Comme un air de déjà-vu en 2016 avec le titre de champion sous Claudio Ranieri, à chaque journée de championnat qui passe les observateurs se demandent si la chute de Leicester va arriver. Pourtant, à la mi-saison, force est de constater que le classement de cette équipe en tant que deuxième du championnat est loin d’être la conséquence d’une intervention divine. Effectivement, cette réussite est d’abord le fruit d’une rencontre entre un entraîneur brillant Brendan Rodgers, différent de son homologue italien, et un effectif de qualité affamé de victoires. C’est ensuite un immense travail, quotidien, couvé par des dirigeants ambitieux, pour donner à cet effectif un véritable style, une identité tactique esthétique et redoutable. Focus tactique sur une équipe passionnante à voir jouer.
Le parcours de Brendan Rodgers
À la lecture des notices biographiques, il est d’emblée intéressant de noter que Brendan Rodgers ne peut pas faire valoir un éventuel passé de joueur professionnel puisque il n’en n’a pas. Natif d’Irlande du Nord, il gravit les premiers échelons du haut niveau en tant que défenseur, notamment à Reading, mais une grave blessure subie dès l’âge de 20 ans met fin à sa carrière. Il s’investit alors très tôt dans la pédagogie et l’entraînement du footballeur. Très sensible à l’école espagnole du football, il se construit en partie à travers cette méthodologie où le déplacement sans ballon, l’occupation des espaces, le collectif, la technique sont au-dessus de tout. Sa rencontre avec un autre entraîneur qui n’a pas été un joueur de haut niveau, en l’occurrence José Mourinho, donne une nouvelle dimension à sa carrière. Entre 2004 et 2006, il entraîne les jeunes du club de Chelsea avant de prendre en main l’équipe réserve des professionnels.
Sa première expérience d’entraîneur principal au sein du monde professionnel a lieu à Watford, alors au bord de la relégation en Championship, et qu’il réussit à fixer à la 13ème place en fin de saison. Il écume ensuite quelques clubs de deuxième division anglaise dont son ancien club Reading et le club gallois de Swansea qu’il fait monter en Premier League en 2011 pour la première fois de son histoire.
Désormais dans la cour des grands, les observateurs ont pu apprécier son parcours avec Liverpool où il participe à l’explosion de Luis Suarez, puis une expérience en Écosse au Celtic avant de prendre les rennes de Leicester en février 2019, à la suite de Claude Puel. De ses expériences et de sa grande connaissance du football britannique, il a imprégné de son style l’équipe des Foxes.
Composition et animation
Leicester joue la plupart de ses matchs en 4-1-4-1. Néanmoins, l’échantillon de matchs sur lesquels l’analyse s’appuie laisse observer une animation en 4-3-1-2 très efficace. Rodgers s’est même permis d’expérimenter un système en 3-4-3 lors du match du 1er janvier contre Newcastle avec une victoire 3-0 à la clé. La flexibilité tactique est l’une de ses caractéristiques. Ainsi, plus qu’un système, ce sont surtout les principes qui régissent son style, les cheminements en phase offensive, les règles en phase défensive qui nous intéressent ici. C’est pourquoi les compositions données juste ci-dessous sont d’ordre indicatif :
Leicester en phase offensive : science du démarquage et jeu dans les intervalles
Les équipes protagonistes se caractérisent presque toujours par un soin très particulier donné à la phase de sortie du ballon dans son propre camp. Au-delà d’une opposition non dénuée de vérité mais souvent caricaturale, entre les équipes « qui allongent » et celles qui ressortent « court », les équipes protagonistes se distinguent surtout par la recherche de l’homme libre, dans un espace libre (ou libéré) dans toutes les zones de jeu. Ainsi, pourfendre le jeu long et sanctifier le jeu court n’a pas de sens dans le football. Ce postulat est fondamental puisqu’il permet à tous les « apôtres » d’un football construit, esthétique et intelligent de ne pas se laisser enfermer dans une case et une étiquette simpliste.
Ceci étant dit, l’équipe de Leicester sort le cuir de son camp très souvent (mais pas exclusivement) par un jeu au sol, fait de redoublement et de déplacements combinés intelligents et harmonieux où la prise de risque est certaine :
Kasper Schmeichel dispose du ballon et décide de repartir en s’appuyant d’abord sur Evans, son défenseur central. La ligne de quatre défenseurs est en place et étagée, soutenue par deux milieux de terrain.
