Si la Bundesliga est célèbre pour son football fait d’intensité, Peter Bosz et son éducation néerlandaise à la distribution du jeu ont nettement dominé l’équipe d’Adi Hütter, plus à l’aise en contre qu’à la construction. Retour en trois clés tactiques sur le choc entre le Bayer Leverkusen et l’Eintracht Francfort.
Une nouvelle fois, le Bayer Leverkusen a gagné, battant l’Eintracht Francfort 4-0, en allant au bout de ses idées : jouer de l’avant, mais pas n’importe comment. Et de ses principes radicaux : pressing tout terrain, défense très avancée et volonté de poser le jeu une fois en possession. Bien sûr, il faut souligner l’évolution de l’équipe de Peter Bosz depuis son arrivée il y a deux ans, davantage capable de subir le jeu par moment afin de se remettre dans le vert pour pouvoir répondre à l’intensité. Alors que dans nombre d’équipes le développement d’une identité de jeu marquée empêche l’adaptation à l’adversaire, Leverkusen en est loin, cela s’est encore vu samedi.
Le Bayer se sort du pressing de l’Eintracht : l’oxygène Hrádecký
L’Eintracht Francfort s’est rendu à la BayArena de Leverkusen avec un schéma de pressing adapté, sur le papier, à l’animation offensive du Bayer 04. Avec un 4-1-4-1 calqué sur le 4-2-3-1 de Peter Bosz, les joueurs d’Adi Hütter auraient pu empêcher les locaux de développer leur jeu de position.
Dans une organisation défensive médiane animée en zone, ils bloquaient les solutions courtes pour les centraux du Bayer avec André Silva sortant sur Tapsoba, Rode et Kohr prêt à suivre Aránguiz et Baumgartlinger dans leurs décrochages, à droite Kamada défendant sur Wendell par l’intérieur et à gauche, Kostic se tenait prêt à récupérer Weiser s’il était servi, ou à venir resserrer dans l’axe si le ballon était à l’opposé.
Schémas des deux équipes : 4-2-3-1 (Bayer Leverkusen) face au 4-1-4-1 de Francfort. Pas de solution courte pour les centraux du Bayer balle au pied face au bloc médian de l’Eintracht
Une défense en zone opérationnelle jusqu’à des éventuels changements de côté. Car au moment de coulisser, les joueurs de Francfort n’ont pas su contrôler le jeu du Bayer avec une bonne gestion de la largeur.
L’option Hrádecký, derrière une défense à 4 composée de Weiser, Bender, Tapsoba et Wendell occupant toute la largeur du terrain, oxygénait le Bayer et permettait de renverser. Et alors que Bender jouait sur Weiser, le signal était lancé pour l’Eintracht qui déclenchait son pressing, formant un 4-2-3-1 avec André Silva sortant sur Bender, Kostic sur Weiser, Rode récupérant Baumgartlinger, Kohr suivant Aránguiz dans le rond central aux côtés d’Hasebe et Kamada dans une position intérieure prêt à jaillir si Tapsoba est servi, abandonnant ainsi Wendell à l’opposé.
Le schéma du pressing de Francfort face au Bayer lorsque le ballon est transmis d’un central (ici Bender) au latéral (ici Weiser) : André Silva à 1 contre 3 (Bender/Tsapoba/ Hradecky), Kostic charge pour enfermer. Mais une issue : Hrádecký
En supériorité numérique (3 vs 1 et 3 vs 2 avec Kamada) aux abords de la surface et avec Wendell laissé libre par cette adaptation, renverser devient une arme pour créer une brèche. Quand Weiser mis sous pression sert à nouveau Bender (sur l’image ci-dessous), le ballon a déjà fait « gauche-droite » et s’apprête à ré-arriver sur la gauche, toujours par les pieds de Hrádecký.
Par son pressing, Francfort pensait enfermer le Bayer sur le côté mais Hrádecký est une option pour s’en sortir. Grâce à sa qualité technique, Bender sous la pression d’André Silva va se retourner et jouer calmement sur son gardien qui va ensuite transmettre coté opposé.
Le 4-2-3-1 de l’Eintracht après des renversements successifs : Almamy Touré hésitant entre sortir sur Wendell ou non laisse de l’espace dans son dos où Diaby s’engouffre avant de centrer pour Kai Havertz s’étant inséré dans l’intervalle entre les centraux.
