Au terme de la première saison à Leeds United de Marcelo Bielsa, le temps est venu de dresser le bilan de l’exercice 2018-2019 avant d’aborder la saison 2019-2020. Au programme du troisième article de notre trilogie, retour sur le principal mythe autour du travail de l’Argentin : le « burn-out ».
« Les cycles ne peuvent s’apercevoir qu’en 8 à 10 matchs. Il faut analyser le championnat par quarts pour voir des tendances ». Jamais trop prudent, Marcelo Bielsa, alors entraîneur du LOSC, se gardait bien de crier au triomphe après la victoire initiale des siens face au FC Nantes (3-0) lors de la saison 2017-2018. Une déclaration pour signifier en substance que l’évaluation d’un début de saison ne se décrète pas au terme du premier match du championnat. Et que dresser un bilan demande du temps.
Concernant l’évaluation de la fin de saison cette fois, il existe un allant de soi selon lequel les équipes dirigées par l’Argentin seraient frappées d’un syndrome à l’aube du printemps : le « burn-out » Ainsi, celles-ci souffriraient d’un état d’épuisement général, à la fois physique, psychique, émotionnel et mental à l’heure de récolter les lauriers semés durant l’année. Les équipes de Bielsa feraient-elles preuves de surrégimes répétés ?
Partir du postulat selon lequel les équipes de Bielsa fléchiraient physiquement ou mentalement au fil de la saison ou à la fin de celle-ci revient à balayer l’intégralité de la carrière professionnelle du technicien argentin. Car cette méthode reste la plus pertinente pour examiner la véracité ou non des faits. Surtout que le premier obstacle rencontré dans l’affirmation de cette idée est de taille : l’observateur, embourbé dans le football contemporain et le tropisme européen, se repose sur les saisons les plus récentes de l’Argentin et les issues malheureuses pour s’en convaincre. Indépendamment des saisons plus courtes en Argentine (tournoi semestriel), ce serait omettre la contextualisation des faits et les 30 ans de carrière de notre sujet d’étude.
NEWELL’S OLD BOYS
- Apertura 1990 (20/08/1990 – 20/12/1990) : champion
Été 1990. Après avoir gagné tous les titres imaginables avec les équipes de jeunes puis la réserve des Newell’s Old Boys, un jeune éducateur prodige de 35 ans du nom de Marcelo Bielsa est nommé nouvel entraîneur de l’équipe professionnelle à l’aube de l’Apertura 1990.
Contexte : Après avoir été titré lors de la saison 1987-1988 sous José Yudica, Newell’s reste sur deux saisons compliquées (12e à chaque fois). Place à Bielsa, le plus légitime étant donné son antériorité au sein du club, pour insuffler de nouvelles idées.
Verdict : Au terme des 19 journées de l’Apertura (victoire à deux points), Newell’s aura régné en maître durant toute la saison au point de terminer les douze derniers matchs de la saison invaincu. La deuxième partie de saison est même presque parfaite : 6 victoires et 3 matchs nul. Première saison, premier titre. Difficile de rêver d’un meilleur début de carrière.
- Clausura 1991/finale nationale (24/02/1991 – 09/07/1991) : 8e/Champion
Contexte : Auréolé de son premier titre, le Newell’s de Bielsa aborde le Clausura dans de parfaites dispositions, invaincu lors des quatre premiers matchs (2 victoires, 2 nuls) avant de se montrer plus irrégulier. À partir du printemps, Newell’s ne décroche même qu’une victoire en 9 matchs (4 nuls, 4 défaites) pour terminer 8e du Clausura. Mais les Rojinegros trouveront les ressources suffisantes (physiques ? mentales ?) pour venir à bout de Boca Juniors, le vainqueur invaincu du tournoi, en finale nationale. Un authentique exploit.
Précision : À l’époque, pour déterminer le champion de la saison, s’affrontaient le vainqueur de l’Apertura (Newell’s) et du Clausura (Boca Juniors). Et ladite finale nationale favorisait ostensiblement le vainqueur du Clausura puisqu’elle avait lieue à peine une semaine après la fin du tournoi.