Evans ne libère pas le ballon immédiatement. Il décide d’attendre le dernier moment, c’est-à-dire le déclenchement des courses de harcèlement des Reds pour redonner à son gardien. L’objectif est d’attirer la ligne adverse le plus haut possible pour profiter de l’espace dans son dos et des supériorités numériques. Ndidi, entouré, prend l’information derrière lui.
Söyüncü fait face à Mohamed Salah qui arrive à pleine vitesse. Il ne panique pas pour autant et distribue le ballon côté gauche pour Chilwell. Par l’attraction du joueur égyptien, puis une triangulation et des déplacements pertinents, Leicester profite de l’espace libre dans le dos de Salah pour servir Tielemans.
Tielemans a donc été servi et a pu gagner des mètres alors que Liverpool tente de les enfermer à gauche. Néanmoins, le temps d’avance obtenu par les déplacements combinés et la qualité technique mise dans les gestes au début de la phase de jeu permettent au final à Tielemans d’attirer le bloc d’un côté pour jouer de l’autre. Ici, c’est Ricardo Pereira qui va recevoir le ballon démarqué.
Cette superbe sortie de balle permet de créer un décalage important face à un bloc de Liverpool sur le reculoir. Ici, le défenseur latéral se prépare à devoir gérer deux joueurs de Leicester qui peuvent se projeter dans son couloir.
Dans ces sorties de balle, le portier Kasper Schmeichel s’affirme comme un joueur de champ et participe pleinement au déséquilibre par son jeu en 1 ou 2 touches :
Liverpool s’est légèrement adapté en seconde période et présente ici Naby Keita plus haut pour aider la traditionnelle ligne de trois des Reds. On perçoit ici la volonté de mieux bloquer les lignes de passe et la zone des deux rampes de lancement de Leicester, Ndidi et Tielemans. Söyüncü a le ballon dans les pieds, la solution viendra de son gardien.
La passe vers Schmeichel déclenche la course de Mané. Mais les joueurs de Leicester sont prêts, à l’image de Chilwell qui indique du bras la zone où il faut jouer. De plus, Ndidi se prépare déjà à recevoir le ballon et prend l’information en tournant la tête pour chercher l’homme libre, en l’occurrence Ricardo Pereira.
Cette photo dit déjà beaucoup du style protagoniste de cette équipe des Foxes appuyé par des individualités de grande qualité. Face à ce qui est peut-être la meilleure équipe du monde, en étant mené 1-0 avec la fusée Sadio Mané qui vient harceler, combien d’entraîneurs envisageraient de soutenir l’initiative d’une passe plein axe en une touche du gardien entre deux adversaires pour son milieu de terrain ? Cette initiative sera réussie, l’action pourra s’écouler et Ricardo Pereira sera une nouvelle fois servi avec du temps et de l’espace face à lui.
Soulignons ainsi la qualité du jeu au pied du gardien de Leicester qui permet d’initier de nombreuses sorties de balle dans sa propre surface. Pour revenir à l’idée exprimée en introduction, cette qualité de pied sert également pour sortir plus verticalement par un jeu assez direct :
On observe la qualité du démarquage des milieux Tielemans et Ndidi toujours situés entre deux joueurs de Liverpool et tournant sans cesse la tête pour prendre l’information. Ici, Tielemans a les épaules déjà orientées pour ne pas se retrouver totalement dos au jeu. Il fait bien car Schmeichel, en joueur de champ affirmé, gagne quelques mètres et propose une passe verticale parfaite entre les lignes pour l’international belge.
Grâce à l’orientation de ses épaules et à sa prise d’information avant de recevoir le ballon, il s’immunise contre le retour de Salah et se donne les moyens de déséquilibrer Liverpool. Il peut alors soit jouer court sur Ricardo comme fait précédemment, soit jouer plus direct.
C’est cette dernière option qui est choisie avec cette passe longue pour Vardy qui part en profondeur. Son placement entre le latéral et le central illustre déjà la pertinence de son démarquage.
