À sept journées du terme de la Liga, le Getafe de Bordalás et l’Alavés d’Abelardo bousculent la hiérarchie régionale et nationale. Toujours orientés vers leurs buts, une philosophie qui fait école en Espagne et stimulés par le système, ces clubs sont aux portes de l’Europe.
C’est une quête éternelle formée à l’antipode de deux régions à l’espace limité. D’un côté, celle d’un club mineur qui a connu des superbes années au début de l’an 2000 avant de rechuter jusqu’en troisième division, mais qui, grâce à une philosophie de jeu bien rodée et poussée à son extrême, arrive à faire mieux que ses grands frères. C’est l’histoire d’Alavès, septième de Liga, une équipe moins douée que ses ainés l’Athletic Bilbao, la Real Sociedad et Eibar, lesquels elle devance pourtant au classement cette saison. De l’autre côté, celle d’un club hyper récent (1983) qui force à exister au sein d’une ville où quatre autres clubs évoluent en première division. C’est l’histoire de Getafe, né longtemps après le Real Madrid, l’Atlético Madrid, le Rayo Vallecano et Leganés mais qui par son approche radicale du football est quatrième de Liga. Deux petits qui jouent comme des petits, mais qui le font comme des grands.
Des promus qui poussent
À l’été 2015, José Bordalás devient l’entraineur d’Alavés et obtient la montée en Liga au terme de la saison. Mais le club basque champion de deuxième division modifie sa direction sportive et le licencie. Interrogé par Marca, il expliquait : « Je ne m’attendais pas à cette décision. Je pense que nous avions mérité qu’ils nous fassent confiance en première division. J’avais entièrement confiance pour la suite ». Ses missions réussies à Alavés, Alcorcon ou Elche et sa connaissance de la division l’emmènent à y revenir avec Getafe. Toni Munoz, directeur sportif du club entre 2008 et 2017 indiquera plus tard : « Il était l’entraîneur idéal pour ce qu’on voulait construire. On avait totalement confiance en lui pour être promus à la fin de la saison ». Car une nouvelle fois, son club remonte immédiatement. Lors de cette saison et la seconde qui propulse Getafe à la huitième place de Liga, il démontre une grande connaissance du jeu et façonne une équipe intense et incommode. Avec Bordalás, le Coliseum Alfonso Pérez porte mieux que jamais son nom. Un choix et une trajectoire surprise qui amène aujourd’hui Getafe aux places qualificatives de la Ligue des champions.
S’il fallait prouver qu’un changement de direction sportive n’accouche pas toujours d’une gouvernance déterminée et cohérente, le cas d’Alavés serait précieux. En décembre 2017, alors que le club est dix-septième et cherche à se relever, la direction pensait quelques temps faire venir l’entreprenant Paco Jémez. Mais finalement c’est l’ancien joueur de Gijón, du FC Barcelone et du Deportivo Alavés, Abelardo Fernández qui débarque. Son arrivée souligne l’absence de conviction de la direction qui oscillait entre deux techniciens aux manières antagonistes de faire joueur leurs équipes : Paco Jémez se veut protagoniste avec la balle, Abelardo préfère gérer l’espace sans elle. Tout compte fait, la direction a trouvé ce qui seulement l’intéressait, à savoir la rapidité et les résultats. Bilan : à la fin de la première année, le club termine neuvième et aux trois-quarts de celle en cours, Alavés joue les places européennes.