Verdict : Après un an à Newell’s, Bielsa a décroché son deuxième titre sur trois possible.
- Apertura 1991 (01/09/1991 – 22/12/1991) : 18e
Contexte : En quelques mois, Newell’s est passé du club en perte d’identité à l’équipe à battre. Mais durant cet Apertura, l’équipe implose. Avec 1 victoire sur les 10 premiers matchs du tournoi, Newell’s vit un automne 1991 cauchemardesque.
Verdict : L’ironie veut que le club ait mieux terminé le tournoi qu’il ne l’avait commencé, invaincu lors des sept derniers matchs (5 nuls, 2 victoires). Autrement dit, non seulement Newell’s n’a pas subi de contrecoup mental ou physique mais le club s’est remobilisé au fil de la saison malgré les difficultés.
- Clausura 1992 (23/02/1992 – 05/07/1992) : champion
Contexte : Une remobilisation qui portera ses fruits dès le tournoi suivant : invaincu lors de ses quatorze premiers matchs, Newell’s vit une saison extraordinaire. Une seule défaite, 8 buts concédés seulement en 19 matchs, le titre de champion à la clé et une campagne historique (finaliste, 16 matchs joués) menée en parallèle en Copa Libertadores.
Verdict : C’est sur ce tournoi rêvé que Bielsa décide de faire une pause dans sa carrière après avoir remporté trois titres en deux ans. Malgré la finale perdue aux tirs au but en Copa Libertadores face au Sao Paulo de Telê Santana, son idylle à Newell’s confine au conte de fées. En à peine deux ans, Bielsa est devenu un entraîneur-référence en Argentine et confère à Newell’s le plus beau des héritages. Le club vient de vivre les deux années les plus intenses et les plus prolifiques de son histoire.
ATLAS GUADALAJARA
- Saison 1993-1994 (14/08/1993 – 17/04/1994) : 5e de la saison régulière, éliminé en quarts de finale de la Liguilla
Contexte : Saison 1992-1993. Au grand dam des dirigeants de l’Atlas Guadalajara, Marcelo Bielsa, entraîneur convoité, refuse le poste d’entraîneur, ce dernier préférant un rôle plus réflexif et moins sujet au stress. Au prix d’âpres négociations (sportives) et d’une mise au point sur les rôles de chacun, l’Argentin acceptera néanmoins de s’occuper du centre de formation avec le luxe de choisir le futur entraîneur du club, Mario Zanabria. Un an après des résultats peu glorieux (12e), Bielsa décide de succéder à son ami et ancien coéquipier pour faire mieux. Au Mexique, l’Argentin connaît sa première expérience dans un championnat comptant 40 journées où, comme en Argentine, la victoire rapporte deux points.
Verdict : Ses débuts ne sont pas idéaux. Avec 3 victoires, 3 nuls et 4 défaites après 10 matchs (soit au quart du championnat), difficile d’imaginer l’Atlas se qualifier pour la Liguilla (play-offs réservés aux 8 premiers). Et pourtant, une série de six matchs sans défaites avec quatre victoires à la clé avant la mi-saison permet aux hommes de Bielsa de revenir dans la course. Et une nouvelle série positive de neuf matchs (dont cinq victoires) entre la 23e et 31e journée permettra au club de Guadalajara de se qualifier pour la Liguilla sans connaître par ailleurs de heurts particuliers. Cinquième à l’issue du championnat, l’Atlas s’inclinera face à Santos Laguna, 4e et futur finaliste, dès les quarts de finale des play-offs.
- Saison 1994-1995 (03/09/1994 – 28/01/1995) : Démission après la 22e journée
Contexte : La saison suivante est marquée par une irrégularité endémique. Si le club ne subit pas de série de défaites avant la 13e journée, il peine également à enchaîner.