L’analyse des sorties de balle des Foxes permet de souligner une fois de plus l’inutilité de se focaliser sur le système plus que sur l’animation de celui-ci. Effectivement, dans cette phase de jeu, l’équipe de Rodgers opère une mutation et ressemble bien plus à 4-2-2-2 qu’à un 4-1-4-1 ou un système en diamant. Ndidi et Tielemans viennent se proposer en premier relais, alternativement avec Praet, et d’autres – notamment Maddison – dans ce qui ressemble à un « chaos organisé ». Exemple ici avec le numéro 10 de Leicester :
Alors que Norwich attend son adversaire en bloc médian, Maddison, grand architecte de cette équipe, décide de décrocher dans la zone de son latéral, ce qui pousse ce dernier à se positionner plus haut. Dès lors, il peut recevoir le ballon face au jeu et utiliser sa qualité de pied pour créer un décalage plus bas sur le terrain.
Grâce au déplacement de Ndidi qui – suivi par son vis-à-vis – libère l’espace derrière lui, Maddison peut conduire le ballon pour aller fixer la deuxième ligne défensive adverse.
Les déplacements combinés des milieux et attaquants de Leicester permettent de transformer cette sortie de balle en attaque placée de qualité : Tielemans et Praet se placent parfaitement entre les lignes dans les « carrés », ces demi-espaces cruciaux à occuper. Par ce biais, ils fixent un maximum de joueurs de Norwich qui ne souhaitent pas ouvrir l’axe ballon-but. L’espace libre se situe donc couloir droit ou Ricardo Pereira entame son effort.
C’est finalement Iheanacho, l’attaquant en décrochage qui reçoit la sphère. Le bon placement initial de tous ses coéquipiers permet une grande variété de passes et de courses. Cette image et les flèches illustrent quelques-unes d’entre elles.
Iheanacho choisit de rentrer à l’intérieur pour combiner avec Tielemans qui va décaler Ricardo pour un centre pendant que Praet ouvre la ligne de passe par une course en profondeur. Le centre ne donnera rien malheureusement mais c’est une belle situation qui vient d’être créée.
Dans la phase offensive de Leicester, James Maddison, dispose d’un rôle fondamental. Avec 6 buts et 3 passes décisives, 2,5 passes clés par match le jeune numéro 10 de 23 ans sublime toute l’animation offensive de son équipe. Pourtant, même si l’image précédente l’illustre bien, sa plus grande force n’est pas forcément de redescendre très bas pour lancer les actions. Il brille surtout par la qualité de ses déplacements dans les intervalles, dans l’angle mort des défenseurs où il peut mettre en avant la qualité de sa première touche de balle, son sens du jeu pour mettre ses coéquipiers dans les meilleures dispositions ou bien finir les actions.
Par ailleurs, ce qui saute aux yeux de l’observateur lorsqu’il souhaite analyser la phase offensive de cette équipe, c’est la qualité du jeu sans ballon de chaque joueur sur le terrain. Tous semblent savoir ce qu’ils doivent faire, comment se déplacer, dans chaque zone du terrain.
Ce plan large permet de visionner le positionnement d’ensemble des joueurs de Leicester en phase d’attaque placée : on y observe des latéraux très hauts dans des couloirs qui leur sont laissés libres. Vardy et Iheanacho fixent la ligne de quatre défenseurs en se plaçant entre deux. Les milieux varient, entre jeu en profondeur, jeu en remise et proposent des déplacements qui correspondent : dans le dos ou devant l’adversaire. Quant à Evans, il n’hésite pas à gagner des mètres balle au pied.
La variété des attaques placées et des cheminements proposés permet d’obtenir très souvent un temps d’avance sur l’adversaire.
Evans reçoit le ballon de son coéquipier et prend ses responsabilités en attaquant l’espace face à lui pour aller directement fixer la ligne de milieux adverses.
Tous les joueurs offensifs de Leicester sont positionnés devant le ballon dans des intervalles, entre deux adversaires. Ce placement permet de fixer les joueurs de Norwich tout en étant disponibles pour la passe verticale distillée ici par Evans à Praet. Ce dernier dévie en une touche pour Ricardo Pereira.
Ricardo Pereira joue à son tour en une touche à l’intérieur pour Iheanacho qui remise sur Praet qui a continué sa course après sa remise.
