Le week-end dernier, les rues des villes brésiliennes se sont remplies de manifestants demandant la démission de Bolsonaro. Les supporters politisés et organisés de tous clubs confondus étaient présents. Cette mobilisation ne date pas d’hier : les supporters se mobilisent depuis plusieurs mois contre Bolsonaro, regroupée en collectif pro-démocratie. Focus sur une mobilisation qui appelle notamment à des mesures sanitaires et à une reconnaissance de la pandémie par le président, alors que le Brésil a franchi cette semaine le cap des 500 000 morts au Brésil. Tout cela sur fond de Copa América, La Coupe de la mort.
« Fora Bolsonaro »
Beaucoup de Brésiliens était dans la rue ce week-end pour demander la destitution du président élu en 2019. Parmi les pancartes sur lesquelles on pouvait lire massivement le slogan d’union « Fora Bolsonaro » (dehors Bolsonaro), des banderoles avec des écussons des Torcidas Organizadas, les groupes de supporters organisés brésiliens. Des torcidas de clubs rivaux, toutes unies contre Bolsonaro et pour la démocratie. L’an passé, les torcidas étaient initiatrices d’une manifestation anti-Bolsonaro et organisent régulièrement de nombreuses actions.
La mobilisation actuelle contre le président est ancienne mais elle devient massive à cause de la crise sanitaire. S’il est urgent de manifester, les manifestants ne négligent pas les risques de contamination et se protègent, alors que le président Bolsonaro renie toute épidémie depuis le début.
Organiser la Copa América dans ce contexte, c’est vraiment absurde. C’est un gouvernement génocidaire. On a 500 000 morts à ce jour, et pas un mot de solidarité de ce président. C’est absurde, c’est impensable
Ronaldo Tavares est membre du collectif « Supporters pour la Démocratie » (Torcedores pela democracia) et du groupe de supporters du Flamengo « Resistência Rubro-Negra ». Le collectif, qui réunit des supporters des Torcidas de Rio, a fait une action pour demander des mesures avant l’ouverture du championnat carioca. Au début du mois, il s’est positionné contre la Copa América qui a lieu en ce moment au Brésil, alors que très peu de mesures sont prises et que la pandémie ravage le pays. Ronaldo témoigne : « On était contre la Copa America depuis le début. Elle vient à un moment du calendrier déjà difficile avec les championnats régionaux et national. On pense que ce n’est pas le moment. On est en pleine pandémie. Ce n’est juste pas le moment pour qu’elle se fasse. Il y a plein de gens sans travail, ils n’ont aucune aide… Organiser la Copa América dans ce contexte, c’est vraiment absurde. » En cause, le négationnisme du président depuis le début de la pandémie. « C’est un gouvernement génocidaire. On a 500 000 morts à ce jour, et pas un mot de solidarité de ce président. C’est absurde, c’est impensable ».
Le collectif a organisé une action devant les portes de la CBF, la Confédération Brésilienne de Foot, pour demander l’annulation de la Copa América. Dans la vidéo qu’ils ont tournée, ils s’expriment sur l’aberration de penser au foot quand le Brésil vit une crise sanitaire et sociale. « Les hôpitaux sont blindés. Cette coupe va ramener encore d’autres contaminés. C’est un génocide. On veut des vaccins. On aime le foot. On aime les tribunes. Mais pas quand des vies sont en jeu. » Cette Coupe, pour eux, c’est la « Coupe de la mort ».
Habile, le président « a porté le maillot de chaque équipe pour s’approprier tous les meilleurs moments des équipes » et voit les acquis en tribune reculer : « On avait fait un travail contre le racisme, le fascisme et l’homophobie en tribune. Et tout d’un coup un président qui fait tout le contraire arrive ». Pas facile, car bien sûr, tous les membres des Torcidas ne sont pas anti-Bolsonaro. « De la même façon qu’il existe le mouvement « Dehors Bolosonaro », il y a des supporters qui sont pour lui. Dans toutes les Torcidas ça existe. Aujourd’hui beaucoup moins qu’avant. Au début, c’était très présent ». Il continue : « Quand on sortait un drapeau Fora Bolsonaro en tribune, on était quasiment agressé. Mais on n’a pas lâché, et on a bien fait ».
Le collectif Torcedores pela democracia réunit plusieurs groupes : Botafogo Antifa, Vasco da Gama antifa, Vascomunistas, America Anarcomunas, Esquerda Vascaina, Bolche Fla, Fluminense izquierda, Flamengo Resistência, Resistência Rubro e Negro… Des groupes issus de torcidas de clubs rivaux, qui ont en commun d’être contre le gouvernement du président, et d’être marqués à gauche. Ils fondent le collectif car les torcidas, « dans leurs statuts, ne permettent pas l’affiliation ni la participation à des activités politiques », mais surtout face à la nécessité de s’organiser la lutte. « Notre lutte est plus importante que notre rivalité sur le terrain. On montre cela dans la pratique ».
Le collectif a par exemple réussi à décrocher le droit de s’exprimer librement en tribune, en entrant des drapeaux à orientation politique, interdits jusque-là depuis la Coupe du monde. « On s’est organisé. On a fait un projet de loi. Au bout d’un an, on a réussi. En janvier 2020 la loi à laquelle nous avions réfléchie est sortie, permettant l’entrée de drapeaux politisés dans les stades de l’État de Rio ». Ce n’était pas gagné. Ronaldo explique, par exemple, qu’un supporter a été contraint de retirer sa casquette portant l’inscription Mouvement des Sans Terre, un mouvement paysan très populaire au Brésil.