Verdict : Situation analogue au LOSC version 2017-2018. Sans dynamique, le club avance peu, s’englue dans la deuxième partie de tableau si bien que lors de la 22e journée, l’Atlas accepte la démission de Bielsa. Mais le plus important est ailleurs : grâce à son travail entrepris dans toutes les strates du club, celui-ci dispose des structures nécessaires (méthodes, scouting, réseaux) pour réussir au mieux à l’avenir.
AMERICA
- Saison 1995-1996 (27/08/1995 – 23/03/1996) : licenciement après la 32e journée alors que le club est qualifié en Liguilla
Contexte : Fort de sa nouvelle notoriété sur le continent, Bielsa suscite les convoitises d’un des clubs les plus puissants et instables du championnat mexicain : l’América. La saison précédente, le club de Mexico s’était incliné en demi-finale de la Liguilla après avoir terminé second du championnat. Précision importante : Leo Beenhakker avait été débarqué entre-temps au printemps (en fin de saison régulière) pour avoir aligné un joueur en conflit avec la direction. C’est donc dans une certaine instabilité structurelle que Bielsa tend à devenir l’homme fort du club.
Verdict : Déjà qualifié pour la Liguilla, l’Argentin est remercié à deux journées du terme de la saison régulière après trois défaites consécutives. La raison invoquée ? L’incompréhension des joueurs face à la rigueur totale et continue de Bielsa malgré la qualification en play-offs. Il serait également question de mécontentements en interne sur certaines décisions de l’Argentin. Difficile d’affirmer si le dénouement de cette fin de saison correspond à un ras-le-bol général vis-à-vis de l’exigence du technicien ou à une simple décadence institutionnelle.
VELEZ SARSFIELD
- Apertura 1997 (29/08/1997 – 19/12/1997) : 4e
Contexte : Été 1997. Bielsa fait son retour en Argentine… mais à Vélez et non à Newell’s. Et le barème a évolué puisque depuis l’Apertura 1995 la victoire a trois points est instituée. Au milieu des années 1990, Vélez est l’une des meilleures équipes du continent et une référence à l’échelle internationale. L’héritage que doit assumer Bielsa est colossal. Sous Carlos Bianchi puis Oswaldo Piazza, Vélez a notamment remporté le Clausura 1993 et 1996, l’Apertura 1995, la Coupe Intercontinentale 1994 (face au Milan de Capello) et la Copa Libertadores 1994 (face au Sao Paulo de Telê Santana). En 1997 cependant, Vélez reste sur deux échecs, treizième de l’Apertura 1996 et cinquième du Clausura 1997. Pour la première fois de sa carrière, Marcelo Bielsa doit assumer un passé récent riche en succès. Charge à lui de retrouver les sommets avec ses principes de jeu si singuliers.
Verdict : Vélez termine quatrième du tournoi (32 points) avec seulement trois défaites à la clé mais loin de River Plate (champion avec 45 points) et Boca Juniors (second, 44 points) qui auront dominé cet Apertura. Vélez peut regretter sa baisse de régime en octobre (visible sur le graphique) avec trois matchs sans victoire (deux nuls, une défaite) mais n’aura aucunement lâché prise à l’approche de l’hiver. Le club de Buenos Aires terminera même le tournoi invaincu lors des cinq derniers matchs de la saison.
- Clausura 1998 (16/02/1998 – 06/06/1998) : champion
Contexte : Après avoir convaincu les supporters et avoir su gagner l’adhésion des joueurs en bouleversant les habitudes d’un groupe qui a tout gagné, Vélez doit désormais confirmer l’enthousiasme général en luttant pour le titre.
Verdict : Vélez entame parfaitement le Clausura, leader à l’issue du premier quart du tournoi avec quatre victoires en cinq matchs. Un leadership que n’abandonnera pas les hommes de Bielsa, dominateurs et tout-puissants avec un excellent bilan de 14 victoires, 4 nuls pour une défaite. Avec ce troisième titre aux allures de démonstration, Marcelo Bielsa permet à Vélez de rester sur la voie du succès et réaffirme son statut d’entraîneur émérite à l’échelle du pays et du continent. Prochain défi ? Gagner les coeurs et les esprits en Europe.