Malheureusement, le dernier contrôle de Praet est manqué et l’empêche de finaliser cette attaque placée par une frappe. À noter qu’il aurait pu également donner le ballon à Maddison. La combinaison réussie avait permis d’attirer beaucoup d’adversaires et ainsi de libérer un espace pour une éventuelle frappe du numéro 10 aux abords de la surface.
Cette première séquence met en avant quelques principes clés travaillés par Brendan Rodgers dans la phase offensive. La responsabilisation des défenseurs centraux, le jeu en une touche de balle, la projection des relayeurs dans les demi-espaces en font partie.
En outre quelque soit le système aligné, avec un ou deux attaquants, Brendan Rodgers semble leur demander beaucoup de mobilité et de dézonage. Cette règle d’action correspond parfaitement bien aux caractéristiques naturelles des joueurs tels que Vardy et Ihenanacho, toujours en mouvement.
De plus, l’une des très grandes forces de Leicester lorsqu’elle attaque son adversaire réside dans la qualité des cheminements et des combinaisons dans les couloirs et les demi-espaces qui y sont accolés :
Söyüncu est en conduite de balle face au bloc adverse. À l’image des séquences précédentes, il prend ses responsabilités à la relance en gagnant des mètres balle au pied.
L’international turc s’insère au cœur du bloc adverse, absorbe la pression dans son dos, attire des adverses et déclenche une passe verticale côté gauche pour Chilwell lancé. On observe encore une fois la discipline dans le placement de Maddison, Vardy et Iheanacho chacun dans un espace distinct.
Le numéro 7 d’Aston Villa McGinn est désormais en retard et sans compensation quelconque, Leicester se retrouve avec un 3 contre 2 à jouer à gauche.
C’est un nouveau circuit en triangle dans le couloir et le demi-espace qui finalise le décalage. Le temps de retard d’Aston Villa est très bien utilisé.
Six joueurs d’Aston Villa sont dans la surface contre trois joueurs de Leicester. Malheureusement tous leurs regards semblent orientés sur le ballon et non sur leur vis-à-vis. Un appel croisé entre Vardy et Iheanacho suffit à semer la panique et le centre au premier poteau de Maddison trouve l’international nigérian qui conclut en une touche.
Si Alexander Arnold et Robertson sont assurément la meilleure paire d’arrière latéraux d’Angleterre, le duo Ricardo Pereira et Ben Chilwell vient se placer juste derrière. Leur impact et leur participation aux offensives est déterminant :
Ben Chilwell s’apprête à recevoir un ballon côté gauche suite à une remise de Vardy.
Chilwell a vu l’espace dans le dos de son adversaire et décide de remiser sur Maddison pour attaquer celui-ci.
Maddison est clairvoyant : plutôt que de servir de nouveau Chilwell, il voit loin et sert Tielemans qui s’est excentré en proposant un relais. Ce choix permet à Chilwell de prendre de la vitesse et de proposer un dédoublement à l’intérieur.
Youri Tielemans trouve un trou de souris pour exploiter l’espace dans le dos du latéral sorti sur lui. La passe réussie permet de trouver Chilwell. Encore une fois, la maxime simple : trouver l’homme libre dans un espace libre ou libéré.
Le décalage aboutit à un centre au deuxième poteau pour les attaquants en 2 contre 3 dans la surface. Malheureusement, cela ne se terminera pas par un but.
Le jeu long même s’il n’est pas aussi présent que dans une équipe comme Liverpool, est parfois utilisé pour faire des décalages :
Récupération du ballon de Chilwell côté gauche après le gain de son duel.
Il prend l’info sur l’espace et les joueurs libres devant lui avant d’amorcer une relance longue.
Au milieu de deux adversaires et contre la ligne, Youri Tielemans réussit un magnifique contrôle ‘porte-manteau’ pour maîtriser la sphère.
La suite, c’est une démonstration de prise d’espace et de coordination : dès que le ballon touche le sol, Vardy entame une course profonde dans le dos du latéral. L’international belge ne se prive pas de le servir.
Le décalage est fait et le numéro 9 de Leicester porte le ballon jusque dans les 20 mètres. Pendant ce temps, Gray attaque la surface de réparation pour proposer une solution.
