Match après match, les Blades surprennent leurs opposants en proposant une animation tactique originale. Décryptage d’une défense à trois qui se balade d’une surface de réparation à l’autre pour déstabiliser l’adversaire.
Chris Wilder et Sheffield United en quelques mots
Explorer le parcours de Chris Wilder c’est plonger dans les entrailles du football anglais. Si la Premier League attire le regard des observateurs du monde entier, les ligues inférieures de ce championnat suscitent également un engouement populaire et national très fort à l’image du Championship. Chris Wilder en est issu puisqu’il a été joueur professionnel dans de nombreux clubs d’envergure moyenne comme Notts County, Rotherham United ou Halifax Town. C’est également en dehors des projecteurs de la Premier League qu’il fait ses classes en tant qu’entraîneur d’Alfreton Town en 2001-2002 en sixième division jusqu’à la promotion de Sheffield United en Premier League à l’issue de la saison 2018-2019 (au détriment du Leeds de Bielsa coiffé sur le fil).
Pour l’entraîneur britannique, l’accession au plus haut niveau national avec les Blades représente un véritable aboutissement. En effet, Sheffield United est son club de cœur, celui qu’il supporte depuis l’enfance. « Accéder à la Premier League c’est incroyable et je vais en profiter pleinement maintenant« , déclarait-il.
Dès lors, c’est avec une détermination exceptionnelle qu’il s’attelle à poser un maximum de problèmes tactiques à ses adversaires semaine après semaine. Le technicien s’appuie sur un effectif relativement limité au sein d’un 3-5-2 présentant assez peu de rotations :
Comment le coach de Sheffield United pose-t-il des problèmes à ses adversaires ? Sa méthodologie, le modèle de jeu de son équipe en phase offensive est presque unique au plus haut niveau aujourd’hui : il s’appuie sur des défenseurs centraux mobiles et très impliqués dans la création de déséquilibre chez l’adversaire.
Analyse des déplacements des défenseurs centraux : comment créer de l’incertitude depuis l’arrière
En premier lieu, l’observation des déplacements des trois défenseurs centraux laisse apparaître toute la liberté que possèdent Egan, O’Connell ou Basham pour transpercer la défense adverse avec ou sans ballon :
Alors que Martinelli projetait une attaque rapide en donnant le ballon à Lacazette, le défenseur central de Sheffield lit la situation et intercepte la sphère.
Plutôt que de donner le ballon immédiatement après la récupération, O’Connell porte le cuir et s’en va fixer un adversaire directement au milieu. Il utilise alors cette situation de 2 contre 1 pour éliminer Torreira.
Après avoir éliminé Torreira, O’Connell aurait pu retourner dans sa zone et laisser ses coéquipiers finir le décalage. Il n’en n’est rien et il continue sa projection directement entre les défenseurs centraux. Arsenal se retrouve avec 3 joueurs pouvant attaquer la profondeur dans son dos.
Cette liberté est conditionnée par les nombreuses compensations effectuées par tous les coéquipiers notamment par le numéro 16 des Blades Oliver Norwood. Celui-ci vient très souvent s’intercaler dans la ligne défensive. Depuis cette position en retrait, il peut également laisser le spectateur admirer la qualité de son jeu long afin d’orienter les offensives dans les espaces libres. La mise en place d’une défense à trois, l’ajustement du positionnement Norwood en phase offensive permet de garder un équilibre convenable en cas de perte de balle.
Par ailleurs, le déplacement des pistons est tout aussi important pour permettre aux défenseurs centraux de s’immiscer plus haut sur le pré :
Le schéma tactique est une chose et l’animation sur le terrain en est une autre. Ici la ligne de 3 initiale s’est transformée en ligne de 4 avec les 2 pistons redescendus à hauteur de leurs défenseurs. Oliver Norwood, entouré en noir est resté devant la défense, mais surtout Basham, cerclé en rouge et défenseur central au départ quitte volontairement sa zone pour s’intercaler au milieu.
Après être sorti de la densité côté gauche, Sheffield a renversé côté opposé pour reconstruire une sortie de balle propre en 4 contre 2. Basham, défenseur central et joueur qui nous intéresse est hors champ et étonnamment non-concerné par cette séquence.
La passe diagonale du défenseur au piston va créer un temps d’avance dans le déploiement de l’action et éliminer les 4 joueurs d’Arsenal à l’image. Mais le plus intéressant n’est pas visible puisque Basham, absent de la capture, est déjà prêt plus haut sur le terrain devant les milieux relayeurs comme par exemple John Fleck entouré en rouge. Le défenseur serait-il devenu un attaquant de profondeur ?
Effectivement Basham partage un comportement qui ressemble beaucoup à celui d’un attaquant de profondeur. Il se situe juste derrière le duo McBurnie-Sharp et se prépare littéralement à attaquer la surface de réparation alors que l’action se déploie de la gauche vers la droite.
Tandis que l’action bascule à l’opposé pour le piston qui était présent dès le départ lors de la phase de sortie de balle, trois joueurs dont le défenseur central Basham en rouge se préparent à recevoir le futur centre de leur coéquipier qui attaque le couloir libre balle au pied. Dans cette surface le numéro 6 des Blades pourra essayer de faire valoir la qualité de son jeu de tête.
Cette attaque placée pour le moins originale mais ici efficace puisque génératrice de danger nous rappelle une chose : une phase offensive efficace au plus haut niveau, face à des joueurs bien préparés, doit nécessairement être « liquide ». C’est-à-dire afficher un « chaos organisé ». Dans ce contexte, Sheffield United, sans proposer des sorties de balle « léchées » et au sol comme peuvent le faire la Real Sociedad ou Sassuolo, sait très bien créer du danger par du jeu sans ballon harmonisé.
