Les exemples d’entraîneurs « protagonistes » ne manquent pas. Dans ce cadre, l’analyse du joueur est parfois le meilleur reflet de la vision de son entraîneur et de tous ceux qui ont participé à sa « révélation ». Ainsi, le match de FA Cup joué et perdu par Leeds contre Arsenal est révélateur à quel point le rôle du gardien à travers son jeu au pied est chaque jour plus important pour lancer des actions et bonifier la créativité de l’équipe. Décryptage par l’exemple d’Illan Meslier, international espoir français, qui a su faire l’étalage de la délicatesse de son pied pour son premier match titulaire le 6 janvier dernier.
Illan Meslier en quelques mots
À l’image des jeunes qui sortent des études à la recherche de stages, le CV d’Illan Meslier peut paraître léger au premier abord. Et pourtant… Né en 2000, il commence son parcours dans la région bretonne et intègre le réputé centre de formation du FC Lorient dès l’âge de 9 ans. Celui-ci est dirigé par Régis Le Bris depuis un certain nombre d’années, qui défend une idée du football protagoniste. Il est assisté par une équipe d’éducateurs partageant pour beaucoup la même vision, à l’image d’un Thierry Guillou désormais au SM Caen mais passé longuement par le FCL.
Illan Meslier franchit les différents paliers avec réussite jusqu’aux portes du groupe professionnel. Il est d’ailleurs convoqué dans les effectifs de l’équipe de France U18, U19, U20 et U21. Concurrencé par Paul Nardi cette saison, il prend le risque de s’expatrier à l’étranger pour continuer son apprentissage auprès de l’expérimenté Kiko Casilla mais surtout de Marcelo Bielsa. C’est dans ce contexte qu’il est titularisé pour la première fois samedi dernier.
Dans cette affiche de FA Cup face à Arsenal (au sein duquel évolue Mattéo Guendouzi autre ancien pensionnaire du centre de formation du FC Lorient), son rôle tactique est central. Comme l’a perçu Bielsa et son staff, Mikel Arteta va chercher à presser haut la ligne défensive des Whites. Dans ce contexte, pour pouvoir développer un football construit, Meslier savait que ses coéquipiers et son coach attendaient de lui qu’il se montre disponible afin d’être une solution de passe et une plateforme de relance face à la pression adverse.
Analyse du jeu au pied d’Illan Meslier : ou comment détruire le pressing adverse
Marcelo Bielsa et Mikel Arteta partagent un principe commun que l’on peut résumer de la sorte : dans le football il y a toujours une équipe qui utilise plus le ballon et l’autre qui court après. Tous les deux ne souhaitent pas être l’équipe qui court après la sphère mais l’équipe qui confisque celle-ci. Cela passe par une phase de récupération très travaillée. Dès lors, il s’agit de presser, a minima par séquence, et de placer ses joueurs haut sur le terrain, non pas dans une posture attentiste mais dans une posture protagoniste. L’objectif n’est pas de défendre mais « d’attaquer la défense » !
Cela donne des matchs très relevés, très intenses dans lesquels l’une des clefs tactiques consiste à l’élimination du pressing adverse. C’est là que le rôle du gardien et particulièrement d’Illan Meslier prend tout son sens :
Face à Özil et Lacazette placés en premiers harceleurs, Leeds utilise sa supériorité numérique en 4 contre 2 dont Meslier pour former un diamant et conserver le cuir en jouant sur la largeur du terrain.
Par l’intermédiaire de son défenseur central Berardi, Leeds attire le bloc adverse sur un côté. Philipps, milieu central, perçoit qu’Arsenal est en position pour les enfermer et décide de s’appuyer sur son gardien en une touche.
La lecture de la situation est parfaite pour Meslier. Le bloc des Gunners est sorti à droite, Nelson vient de s’incorporer à cette première ligne pour presser l’autre défenseur central de Leeds : l’homme libre se situe donc dans son dos. Il s’agit maintenant pour le jeune portier de pouvoir transformer cette idée en réalisation technique en réussissant une passe mi-longue.
Pour capitaliser le temps d’avance obtenu grâce à sa très bonne lecture du jeu, celle-ci permettant d’initier un décalage dans le camp adverse, et face à la pression de Nelson qui revient, le jeune gardien de 19 ans a dû réaliser la passe parfaite. C’est chose faite comme l’image en témoigne.