La passe de Vardy est très intéressante puisque dans le bon tempo, entre deux adversaires et en retrait. Malheureusement Gray ne négocie pas correctement la fin de sa course et n’arrive pas à transformer cette passe en occasion concrète.
La longueur de cette partie témoigne de la force de la phase offensive de Leicester. Brendan Rodgers utilise à merveille la force de son effectif : des joueurs très mobiles, au gros volume de jeu, capables de recevoir dans les pieds et de jouer en profondeur tout en possédant une technique individuelle solide. Cela donne des cheminements très variés où la science du déplacement de chacun est mise en exergue constamment. L’idée consistant à chercher l’homme libre dans un espace libéré est parfaitement visible dans cette équipe. Capable de jouer à l’intérieur, en appui autour de ses attaquants, cette équipe est surtout une référence pour quiconque souhaite savoir comment créer des décalages sur les côtés.
Si James Maddison est celui qui permet de donner une envergure supplémentaire à l’animation, le rôle de Vardy en tant que finisseur est crucial. La phase de finition se caractérise surtout par des centres ou des duels face au gardien suite à une attaque en profondeur. Avec Jamie Vardy en finisseur (17 buts et 3 passes décisives en janvier 2020), Leicester dispose d’une gâchette redoutable.
Néanmoins, avec 19 buts encaissés, Leicester est aussi la deuxième meilleure défense de Premier League.
Intensité, vitesse et ruse : des Foxes redoutables en phase défensive et en attaque rapide
La phase défensive de Leicester est très efficace parce qu’elle implique l’ensemble du collectif. Chaque joueur semble connaître sa mission, son rôle, ce qui donne une grande cohérence visuelle à l’ensemble de l’animation. L’ambition de Brendan Rodgers et les siens est d’essayer de défendre en avançant y compris face aux grosses écuries. L’objectif est clair et partagé par beaucoup d’équipes européennes : fermer l’axe ballon-but, enfermer l’adversaire côté pour récupérer le ballon le plus haut possible :
Configuration de pressing haut contre Liverpool : Vardy en premier rideau pour gérer le défenseur central en possession. Barnes, Praet et Maddison l’accompagnent et se préparent à fermer les solutions courtes. Les courses de harcèlement vont se déclencher dès qu’Alisson Becker effectue sa passe pour Van Dijk.
Liverpool oriente le jeu à gauche, l’objectif est de l’empêcher de sortir de cette zone. Les joueurs savent ce qu’ils ont à faire comme l’atteste leur langage non-verbal. C’est Tielemans qui suit les ordres et prépare une course pour cadrer Henderson.
Barnes exécute la stratégie défensive avec brio. Il sort sur son opposant pour le cadrer et l’empêcher de trouver une passe dangereuse. Toutes les solutions à proximité sont bloquées par le marquage serré des Foxes.
Sept joueurs de Leicester sont impliqués dans la fermeture du côté. Mané qui a décroché est pressé par Ricardo qui le suit. La situation est propice à la création d’une erreur de relance chez les Reds.
La passe de Sadio Mané est ratée et donne l’opportunité à Vardy de récupérer le cuir et de lancer une combinaison à 40 mètres du but. L’ambition et le travail de ce collectif a payé.
Cette équipe ose prendre des risques et ce pressing haut en marquage mixte peut se transformer en marquage quasi-individuel sur tout le terrain pour aller récupérer le cuir encore plus loin chez l’adversaire :
Leicester se retrouve mené en score. Il n’est pourtant pas question d’abandonner le plan de jeu initial. Dennis Praet vient plus haut accompagner Vardy en tant que second attaquant. Cela permet d’installer un marquage individuel sur chaque joueur des Reds dans leur camp et d’accentuer la pressing. Alors que Jo Gomez semble avoir trouvé l’homme libre dans l’axe, Ndidi, hors champ, va sortir de sa zone pour le harceler.
Par sa course de cadrage, l’international nigérian pousse le milieu des Reds à jouer vers l’arrière. Cela permet aux Foxes de maintenir la pression puisque Maddison va pouvoir sortir sur Alexander Arnold pour le pousser à dégager le ballon.
Alexander Arnold transmet en une touche à Wijnaldum sur le côté droit et proche de la ligne de touche. Ce dernier, qui subit la pression de Chilwell va manquer son contrôle et permettre le gain de la touche dans le camp adverse pour Leicester.