ATHLETIC BILBAO
- Saison 2011-2012 (28/08/2011 – 13/05/2012) : 10e, finaliste de la C3 et de la Coupe du Roi
Contexte : 7 juillet 2011, l’Athletic Bilbao annonce officiellement la signature de Marcelo Bielsa comme nouvel entraîneur du club basque. Cinq mois après sa démission de la sélection chilienne et presque 13 ans après la prise en charge de son dernier club (Espanyol Barcelone), l’Argentin endosse de nouveau la tunique d’entraîneur. Sous Joaquin Caparros, los Leones viennent de terminer à une honorable sixième place en Liga dans l’anonymat général. Sous Bielsa, le club tend à faire mieux avec une nouvelle prérogative sous le nouveau président, Josu Urrutia : proposer une nouvelle identité de jeu.
Verdict : La deuxième expérience européenne de Marcelo Bielsa ne débute pas sous les meilleurs auspices avec un bilan médiocre de 3 victoires, 4 défaites et 3 nuls au premier quart de la saison. Il aura fallu attendre le mois d’octobre pour que l’Athletic de Bielsa imprime sa griffe. Avant, très vite, d’illuminer l’Europe. De l’hiver jusqu’au printemps, le continent assiste à une épopée qui va altérer parallèlement les résultats en Liga (trois défaites consécutives en mars visibles sur le graphique).
Championnat, Coupe du Roi, C3. Le calendrier de l’Athletic est infernal. 26 avril 2012, demi-finale retour de Ligue Europa. Battue (1-2) à l’aller par le Sporting, la bande à Bielsa donne la leçon à San Mamés pour arracher sa place en finale (3-1) un mois après avoir éliminé Manchester United et Schalke 04. Mais aux portes de la gloire, l’équipe s’effondre, battue lors de cinq des six derniers matchs de la saison. Bilan ? Finale de C3 perdue (3-0), finale de Coupe du Roi perdue (3-0) et une malheureuse 10e place en Liga alors que le club était toujours européen fin avril.
Cette fin de saison, Ander Herrera s’en souvient encore parfaitement : « Je ne peux pas mentir, durant les derniers mois, on ne pouvait même plus bouger. Nos jambes ont dit « stop ». On avait l’habitude de jouer avec les mêmes joueurs (14) donc nous n’avons pas joué à notre meilleur niveau lors des finales. On était une équipe complètement différente de ce qu’on avait démontré auparavant. Pour être honnête, on était complètement morts. »
Après 65 matchs joués, un record dans l’histoire du club, si l’aspect physique n’est évidemment pas à écarter dans l’explication du dénouement (mais comment expliquer alors cette qualification en finale de C3 mal embarquée ?), le niveau des adversaires (FC Barcelone, Atlético Madrid) et l’aspect culturel du club (groupe basque donc limité quantitativement) n’ont pas aidé à optimiser les chances de bien faire.
- Saison 2012-2013 (19/08/2012 – 01/06/2013) : 12e
Contexte : L’été a été mouvementé à Bilbao. Si Bielsa a vite été reconduit par le club (le 2 juin), l’Argentin a subi bon nombre d’événements. Sur le plan extra-sportif, les travaux demandés par le technicien pour améliorer le centre d’entraînement ont pris du retard et ont fortement impacté les plans de la pré-saison. Par ailleurs, conséquence de la saison 2011-2012 riche en exploits, l’Athletic a subi le départ de Javi Martinez (Bayern Munich) et la mise à l’écart de Fernando Llorente (déclaration publique de sa volonté de quitter le club, il rejoindra la Juventus).
Verdict : Cette deuxième saison sous l’égide de l’Argentin débute de la pire manière qui soit avec 5 défaites en 9 matchs. Une dynamique négative qui a annihilé les chances basques de jouer les places européennes. Malgré la déception mathématique et un fond de jeu moins abouti, le club se sera mieux comporté en fin de saison par rapport à l’exercice 2011-2012. Là où l’Athletic avait perdu 5 de ses 6 derniers matchs la saison précédente, les hommes de Bielsa n’auront perdu qu’un seul match sur la même période.