Un campement méthodique
La formule tactique est complète. Troisième meilleure défense du championnat et huitième, les analogiques Getafe-Alavés sont des formations très solides et verticales qui présentent un style de jeu très net. Extrêmes dans leur positionnement sans ballon, elles passent leur temps à réduire les espaces dans le cœur du jeu, emmener le rival sur les côtés et protéger leurs surfaces. En attaque, elles se projettent à toute vitesse ou jouent long sur leurs grands attaquants qui permettent de rapidement créer des déséquilibres. Une formule tactique proche de l’Atlético Madrid de Diego Simeone et des équipes de Marcelino. Toutefois, moins dogmatique que les deux techniciens, José Bordalás détaille : « Il y a différents modèles de jeu. À la fin, vous en utilisez un en fonction du talent et du profil des joueurs que vous possédez. Si vous n’avez pas de joueurs techniques en défense et que vous voulez sortir la balle au sol en combinant, il est normal que vous ayez des difficultés et que vous perdiez des ballons dans des zones à risque. Même si tu aimes jouer comme ça, c’est simplement du suicide. »
Dans la tâche d’éviter tout sacrifice volontaire ou involontaire de son équipe, Bordalás insuffle à ses joueurs sa passion pour la culture romaine et son esprit d’organisation : « Ma façon de jouer est liée à la structure des armées romaines. Si nous sommes tous liés et allons dans la même direction, nous sommes plus fort. À moins d’avoir un Alien comme Messi à Barcelone, une équipe doit ramer dans la même direction sinon c’est difficile. Le groupe doit être uni, c’est l’une des vertus permettant d’avoir les meilleurs résultats. » Abelardo enlace lui-aussi ces idées : « Ce n’est pas parce que nous n’avons pas la possession que nous sommes une équipe défensive. Nous n’avons pas beaucoup le ballon, mais nous essayons toujours d’être verticaux. La base, c’est avant tout l’ordre et de ne pas douter. » Christian Gourcuff, grand disciple de Sacchi ajoute : « Les Romains ont vaincu parce qu’ils étaient proches les uns des autres. C’est tout aussi essentiel dans le football. C’est fondamental ». C’est la base de la réussite de l’Atlético Madrid de Diego Simeone, une des meilleures équipes du continent sur le plan défensif. À l’Atlético comme à Getafe et Alavés, un double mur de quatre joueurs – plus les deux attaquants – se dresse sur les attaques placées de l’adversaire. Compacts et sereins, ces blocs rendent généralement l’adversaire impuissant. En esprit.
Si Getafe est souvent critiqué de ne pas prendre de risque, d’être « moche et chiant », en d’autres termes d’être une équipe d’anti-football, pour autant, sa stratégie défensive, « c’est une équipe qui vous met mal à l’aise » selon Valverde, n’implique pas forcément la destruction et l’absence de spectacle. Car cette destruction se transforme bien souvent en construction d’une danse, d’un nouveau tableau à travers un (gegen)pressing ou une pression très haute. C’est l’une des forces de l’équipe de Bordalás : la mise en œuvre d’un effort défensif spectaculaire qui met en lumière une intelligence tactique remarquable. Face au Betis, positionnés beaucoup plus haut et plus agressifs, ils bloquaient les hommes de Quique Setién dans leur camp, voulant absolument ressortir au sol malgré la pression. De la beauté de la défense.
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La grandeur des paires
Sur le papier, aucun nom ne se détache d’un ensemble harmonieux mais dépourvu de stars. Les effectifs, composés majoritairement d’éléments ayant pas mal bourlingué entre de nombreux petits clubs nationaux, sont intrinsèquement voués à se positionner en deuxième partie de classement. Une situation que le tableau des chiffres promeut encore plus : Getafe (43,4%) et Alavés (44,5%) ont les taux les plus faibles de possession en Liga. Et les pourcentages les plus faibles de passes réussies (64,2% pour Getafe 64,2%, 70,5 pour Alavés) en Liga, s’alignant de surcroît sur les plus faibles d’Europe. Mais ni le papier, ni les chiffres – ou seulement quelques-uns – ne permettent d’exprimer leurs réussites. La supériorité des deux campements est révélée par leurs volontés de laisser délibérément la possession du ballon aux rivaux et de rapidement jouer à sa récupération.
Dans leurs mondes, l’axe est protégé par une forteresse, autour de laquelle des tranchées sont volontairement mises en place pour y enfermer l’adversaire ou forcer sa perte de balle. Au cœur de leurs fortifications, les couples Djené-Cabrera (Getafe) et Laguardia-Maripán (Alavés), ceux qui ont les meilleurs rapports de duels aériens remportés par des défenseurs de Liga, sont les patrons de deux systèmes collectifs où la récupération très basse est la clé qui ouvre la porte de l’attaque. Avec le ballon, ils utilisent deux méthodes : la vitesse des joueurs de couloirs et la complémentarité du duo d’attaque.
