police et un Bernabeu qui n’avait jamais vu ça
Le jour du match, nous sommes rejoints par un collègue fan de Boca. Le matin même, il s’est retrouvé au milieu d’un cortège de supporters de Boca arrivé au même moment de Buenos Aires et escorté directement par la police à la sortie de l’aéroport dans le métro jusqu’à Nuevos Ministerios. La fan zone de Boca est située à la sortie de cet arrêt de métro, à quelques centaines de mètres du Bernabeu. Il réussit tant bien que mal à nous rejoindre aux alentours de 13 heures chez un ami hincha de River. Nous nous retrouvons à huit dans son appartement, la moitié supporte River, l’autre Boca. L’un d’entre nous doit partir déjeuner avec son ami Acosta, ancien milieu de Ferrocaril Oeste ou encore de River. Un certain Javier Zanetti se joindra d’ailleurs à eux. Pour nous, ce sera direction le match côté Boca. . La fan zone est déjà remplie et l’alcool coule à flots. Les dale bo sont omniprésents ainsi que le désormais fameux tiraste piedras, sos un cagon (« tu as jeté des pierres, tu te chie dessus »). Les bombos, fumigènes et fumées colorées sont assurés par les peñas venus d’un peu partout et surtout d’Espagne. On observe également beaucoup de Colombiens, Chiliens ou Péruviens. Là encore, aucune trace de la 12 : pas de bâches, pas de bombos. Impossible à savoir si les barras des deux clubs ont fait le déplacement. Si c’est le cas, ils se sont faits très discrets. Officiellement, deux barras ont été rapatriés, Maxi Mazzarro et Christian Ghisletti, deux individus qui ne fréquentent plus depuis un moment les tribunes de la Bombonera et du Monumental. Les rumeurs d’une quarantaine de barras venus pour récupérer le trône de la 12 ne se confirment pas. Pas de trace non plus des poids lourds actuels du Paravalancha comme Di Zeo ou Mauro Martin, les mêmes qui escortaient le bus des joueurs en direction de l’aéroport de Buenos Aires quelques jours auparavant. L’ambiance est correcte et les hits vamos Boca Juniors, sabes que yo te quiero et River decime que se siente, haber jugado el Nacional seront les chants les mieux repris.
L’après-midi suit son cours à Nuevos Ministerios, on apprend que côté River, un DJ a même été mis à disposition. Les enceintes crachent des sons de Damas Gratis et Ulises Bueno. Passé le coup des 17 heures, c’est Tato Aguilera, célèbre journaliste de Ty Sports couvrant exclusivement Boca, qui prend le micro et invite gentiment tout ce beau monde à rejoindre les portes du Bernabeu. Nous sommes à un peu plus de deux heures avant le coup d’envoi mais les organisateurs avaient sûrement anticipé ce qui allait se produire. La caravana boquense prend forme autour d’un noyau bien identifié avec tambours, drapeaux et parapluies. Là encore, aucun matos de la 12. Le trajet au stade depuis la fan zone côté Boca sera chaotique : environ trois barrages composés de la police montée et de chars avec presque 20 minutes d’attente entre chaque barrage. Certains supporters perdent patience et les insultent fusent. Dans la foule, on aperçoit des Colombiens de l’Atletico Nacional, des Napolitains, des Espagnols du Frente Atleti de l’Atlético Madrid, des Parisiens ex-Auteuil et un Marseillais avec une veste des South Winners sur les épaules. On apprendra plus tard que côté River, l’arrivée aux portes du stade a été beaucoup plus fluide.