Rapidement, le pressing de l’Eintracht était aisément cassé et ainsi, le Bayer 04 trouvait les moyens de sortir par le jeu court et de progresser ou s’installer dans le camp adverse.
Le pressing du Bayer sur la sortie de balle de l’Eintracht : Trapp pris dans le « pressing trap »
Aussi, les joueurs d’Adi Hütter ont connu des difficultés avec ballon, à commencer par leur incapacité à sortir de la pression haute mise par le Bayer sur sa sortie de balle. Sans solution courte, alors que Bellarabi, Havertz et Paulinho isolaient les centraux ainsi que Hasebe, Kévin Trapp a souvent eu des solutions côté gauche, avec la présence de N’Dicka. Et les a souvent jouées. Ou quand Kévin Trapp se faisait prendre dans le « pressing trap » du Bayer.
Michael Carrick définit ainsi le « pressing trap » dans une interview à Four Four Two : »Forcer l’adversaire à jouer où on le veut. Cela peut se faire en laissant de l’espace au joueur que l’on doit marquer afin que le ballon vienne à lui puis tenter d’intercepter la passe avant qu’elle n’arrive ». Ou « jouer faux » selon Suaudeau, en se positionnant et orientant son corps de telle façon à inciter l’adversaire à jouer dans telle zone, assimilée comme celle à exploiter. Alors quand l’Eintracht se mettait en place pour sortir court, le plan spécial du Bayer se déroulait par le même temps.
Bellarabi sortait sur Hinteregger, Paulinho sur Ilsanker et Kai Havertz sur Hasebe pour créer un 3 contre 3 avec Aránguiz et Baumgartlinger suivant Rode et Kohr dans leurs décrochages, Diaby défendant sur Almamy Touré et Weiser entre N’Dicka et Kostic pour inciter à jouer sur le premier. Derrière, Bender, Tapsoba et Wendell étaient eux à 3 contre 3 face à Kostic, André Silva et Kamada.
Le plan du Bayer face aux sorties courtes de l’Eintracht : mise en place d’un « pressing trap » dans la zone de N’Dicka, latéral gauche.
À la réception des passes de Kévin Trapp, Evan N’Dicka était cadré avec agressivité par Weiser, laissant la défense et le milieu coulisser, bouchant ainsi les lignes de passes courtes ainsi que l’attaque, coupant une éventuelle passe en retrait sur Trapp. Enfermé dans cette zone, le latéral français a souffert et été forcé au jeu long sous pression.
N’Dicka (latéral gauche), le porteur toujours sous la pression de Weiser (latéral droit), sorti sur le temps de passe.
En allongeant dans l’axe, par N’Dicka ou Trapp, Francfort a également souvent peiné. En plus de la supériorité athlétique de Bender/Tapsoba (ou Tah/Tapsoba en raison de la blessure du trentenaire allemand dès la 35ème minute), le Bayer comptait sur la qualité technique de sa charnière et de ses milieux pour mettre rapidement le ballon au sol et annihiler le pressing sur les deuxièmes ou troisièmes ballons de l’Eintracht après avoir joué long. Sur ses séquences, les joueurs de Bosz reprenaient le contrôle du ballon, ceux d’Adi Hütter eux, étaient forcés à se replier dans leur camp face au jeu de position du Bayer qui pouvait finalement se mettre en place.
Le jeu de position du Bayer dans le camp de l’Eintracht : les mouvements de Diaby et Havertz
Les joueurs de Peter Bosz ont fait preuve de mouvement entre les lignes et de supériorité technique dans la circulation. Dotée de deux armes offensives hyper mobiles, la possession du Bayer a pu se permettre d’être joueuse et risquée. Lorsque Havertz parvient à contrôler un ballon dos au but et à le transformer immédiatement en raid vers l’avant, ça aide. Placé à gauche, le jeune français (20 ans) Moussa Diaby crée en toutes conditions. Mais qui (ayant beaucoup d’absents sur les côtés) pourrait avoir envie de s’en passer ?