Cette équipe aime presser haut pour empêcher l’adversaire de sortir proprement lorsqu’il est en phase de sortie de balle. Mais cette volonté se décline aussi en « pressing à la perte » lorsque un joueur de Leicester perd le ballon en phase offensive. En effet, celui-ci n’hésite pas à rester loin de sa zone s’il le faut pour bloquer l’adversaire :
Iheanacho tente une remise pour son coéquipier Dennis Praet. Malheureusement, celle-ci est mal exécutée et va se retrouver dans les pieds d’un joueur de Norwich.
Le joueur de Norwich va tenter de sortir de la pression proprement. Les Foxes décident de ne pas reculer et c’est Ricardo Pereira qui se charge de suivre son adversaire côté pendant que ses partenaires s’organisent.
Tous les coéquipiers du Portugais l’accompagnent pour enfermer le joueur de Norwich. Chacun se charge d’un marquage dans l’espace de jeu. Le relanceur des Canaries tente alors d’allonger.
C’est Ben Chilwell qui récupère ce dégagement hasardeux. La proximité entre les joueurs de Leicester permet immédiatement d’enclencher une nouvelle attaque notamment en sortant de la densité.
Toutefois, ce serait se méprendre que de penser que Leicester pratique un pressing tout terrain le plus longtemps possible. Ce pressing est une configuration défensive mais pas forcément la plus fréquente. Défendre en bloc médian, pour faire sortir le bloc adverse et utiliser la profondeur dans son dos est une volonté affichée de ce collectif bien rodé. La maîtrise des attaques rapides est dans l’ADN de Leicester au moins depuis son titre de champion obtenu en 2015-2016.
Vision du bloc en 4-3-1-2 diamant positionné à la médiane : l’axe est densifié et les couloirs laissés libres pour coulisser dans cette zone sur le temps de passe.
Autre configuration médiane récurrente chez Leicester : le 4-4-2 à plat. Ici on observe la grande compacité du bloc équipe et notamment Ndidi qui, sur ses appuis, tente de fermer la ligne de passe derrière lui tout en restant dans sa zone. À noter que le porteur de balle n’est pas cadré et que l’équipe des Foxes s’expose à un jeu long dans son dos dans cette configuration.
Toute la ruse des Foxes se révèle dans cette phase de défense placée suivie d’une contre-attaque salvatrice :
Ballon côté gauche pour Aston Villa. L’association du bon positionnement avec un losange qui coulisse couloir, une défense comportant des couvertures et de l’agressivité empêche l’adversaire de progresser.
Après avoir reculé, l’attaquant d’Aston Villa insiste avec cette passe entre deux au cœur du bloc. Mais celle-ci sera interceptée comme prévue par Leicester.
Immédiatement après la récupération, Youri Tielemans cherche verticalement l’un de ses attaquants positionnés hors de l’écran. L’ensemble du bloc remonte.
Iheanacho, après un sublime petit pont sur Nakamba revenu en retard, sert Vardy en profondeur. Ce dernier ne se gêne pas pour attaquer l’espace béant entre les deux défenseurs centraux.
Malgré un adversaire qui revient sur lui et un gardien qui sort, Vardy n’est aucunement en difficulté : il gère avec son corps en obstacle le défenseur à sa gauche et va contourner le gardien par la droite pour finir dans le but vide. Cela fait 1-0 pour Leicester.
Cette séquence montre la qualité des milieux pour toucher rapidement un attaquant juste après avoir récupéré la sphère. Même si cette paire d’attaquants n’a pas été alignée ensemble souvent durant la saison, elle affiche une très belle complémentarité dans les déplacements et dans l’envie de jouer l’un pour l’autre.
Autre configuration d’attaque rapide, mais effets similaires pour l’adversaire :
C’est Aston Villa qui attaque le but des Foxes avec ce corner récupéré par Ricardo. Celui-ci décide d’envoyer une longue passe vers ses attaquants.
Le long ballon n’arrive malheureusement pas jusqu’à un joueur de Leicester. Cependant, le défenseur d’Aston Villa envoie son coup de tête directement sur Dennis Praet, ce qui donne une vraie chance de lancer une attaque rapide.