Après avoir passé une dernière fouille plutôt poussée, nous voilà devant le Bernabeu. Le bar en face du stade est bondé et les supporters terminent leurs dernières bières avant de rentrer dans l’enceinte du Real Madrid. Au niveau du deuxième anneau de la tribune de Boca fondo sur. Après avoir survolé rapidement l’ambiance autour de nous, on décide de se rapprocher des bombos situés plutôt au centre-gauche de la tribune. L’entrée des deux formations est assez quelconque : quelques ballons côté River, idem côté Boca. le fameux Boca mi buen amigo accueille tout de même l’équipe de la Ribera. La première mi temps est à l’avantage de Boca sur le terrain. En tribune, on aura également l’impression à tort ou à raison que la hinchada de Boca est au-dessus pendant tout le match. De nombreux spectateurs ne sont jamais allés ni à la Bombonera, ni au Monumental et donc ne connaissent pas les chants. La complexité des chants Millonarios ne jouent pas en leur faveur tandis que côté Boca les dale Bo dale boca dale bo sont beaucoup plus simples à reprendre. Sur l’ensemble de la rencontre, nous n’avons entendu aucun des chants « longs » de la 12 : pas de quiero la libertadores y una gallina matar, pas de gallina esa mancha no se borra mas et encore moins des si quieren ver fiesta, vengan a la 12. Des chants lancés à la fan zone mais pas au stade. À la mi-temps, on essaie tout de même de monter au 3ème anneau, celui des 5.000 Argentins ayant fait le déplacement de Buenos Aires avant de se faire gentiment recaler par le service de sécurité qui bloque l’accès.
La deuxième mi-temps voit River prendre l’avantage dans le jeu. Après le but de Pratto, les vamos, vamos River Plate se font entendre dans notre tribune. Difficile de juger l’ambiance côté River depuis la tribune de Boca. Le el que no salta abandono (« qui ne saute pas a abandonné ») des Millonarios est vite couvert par les el que no salta se fue a la b (« qui ne saute pas est descendu en deuxième division ») des Xeneizes lors de la prolongation. Des no tengas miedo, podes cantar (« N’aies pas peur, tu peux chanter ») sont même entonnés à plusieurs reprises. Les supporters de River se feront tout de même entendre en fin de match après le but de Quintero et craqueront un fumigène. Même si le Bernabeu n’avait sûrement jamais connu cela auparavant, on reste quand même sur notre faim côté ambiance. On était bien loin des ambiances dont l’Argentine a le secret. Les raisons sont variées : beaucoup de spectateurs curieux de voir un superclasico et donc totalement étrangers aux chants, deux barra bravas absentes pour coordonner les chants et les percussions, enfin des noyaux par ci par là trop dispersés des deux côtés pour créer une seule et même tribune. Les filiales et peñas n’ont pas réussi à se regrouper et les deux parcages réservés aux socios venant directement d’Argentine étaient trop esseulés en haut de la tribune.
https://www.youtube.com/watch?v=uu-4zvAlLog
Fête millonaria en plein Madrid
À la sortie du stade, les visages des boquenses sont fermés, des larmes coulent parfois. Malgré le carton rouge et toute la polémique qui a entouré cette rencontre, Boca vient de perdre le match le plus important de son histoire. River a lui obtenu la gloire éternelle. Tout le monde a oublié, en l’espace de 120 minutes, le scandale d’avoir jouer cette finale à Madrid. À notre retour à l’auberge, on se dirige une dernière fois sur la Puerta Del Sol. Les festivités de River devaient se dérouler à Cibeles comme pour le Real Madrid mais les autorités espagnoles privilégient en dernière minute la Puerta Del Sol par mesure de sécurité. Une multitude de Millonarios fête comme il se doit le titre continental. On aperçoit même des supporters des Millonarios de Bogota qui entretiennent historiquement de très bonnes relations avec les supporters de River Plate.
La fête se poursuivra jusque tard dans la nuit au son des « une minute de silence pour Boca qui est mort » ou encore « la b**** de Gallardo est plus grande que celle du noir de Whatsapp (une photo d’un homme au pénis géant qui a fait le buzz en Argentine, ndlr)« . Aucun incident n’est à déploer durant le week end, il est vrai que le nombre de policiers madrilènes au mètre carré dans les lieux publics était impressionnant et sans doute inédit au Bernabeu. À 13.000 kilomètres de là, la place de l’Obélisque de Buenos Aires s’embrase et voit s’affronter une ribambelle d’hinchas de River avec la police. La violence de la société argentine surgit une nouvelle fois aux yeux du monde. Comme pour nous rappeler les raisons de ce match au Bernabeu et de notre voyage express à Madrid.
https://www.youtube.com/watch?v=C6lz-ZEHaN0