Dans une sorte de 4-1-4-1 caractérisé par le rôle particulier de Kai Havertz, relayeur haut d’une organisation à 4 milieux offensifs et un attaquant de pointe, le plan offensif de Bosz était destiné à éloigner les joueurs de côtés de l’axe grâce aux mouvements de Diaby et Havertz pour des joueurs dans le cœur du jeu. Ou à fixer le bloc de l’Eintracht côté ballon par les déplacements de Diaby et Paulinho avant de renverser de l’autre côté sur Bellarabi.
Grâce à leurs déplacements, Diaby, Paulinho et Havertz fixent le bloc côté gauche. Bellarabi est seul à l’opposé et va attaquer la surface avec le soutien du latéral, Weiser.
Par ailleurs, Tapsoba s’est montré très utile dans sa capacité à conduire le ballon, et à le lâcher le plus tard possible pour créer un décalage. C’est par la « conducción (la conduite de balle vers l’avant dans une zone libre non couverte permettant de gagner des mètres et de provoquer un décalage plus haut sur le terrain) que le jeune burkinabé de 21 ans, recruté au Vitória Guimarães cet hiver a fait des dégâts. C’est ce qui se produit à la 47ème minute, menant à un but refusé pour hors-jeu, quelques secondes avant le but du 3-0 marqué par Paulinho.
« Conducción » de Tapsoba dans le bloc de l’Eintracht. Almamy Touré emmené sur le côté par Diaby, Ilsanker lui dans l’axe par Paulinho : intervalle créé pour une passe en profondeur
Dans le camp de l’Eintracht, le Bayer s’installait en 2-3-5 avec Bender (puis Tah) et Tapsoba à hauteur du rond central en supériorité numérique (2 vs 1) sur André Silva, les latéraux Weiser et Wendell prenaient place à l’intérieur du jeu comme relayeur droit et relayeur gauche. Entre les deux, Aránguiz avait la responsabilité de construire le jeu. Devant, Paulinho, Havertz et Baumgartlinger évoluaient dans l’axe et faisaient preuve de beaucoup de mouvements (permutations, décrochages). Enfin, Diaby et Bellarabi occupaient un maximum de largeur dans les couloirs pour étendre le bloc de l’Eintracht.
Le jeu de position du Bayer dans le camp de l’Eintracht en 2-3-5.
Avec cette maîtrise territoriale et un joueur offensif dans chacun des cinq couloirs du terrain, le Bayer et son 2-3-5 trouvait des angles de passes ouverts. Dans cette situation, l’objectif principale de l’équipe de Peter Bosz reste le même : bouger pour perturber les marquages adverses dans l’axe, et profiter de la largeur offerte par Diaby et Bellarabi pour faire sortir Almamy Touré et Evan N’Dicka de leur bloc équipe pour enfin attaquer la profondeur dans le demi-espace côté ballon par une passe verticale et combiner pour finir l’action. Une structure réalisée beaucoup plus haut, avec des joueurs différents certes mais équivalente dans l’idée de celle évoquée par Pep Guardiola dans l’ouvrage « Pep Confidential » de Marti Perarnau : « Si nos arrières latéraux se tiennent écartés en phase initiale de construction, l’adversaire copie également ce mouvement et dans ce cas, c’est notre ailier, placé dans un couloir axial, qui peut attaquer l’espace libre. »
Touré est emmené loin d’Ilsanker par Paulinho. Aranguiz n’est pas attaqué et peut envoyer Havertz dans le demi-espace (1). Quelques secondes plus tard (2), Touré est emmené loin d’Ilsanker par Diaby, Wendell est seul pour mettre Paulinho sur orbite dans la surface.
Derrière, beaucoup de centres à ras-de-terre. C’est le cas sur le deuxième but, lorsque Diaby attire Ilsanker pour faciliter la course verticale de Paulinho dans le demi-espace vers la surface, avant qu’il ne délivre la dernière passe au second poteau pour Bellarabi.
Objectif secondaire d’un tel plan : annihiler la vitesse et les transitions offensives des joueurs d’Adi Hütter. Car si le jeu de position du Bayer est mis en échec, l’Eintracht peut très difficilement contrer avec un bloc aussi bas et autant de joueurs investis à défendre. Résultat : peu d’occasions de but concédées et une équipe qui brille défensivement par une admirable transition défensive dans le camp adverse.