La première est celle majoritairement utilisée. En fermant la voie centrale et ouvrant les portes sur les côtés aux rivaux, Getafe et Alavés sont en position favorable pour jouer la transition. Une fois la balle récupérée, les équipes écartent rapidement pour lancer les joueurs de couloirs chargés de transporter le cuir jusqu’à la surface adverse. Mais tout part de l’axe, où les duos Arambarri-Maksimović et Pina-Manu García, respectivement pour Getafe et Alavés, jouent un rôle crucial dans l’équilibre du système et dans les mécaniques d’échanges. La qualité technique des deux joueurs reculés permet de déclencher les courses sur les côtés où la finesse de centre des ailiers donnent lieu à des situations dangereuses. À Getafe, Francisco Portillo accompagné par Antunes sur l’aile gauche (38% d’attaque) et Dimitri Foulquier sur l’aile droite (40%) reflètent cette verticalité. À Alavés, c’était le rôle de Jony et Ibai Gómez jusqu’au départ du second à l’Athletic Bilbao en janvier, remplacé par Inui en provenance du Betis.
La seconde, toujours verticale mais plus directe consiste à casser les lignes au cœur du jeu en cherchant le tandem de devant. Aussi bien pour Bordalás qu’Abelardo, le plan de jeu est valorisé par la complémentarité de deux attaquants. À Getafe, c’est l’intelligence collective de deux profils similaires : les points d’ancrage et techniques Jaime Mata (13 buts, 6 dernières passes)- Jorge Molina (10 buts, 4 dernières passes). À Alavés, c’est l’association de deux profils qui se complètent : Borja Bastón (4 buts) court un peu partout pour étirer les lignes adverses et tourne autour de Calleri (7 buts), excellent point d’appui aérien et au sol.
Combat idéologique
« Aussi bien Getafe que nous, sommes la révélation de la Liga. Je pense que peu de gens comptaient sur nous pour faire partie des sept premiers à ce stade de la saison », disait Abelardo en janvier avant une rencontre Getafe-Alaves conclue sur un 4-0. Mais ce face-à-face direct a dévoilé les contrastes entre deux équipes à la philosophie similaire mais aux potentiels différents, qui s’observaient déjà chaque week-end. Bien supérieur avec le ballon, les joueurs de José Bordalás ont montré les limites immuables de ceux d’Alavés pour faire des différences balle au pied. Une anicroche qui explique le nombre réduit de buts inscrits (32. Contre 38 reçus). Pour arriver en situation dangereuse, les joueurs d’Abelardo reposent bien trop souvent sur les coups de pied arrêtés où ils profitent de la qualité technique de Jony et aérienne de Laguardia ou Maripán : 15 buts de leurs 32 inscrits l’ont été sur coup-franc ou corner. De quoi se montrer très dépendant envers une situation de jeu sans pour autant maîtriser l’enjeu de la créativité.
Si Alavés a réussi à boxer dans la catégorie supérieure tout au long de la saison et se bat à l’heure actuelle avec Getafe, Séville, Valence et l’Athletic Bilbao (tous animés par le 4-4-2 à plat et des initiatives de réaction) cela ne pourrait pas suffire en compétition européenne. En comparaison avec ces équipes, excellente en phase sans ballon, Alavés a plus de mal en transition avec ballon et se met assez ponctuellement en difficulté tout seul. Mais après-tout, le club aura tout l’été pour combler ces problèmes offensifs et se rendre moins dépendant. Jusqu’ici, Alavés et Getafe ont permis à la Liga de ne pas perdre en incertitude malgré la première partie de saison chaotique de Villarreal, Valence, l’Athletic Bilbao et la Real Sociedad. Mieux même, les deux équipes ont permis au championnat d’être plus incertain que les dernières saisons.
Car si la domination des Barcelone, Atlético Madrid et Real Madrid est chaque année accentuée par la Liga de Fútbol Profesional, la concurrence parmi les « autres » s’est cette année encore fortifiée en ajoutant deux camps. En difficulté pour exister dans une ligue obsédée par son top 3, des clubs à l’histoire mythique et d’autres au passé plat semblent affilier leur combat idéologique à leurs idées de jeu. Le football de résistance gagne en grandeur.