OLYMPIQUE DE MARSEILLE
- Saison 2014-2015 (09/08/2014 – 23/05/2015) : 4e
Contexte : Quand Marcelo Bielsa débarque à l’Olympique de Marseille au printemps 2014, le club phocéen est à la recherche de stabilité après avoir connu deux entraîneurs en deux ans (Elie Baup, José Anigo) et ce quatre ans seulement après son titre de champion de France. L’OM, une formation sans idée, vient de réaliser une piètre saison, 6e de Ligue 1 et ridiculisée d’un zéro pointé historique en phase de groupes de la Ligue des champions. Avec Bielsa, le président Vincent Labrune souhaite redorer sa présidence avec un entraîneur de renom. L’objectif non avoué : se qualifier pour la prochaine campagne de Ligue des champions.
Verdict : La première partie de saison de l’OM est à couper le souffle. Dans le jeu, l’énergie et la fraîcheur globale suscitée. A la trêve hivernale, avec 12 victoires et le seul défaut de ne pas gagner ses chocs (défaites face au PSG, l’OL et Monaco), l’OM est champion d’automne. Problème, les hommes de Bielsa se montreront plus irréguliers dès l’hiver si bien que le club phocéen terminera 4e de L1. Si l’objet de l’article n’est pas de déterminer les facteurs extérieurs de cette conjoncture (moins grande efficacité devant le but, adaptation des adversaires, perte de joueurs précieux à la CAN comme André Ayew et Nicolas Nkoulou – le premier pour son activité, le second pour sa qualité à la relance), reste à résoudre la question de la fatigue. Pour évaluer ce paramètre, outre le propos de Bielsa, qui réfutera cet argument en conférence de presse, un document précieux a été publié – et toujours disponible en libre accès – par le préparateur physique de l’OM de l’époque, Jan Van Winckel. L’objectif ? Démontrer que la deuxième partie de saison moins aboutie n’est pas liée à la question physique. Pour nous convaincre, ce dernier a proposé une quantité de données dont nous avons relevé les éléments suivants :
- L’OM montait en puissance au fil de ses matchs. Non seulement, l’OM a eu une plus grande capacité à marquer en seconde mi-temps que dans le premier acte, mais le club phocéen convertissait sa domination à la fin des DEUX mi-temps, signe de la fraîcheur et de la lucidité des joueurs malgré les efforts entrepris.
- Lors de tous ses matchs, l’OM a non seulement toujours dominé ses adversaires sur la distance parcourue au sprint (+24km/h), mais le groupe a été capable de répéter ces efforts intenses sans discontinuer sur l’ensemble de la saison.
- Dans la même idée mais sur la distance totale parcourue en match, l’OM a su courir beaucoup et longtemps durant l’intégralité de la saison sur un rythme continu (voire même davantage entre janvier et mai). Le premier tiers de la saison et le dernier paraissent mêmes symétriques sur le plan du volume physique engagé.
- Même à l’entraînement, une quelconque baisse physique n’est pas à observer. Non seulement le rythme n’a pas diminué mais les joueurs ont couru en moyenne les mêmes distances que durant le premier tiers de la saison.
- Une donnée d’autant plus intéressante que, selon Jan Van Winckel, l’OM était la deuxième équipe en Europe à compter le plus de séances d’entraînements par mois sur un échantillon de 33 grandes équipes européennes (parmi lesquelles 12 des 16 équipes présentes en huitième de finale de la C1 cette saison-là, précise-t-il). Autant de points qui tendent à annihiler les arguments éculés d’un « burn-out » programmé ou progressif.