Si ces séquences montrent comment les défenseurs peuvent s’intercaler à l’intérieur du jeu, Chris Wilder leur demande d’abord d’apporter dans les couloirs, pour créer des supériorités numériques :
Le numéro 3 Stevens, piston des Blades, reçoit le ballon de John Fleck alors qu’il s’est légèrement recentré.
Pendant que le bloc d’Arsenal coulisse et que Nicolas Pépé cherche à cadrer Stevens, le défenseur central O’Connell dédouble dans son dos par l’extérieur.
Stevens se retrouve dans l’obligation de reculer face au bon cadrage de Pépé. Mais le déplacement du numéro 5 des Blades a créé un décalage que les Gunners ne pourront pas combler dans l’immédiat. Norwood l’a bien compris et lorsqu’il reçoit la passe en retrait de Stevens, il décide de jouer en une touche par-dessus pour trouver l’homme libre. Le contrôle raté d’Oconnell ne permettra pas à cette séquence d’aboutir à une occasion.
Mc Burnie réussit à maîtriser un ballon aérien par une remise de la poitrine sur son partenaire Fleck face à lui. Derrière le numéro 4, le piston Stevens analyse la situation et prépare un déplacement.
John Fleck dispose du ballon dans les pieds et effectue sa prise d’info vers la surface et les deux attaquants. Autour de lui Stevens propose un premier dédoublement et O’Connell monte de 20 mètres devant la médiane pour se proposer en retrait. John Fleck a compris que le dédoublement de son partenaire était géré par le latéral de City et choisit le centre directement dans la surface.
Le ballon a été repoussé par les défenseurs de City dans la zone de départ et O’Connell prend ses responsabilités en effectuant un magnifique contrôle poitrine. C’est une situation de 3 contre 3 dans le couloir qui se dégage.
Avec le rapprochement de Norwood, c’est désormais un 4 contre 4 à gérer pour Sheffield dans le couloir. Si il n’y a pas de supériorité numérique évidente ici, c’est grâce à la discipline collective remarquable de City, à l’image de Gabriel Jesus, entouré en rouge, qui redescend très bas pour tenter d’enrayer le décalage qui se dessine par ce positionnement et les lignes de passes créées.
Le circuit de passe en triangle révélé juste au-dessus est réussi pour Sheffield. Cependant, cela n’est pas suffisant pour déstabiliser Manchester City. C’est pourquoi O’Connell, décide d’un nouveau dédoublement par l’extérieur espérant être servi dans l’espace pour déclencher un centre. Malheureusement, Kevin de Bruyne giclera au bon moment pour couper la passe.
Malgré l’échec de la réalisation finale sur la séquence ci-dessous, l’objectif tactique des Blades apparaît clairement. De ce fait, même si John Egan est le défenseur qui reste toujours le plus en retrait, ses deux coéquipiers, Basham et O’Connell se retrouvent même de temps à autre en position de centre. De surcroît, il n’est pas rare de les voir proposer un appel de balle vertical sur les touches en zone offensive.
Conclusion
Après l’observation de ces mouvements, une question subsiste : en quoi sont-ils réellement intéressants dans le développement de la phase offensive ? D’abord, malgré le déchet technique important que ces défenseurs centraux connaissent en occupant des positions plutôt contre-intuitives, ils rééquilibrent cette lacune en créant constamment un doute chez l’adversaire, peu habitué à gérer ce genre de situations.
Le football de haut niveau étant une question de secondes voire de micro-secondes, ce léger doute peut générer un temps d’avance décisif à l’aboutissement des mouvements lorsqu’il s’agit de conclure. En outre, ce genre de déplacements venus de loin est très rarement suivi par l’attaquant adverse. Cela rajoute concrètement un joueur de champ dans le camp de l’opposant, et cela s’avère très utile pour générer des supériorités numériques. De plus, pour Sheffield United, la compensation à effectuer est relativement simple surtout dans un système en 3-5-2 bien huilé depuis plusieurs saisons. La première solution est la mise légèrement en retrait de Norwood. La deuxième est lisible à travers le coulissement du piston opposé vers l’intérieur du jeu pour consolider la dernière ligne défensive en cas de perte de balle. Enfin, la troisième option non-négligeable car bien observable, est la prise de risque pure et simple, assumée par l’entraîneur et l’ensemble de son effectif de jouer avec deux joueurs en couverture en dernière ligne.
Même si Sheffield United n’est pas l’équipe qui presse le plus en Premier League, elle montre par séquence de très bonnes dispositions dans ce registre. Là encore présenter de la densité et une supériorité numérique dans de nombreuses zones de jeu peut aider à la récupération rapide du cuir. Plus rarement, la présence d’un défenseur central en zone de finition peut s’avérer efficace pour finir des actions et conclure les cheminements fondés sur les centres. Notons que ce principe d’animation ne peut exister que s’il est porté par un collectif où tout le monde défend avec la même implication. Avec la deuxième meilleure défense du championnat à mi-saison, une 8ème place au classement, il est clair que l’effectif s’est imprégné de ce principe de jeu et de toute la philosophie de Chris Wilder. Pour le plus grand plaisir des amoureux de Sheffield United et de tous les passionnés.
Pour aller plus loin : – https://godsavethefoot.fr/focus/pl-preview/preview-pl-2019-20-sheffield-united-la-lame-tranchante
https://twitter.com/freflchamp/status/1122844262310260736