Les supporters du Corinthians ont toujours été très marqués à gauche. Il en est de même pour ses Torcidas. C’est au Corinthians qu’est né le célèbre mouvement de la Démocratie corinthienne, initié par le joueur Socrates, dont le collectif s’inspire.
Carlos Eduardo Strilicherk dit « Kae » est métallurgiste, syndicaliste, et co-fondateur du collectif Collectif Démocratie Corinthienne de ABC (Coletivo da Democracia Corinthiana no ABC). Il réunit des supporters de l’équipe du Corinthians, l’une des équipes de São Paulo. Ils sont également regroupés dans la Porcomunas, réseau de supporters des équipes de São Paulo pour la démocratie. ABC, mentionné dans leur nom, fait référence aux noms des villes de la région du grand São Paulo, Santo André, São Bernardo do Campo, São Caetano do Sul. ABC est aussi utilisé pour décrire le syndicat des travailleurs de la métallurgie ABC, célèbre pour avoir mené plusieurs grèves durant la dictature militaire. Le président du syndicat de 1975 à 1981 était Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, l’ancien président du Brésil du Parti des Travailleurs. Une photo du collectif montre d’ailleurs Lula, ou encore Dilma Rousseff qui lui a succédé à la présidence du Brésil, portant le tee-shirt du collectif. On l’aura compris, le collectif est donc clairement ancré à gauche.
Le collectif, tout comme Torcedores pela Democracia, est né en réaction au coup d’état parlementaire qui a visé puis destitué la présidente du Parti des Travailleurs, Dilma Rousseff, en 2016. La première banderole du collectif est créée à cette occasion, avec la phrase très politique « le collectif Démocratie corinthienne contre le coup d’État ». Lorsque Lula est emprisonné, le collectif Démocratie Corinthienne organise un campement, témoignant son soutien envers l’ancien président.
L’engagement du collectif contre Bolsonaro ne date pas d’hier. « Depuis que Bolsonaro a malheureusement été élu, on a toujours manifesté contre son gouvernement. Les idées qu’il défend, qu’elles soient politiques, personnelles, ou humaines, sont totalement opposées aux nôtres. Le négationnisme dont il fait preuve depuis le début de son gouvernement est ce qui nous motive le plus. Nous sommes très en colère. »
Comme les Torcidas Organizadas, très impliquées dans les actions sociales, ils organisent des collectes de sang ou des campagnes de dons et de distribution de biens de premières nécessités pour les familles les plus modestes. Il y a également un aspect éducatif. Le collectif se rend dans les écoles pour expliquer ce qu’est la démocratie et l’importance d’être politisé, de participer à la vie en société.
Supporters politisés
Pour le collectif, foot et politique doivent se mélanger. Kae explique « Beaucoup de gens disent que la politique ne doit pas se mélanger au foot. On pense tout le contraire. On pense qu’à travers le foot, qui est la passion brésilienne, on peut politiser les gens, implanter la politique dans la vie des gens ». Il poursuit : « Le supporter doit être politisé. Il doit savoir que le foot c’est le foot du peuple. C’est un sport d’inclusion sociale, et on doit vivre ça démocratiquement. Notre lutte aujourd’hui, c’est de maintenir la démocratie, menacée par le gouvernement qui a été élu ». Même idée du côté de Ronaldo : « On doit être dans la rue et on doit être dans les tribunes quand c’est nécessaire. On est dans les tribunes à peine 10% de notre vie, le reste du temps, on est des travailleurs, on doit se positionner ».
Ce processus de politisation arrive difficilement aux joueurs. Le collectif « Esporte pela democracia », tente justement de faire s’impliquer les sportifs et les acteurs du sport, en leur proposant de prendre position pour la démocratie, les droits humains et civiques. Derrière le terme de démocratie, le manifeste, consultable sur leur site web, revendique « le droit suprême à la vie, une société juste et égalitaire, ANTIRACISTE, le respect des individualités et les valeurs du collectif ».
Le collectif était présent à la manifestation Fora Bolsonaro et est directement créé en réaction à la politique de Bolsonaro. « Nous ne tolérons pas les comportements qui ne respectent pas le bien-être collectif et qui défendent une vision du monde limitée et révoltante. (…) Nous rejetons fermement le racisme et la violence, et nous souhaitons pouvoir recommencer à croire en un futur possible et égalitaire. (…) Comment représenter un pays dans lesquelles les pratiques autoritaires sont quotidiennes ? »
L’ancien joueur Raí, légende du PSG et frère du joueur Socrates de Corinthians, a co-signé le manifeste de « Esporte pela democracia ». Mais ce mouvement pour la démocratie arrive difficilement aux joueurs. Sur leur site web, on constate que seuls quelques sportifs ont rejoint la liste des signataires, constitués principalement de journalistes et d’intellectuels. La mobilisation sociale semble pour l’instant ne pas atteindre véritablement le milieu du sport, en dehors des supporters.
Les supporters sont dans la rue en défense de la démocratie, en réaction à la politique négationniste et raciste du président brésilien. Les mouvements pour la démocratie se forment, transcendant les rivalités et les partis politiques. Espérons que ce mouvement libérateur puisse se diffuser dans la société comme la passion pour le foot, guidé par l’esprit de Socrates.
Merci beaucoup à Ronaldo et à Kae d’avoir accepté de répondre à nos questions.