Enfin et factuellement, il serait impropre d’évoquer un « burn-out » quand sur les huit derniers matchs de la saison, l’OM a remporté les quatre derniers. D’autant que parmi les revers du mois d’avril, l’un d’eux a eu lieu contre le leader du championnat (PSG), et un autre contre une équipe (Bordeaux) capable de résister à 28 centres et vainqueur sur son seul tir cadré du match. Sans aller plus loin, on retiendra que l’OM n’a jamais été dominé physiquement par son adversaire direct cette saison-là. Un cas qui n’est pas sans rappeler la dernière situation en date : la saison 2018-2019 de Leeds United.
LEEDS UNITED
- Saison 2018-2019 (05/08/18 – 05/05/19) : 3e (éliminé en demi-finale des play-offs)
Contexte : Voilà quinze ans que Leeds United végète dans le sous-sol du football anglais. Trois ans en League One et le reste en Championship. Propriétaire du club depuis mai 2017, Andrea Radrizzani tente bien de conjurer le sort pour effacer cette hérésie. Rien à faire. Ni Thomas Christiansen ni Paul Heckingbottom n’ont été en mesure de permettre à Leeds de rejoindre l’élite. Sur les conseils de son directeur sportif Victor Orta, Radrizzani décide alors de tenter le tout pour le tout en essayant de séduire un homme meurtri, chassé quelques mois plus tôt par une autorité (Lille) animée davantage par l’intérêt que par la loyauté. Outre-Manche, la terre de Leeds, elle, est ravagée par les atermoiements et le chaos. Depuis 2004, ses supporters, dans la nostalgie de ses vieilles gloires, attendent le technicien susceptible de ramener le club à la vie. Quelques cinquantaines de VHS plus tard, Marcelo Bielsa accepte le challenge en restant fidèle au même effectif 13e de la dernière campagne de Championship. Et l’objectif affiché est clair : la promotion en Premier League.
Verdict : Comme en Espagne et en France, Marcelo Bielsa a très vite conquis l’Angleterre. De la 1ère journée jusqu’à l’aube de l’année 2019, Leeds paraît intouchable. Dominatrice sur tous les plans, même quand elle est en difficulté, l’équipe de Bielsa se montre capable de renverser des situations au prix d’improbables coups d’éclats. À l’issue de la phase aller, Leeds domine son sujet, leader avec six points d’avance sur le 3e, West Bromwich Albion, première équipe non concernée pour l’accession directe en Premier League. Dans la quasi-totalité des catégories statistiques, Leeds monopolise la première place. Points, victoires, tirs, possession de balle, occasions créées, passes réussis, passes dans les trente derniers mètres adverse… Sur les dix dernières années et à ce stade de la saison, tous les leaders sont montés au mois de mai. Et pourtant. Dès janvier, la deuxième meilleure défense du championnat ne se montre plus aussi impassible et sereine quand la quatrième meilleure attaque s’enraye au moment de conclure à défaut de se montrer toujours aussi souveraine. Résultat, après 42 journées de règne, l’allégresse a laissé place à la désolation.
« Vous avez entendu que les équipes que j’ai dirigées arrivent à cette période de la saison fatiguées physiquement et mentalement. Or, le match contre Derby County (match retour des play-offs) est le match où nous avons le plus couru durant la saison. Donc j’écoute les arguments, mais pas pour me convaincre du contraire, pour voir si je dois donner du crédit à ce que j’entends. Parce que si je ne sais pas ce qu’il ne va pas, je ne peux faire aucune correction. Mais si je corrige seulement ce que me dit l’opinion alors qu’en réalité tout va bien, j’empire les choses au lieu de les améliorer. Je doute toujours de ce que je pense. Et j’écoute toujours les propositions qu’on me soumet à propos de ce que je fais pour voir si je peux faire des corrections et améliorer les choses (…). »
15 mai, 22 h 40. Leeds est éliminé des play-offs, battu (2-4) par Derby County au terme d’un nouveau match fou. Quelques minutes à peine après la sentence, lors de sa dernière conférence de presse de la saison, Bielsa a réitéré des propos qu’il n’aura cessé de clamer durant le printemps. L’Argentin ne veut pas entendre parler de fatigue, qu’elle soit physique ou mentale. Pour le coach de Leeds, c’est un non-sujet. Un faux problème. La solution de facilité toute trouvée pour exprimer ses périples inachevés.