Jamie Vardy est d’ores et déjà bien placé entre les deux défenseurs et encore dans son camp sur le temps de passe, ce qui lui garantit de ne pas être hors-jeu. Dennis Praet connaît la qualité de son partenaire dans le jeu en profondeur. Il envoie une passe parfaite dans la course de l’international anglais.
La charnière d’Aston Villa ne reviendra jamais sur le Renard parti à toutes jambes : il crucifie de nouveau le gardien dans un face à face de toute beauté.
Quelle que soit la position du bloc sur le terrain, Leicester trouve le moyen de sortir et d’exploiter les espaces laissés libres par l’adversaire. Pour expliquer la solidité défensive de cette équipe, il faut souligner la saison exceptionnelle qu’est en train de réaliser Wilfred Ndidi. La qualité de ses déplacements et son volume de jeu, permet de compenser de nombreuses projections de ses adversaires. Avec 4 tacles et 3 interceptions par match en moyenne (meilleurs chiffres de Premier League) il sait intervenir à propos pour couper les attaques adverses.
Les axes de progrès
Si cette équipe est si complète et si puissante dans de nombreuses phases de jeu, comment expliquer les grosses défaites contre Liverpool et City ? Quels sont les axes de progression ? D’abord si Leicester aime exploiter les espaces dans le dos des défenses adverses, Söyüncü et Evans détestent défendre en reculant face à un adversaire lancé dans un espace. Ce genre de situation peut s’avérer problématique et entraîner de nombreuses situations dangereuses pour l’adversaire. Toutefois, soulignons que les défenseurs centraux, en particulier le jeune international turc Söyüncü, disposent d’une très bonne lecture du jeu. Ils anticipent très bien les déplacements adverses et savent se présenter avec un temps d’avance et sans se jeter.
Par ailleurs Liverpool est une équipe qui sait utiliser avec brio le jeu long. Ces séquences répétées des Reds ont laissé transparaître des difficultés à coulisser d’un côté à l’autre notamment en 4-4-2 diamant, système dès le départ difficile pour maîtriser la largeur. En outre, les coups de pied arrêtés défensifs et les ballons aériens dans l’ensemble ne sont pas le domaine de prédilection des joueurs de Brendan Rodgers.
Enfin, notons que si le onze de départ est très alléchant et que Brendan Rodgers n’hésite pas à faire tourner surtout pendant le « boxing day » et les fêtes de fin d’année, il ne dispose pas de grandes alternatives si certains joueurs clés se blessent tels que Vardy bien sûr, mais aussi Ndidi, Maddison ou Söyüncü. Réussir à conserver cette colonne vertébrale tout au long de la saison apparaît comme une nécessité pour pouvoir rejouer la Ligue des champions.
Conclusion
Les Expected Goals avec 46 buts pour 34 attendus et les Expected Points laissent apparaître une équipe en surrégime. Pour autant, la magie va-t-elle totalement s’estomper? L’analyse globale laisse entrevoir un autre destin. Brendan Rodgers s’appuie déjà sur un travail de fond réalisé par les dirigeants et l’ancien entraîneur Claude Puel sur lequel il peut capitaliser. En témoigne l’éclosion de Maddison déjà entamée sous Puel et le recrutement intelligent de Söyüncü pour remplacer Maguire. De surcroît, l’observation des matchs de cette équipe laisse observer une véritable harmonie entre le coach et ses joueurs. Arrivé en février 2019, il a su implanter des cheminements et des règles d’action auxquels les joueurs ont adhéré pour ensuite les interpréter avec brio. Très clairement cette équipe au budget certes conséquent mais sans grande star propose un football protagoniste. À rebours de certaines idées, elle est gérée par un coach qui ne peut se gargariser d’un grand parcours de joueur professionnel. Et pourtant, elle est un régal à voir jouer pour tout observateur souhaitant apprendre comment se démarquer, comment jouer entre les lignes en phase offensive. Leicester c’est aussi un modèle en phase défensive, où chaque joueur sait ce qu’il a faire ce qui permet notamment de proposer des attaques rapides efficaces. Aucun doute, si les joueurs clés restent en forme et si le management de Brendan Rodgers continue à fonctionner, cette équipe peut aller loin.
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