Deuxième séquence où le jeune gardien fait usage de son talent dans un registre proche :
Situation relativement similaire ici avec Arsenal qui cherche à presser haut dans le camp adverse dès qu’une passe latérale est enclenchée. Malgré la demande du bras de Philipps d’orienter directement le cuir vers son gardien, Berardi va prendre le risque de s’appuyer sur Philipps.
Cette passe à l’intérieur très risquée est loin d’être anodine car elle permet d’aspirer pour de bon le bloc d’Arsenal à l’image de la situation précédente.
La pression est accrue mais l’objectif tactique est réussi : aspirer la première ligne et s’appuyer sur le jeu au pied du gardien, créer un décalage par-dessus celle-ci pour un latéral placé plus haut à droite ou à gauche. Pour son premier match officiel, le gardien formé à Lorient dispose d’une grande responsabilité puisque la qualité de ses passes conditionne le reste de l’action. Il continue de briller avec une nouvelle passe réussie, cette fois-ci en une touche de balle.
L’homme libre a été trouvé dans un espace libéré : Leeds va pouvoir créer du danger dans le camp adverse.
Cette troisième séquence est intéressante car elle montre la capacité du gardien à absorber la pression pour, une nouvelle fois, créer le décalage :
Meslier vient de recevoir le ballon de son latéral droit, il contrôle celui-ci mais ne se précipite pas pour le renvoyer. Pourtant, Lacazette a déjà entamé une course de harcèlement.
Une provocation ? Au lieu d’accélérer dans sa gestuelle, le jeune portier oriente ses épaules dans la zone qui l’intéresse mais surtout stoppe le ballon de la semelle. Lacazette en est surpris, et marque un temps d’arrêt dans sa course avant de reprendre. Par ce biais, le gardien prend vraiment le temps de fixer.
Derrière c’est un modèle de réalisation technique sous la pression : le corps est déjà orienté dans la direction voulue. Lacazette, malgré sa présence à quelques centimètres est en réalité loin de pouvoir récupérer la balle : le pied d’appui, la cuisse jusqu’au bras constituent des obstacles. Le ballon est placé à distance raisonnable de l’international français. Ces détails ne sont pas anodins au plus haut niveau car ils donnent juste le temps qu’il faut à l’ancien gardien breton pour ajuster une passe précise alors que le bloc des Gunners est aspiré.
Une dernière configuration majeure s’est présentée à l’ex-lorientais, le jeu long pour l’homme libre directement dans le camp adverse :
Sur cette séquence, on retrouve presque exactement la même situation de jeu que celle déjà évoquée : un bloc aspiré d’un côté et un gardien utilisé comme ressource. Seulement la réponse technique apportée est différente : il choisit non pas le jeu « mi-long » mais la passe directement dans le camp adverse.
Dans ce registre aussi, la réalisation technique est parfaite. Dès lors, malgré la présence d’un adversaire très proche, cela laisse la possibilité à Harrison de contrôler avec un peu de temps.
Le contrôle d’Harrison sublime cette relance. Il est effectué de l’extérieur du pied gauche, dans le sens contraire de la course de son défenseur et vers un espace libre. L’association de ces deux gestes techniques réussis permet à Leeds d’effacer la pression d’Arsenal.
Conclusion
Au-delà de sa performance très intéressante balle au pied, un chiffre souligne aussi la qualité de son match dans son aspect plus classique : 16 frappes d’Arsenal, 6 cadrés, 6 arrêts dont 4 dans la surface de réparation (le but provenant d’une situation gag où sa responsabilité est difficilement envisageable). Les observateurs aiment comparer Illan Meslier à Thibault Courtois surtout lorsqu’ils notent sa taille qui s’élève à 1m96.
Même si l’on souhaite une carrière aussi belle à ce jeune portier, notons dès maintenant que le jeune international français dispose d’ores et déjà d’un jeu au pied très intéressant (déjà supérieur ?) à son homologue belge. Tout l’enjeu pour lui sera la continuité. Effectivement, un dicton résume l’idée force concernant ce gardien : « faire c’est bien mais reproduire c’est mieux ». Sera-t-il capable de le réaliser et de s’imposer dans les cages des Whites face à un Kiko Casilla âgé de 34 ans ?