« On écoute ces histoires [de fatigue] sans grand fondement ici ou là », avait déclaré à ce propos Rob Price, le médecin de Leeds en mars dernier. « À partir des tests physiques, d’autres données et des tests hebdomadaires, on sait qu’on peut maintenir le rythme qui est le nôtre », avait-il défendu. Avant d’aller plus loin. « Le rendement physique est même meilleur au fil de la saison plutôt qu’il n’empire. On travaille dur, mais on travaille raisonnablement et de manière intelligente. On ne pousse pas les joueurs à l’épuisement. On contrôle la charge de travail de chaque joueur pour s’assurer qu’ils puissent être performants en match. »
« On peut montrer aux joueurs qu’ils sont bien physiquement et mentalement, avait-il poursuivi, arguant la capacité des joueurs à encaisser toujours aussi bien les séances d’entraînements. Parce que si vous êtes fatigué mentalement, il n’y a aucune chance que vous puissiez être performant physiquement. Mais si vous êtes en forme physiquement, vous avez toutes les chances d’être bien mentalement. Et pouvoir leur montrer cela avec les mesures de performance, les vidéos analytiques, tout cela est juste la confirmation qu’ils sont capables de poursuivre [sur le même rythme] et ils en seront capables », avait-il conclu à ce sujet. Si Rob Price n’a pas publié sur la toile lesdites mesures de performance, il confirme néanmoins la thèse de Jan Van Winckel balancée quatre ans plus tôt : non, la question physique n’est pas l’argument à considérer dans l’explication de la tournure de la fin de saison des Whites.
Quels sont-ils alors ? Si nous avons tenté de trouver les réponses ici, encore une fois, d’autres arguments que le facteur physique expliquent la non-accession (avec les graphiques de LUFCDATA).
- Une moindre efficacité devant le but malgré une production offensive de premier plan
Non seulement Leeds s’est constamment créé plus d’occasions que son adversaire, mais ce dernier s’en est moins procuré au fil de la saison (premier graphique). Problème, Leeds a perdu peu à peu sa capacité à se montrer efficace devant le but (second graphique).
Pour mieux comprendre cette fin de saison, appuyons-nous sur d’autres indices. Les Expected Goals d’abord. Non seulement ceux-ci ont augmenté dans la dernière ligne droite de la saison, mais Leeds s’est toujours procuré des occasions de meilleure qualité que son adversaire (avec par ailleurs la seconde meilleure production offensive du Championship avec 79,25 d’xG pour la saison), preuve que le club s’est montré d’autant plus pressant et méritant au printemps.
- Une qualité du pressing optimale malgré des déficiences défensives
La capacité à être toujours aussi intense dans le pressing ensuite. Leeds présente ainsi le PPDA (nombre de passes concédées pour une action défensive tentée) le plus bas du Championship (6.31) signe de l’activité défensive toujours aussi vigoureuse des hommes de Bielsa durant la saison.
Dernier élément à considérer, la rentabilité adverse face à Leeds. Compte tenu des éléments apportés précédemment et à la vue du graphique ci-dessous, difficile de penser que les hommes de Bielsa ont perdu 6 de leurs 11 derniers matchs. Et pourtant. Sur cette période, malgré 58 tirs cadrés, Leeds en a concédé presque moitié moins (30). Leeds était même l’équipe qui concédait le moins de tirs du championnat à son adversaire cette saison (432, soit 9 tirs/match). Seulement, l’adversaire a su profiter de ses rares situations. Parmi les équipes du top 6, Leeds était l’équipe la plus fragile face aux assauts adverses (taux d’efficacité de plus de 34%).
Résultat, en 2019, la souffrance de Leeds n’a pas été physique mais technique par son incapacité à se montrer efficace dans les deux surfaces : clinique devant le but adverse et plus discipliné (déficit de concentration) pour défendre le sien.