En 1978, l’Argentine du général Jorge Videla organise et remporte sa première Coupe du monde. Malgré de nombreux appels au boycott, la compétition a lieu dans un contexte de répression et de terreur. Un Mondial où la géopolitique a pris le pas sur l’aspect sportif. Retour sur l’une des compétitions les plus controversées.
En 1966, la FIFA confie à l’Argentine l’organisation de la onzième édition de la Coupe du monde. Sans savoir que le 24 mars 1976, le commandant en chef de l’armée argentine, le général Jorge Videla prendra le contrôle du pays et délogera de la présidence Isabel Peron. La prise de pouvoir de Videla s’accompagne alors d’une violente répression afin de lutter contre le « cancer marxiste ». Le concept de « guerre sale » consistant à torturer et tuer l’ensemble des opposants politiques est alors instauré en Argentine. On dénombre pas moins de 30.000 disparitions en sept ans de dictature (1976-1983). En 1978, Amnesty International estime à 6000 le nombre d’exécutions réalisées par le régime et à 15000 le nombre de disparus.
Le sous-sol de l’Ecole supérieure de la mécanique marine (ESMA), situé à seulement deux kilomètres du stade Monumental est transformé en une prison où les opposants au régime sont torturés et assassinés. Dans un entretien avec Cefarino Reato auteur du livre Disposcion Final, le général Jorge Rafael Videla fait part de son raisonnement : « Ces personnes devaient mourir pour que nous puissions gagner la guerre contre la subversion communiste . Nous ne pouvions ni les fusiller, ni les traduire en justice. Soucieux de notre image aux yeux de la communauté internationale, nous avons mis en place la disposition finale (ndlr: expression signifiant mettre hors-service une chose inutilisable)« . Avant d’ajouter : « Durant l’année 1978, le processus avait accompli pleinement ses objectifs ».
La junte militaire voit à travers l’organisation de la Coupe du monde le moyen d’améliorer son image aux yeux comme a pu l’Italie fasciste de Mussolini en 1934. La FIFA confirme l’Argentine comme pays organisateur de la compétition alors que l’instance du football mondial est soupçonnée d’être en bon terme avec les dictatures sud-américaines.
En Europe, des voix s’élèvent contre le Mondial 1978 et le comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football voit alors le jour en France pour tenter de convaincre la sélection tricolore de ne pas se rendre en Argentine. L’écrivain Marek Halter écrit à l’époque dans une tribune pour le journal Le Monde : « En 1936, nos parents n’ont pas pu empêcher les sportifs de se rendre aux Jeux Olympiques de Berlin et de faire le salut nazi devant un Hitler ébahi. Deux ans après, ils assistaient impuissants à la nuit de Cristal. Lançons ensemble un appel à tous les sportifs et leurs supporters qui doivent se rendre en Argentine ».
Malgré tout, l’ensemble des sélections se rendront au Mondial 1978, exceptée une poignée de joueurs. Aux Pays-Bas, séquestré et agressé dans son appartement à Barcelone, Johan Cruijff, refuse de se rendre en Argentine alors qu’en France, le sélectionneur Michel Hidalgo échappe de peu à une tentative d’enlèvement à la veille du départ de l’équipe en Amérique du Sud.
En 1978, les yeux du monde sont tournés vers l’Argentine et dans un contexte de répression politique et d’inflation, la victoire de l’Albiceleste apparaît comme une obligation pour le général Videla.
Le parcours de l’Argentine et les soupçons de corruption
Le 2 juin 1978, l’Argentine rentre en lice dans la compétition avec une victoire 2-1 face à la Hongrie. Cependant, le parcours de Sud-Américains est loin d’être simple. Au premier tour, la sélection de Cesar Luis Menotti arrive deuxième du groupe derrière l’Italie éliminant par la même occasion la France. Lors du dernier match du second tour, le Brésil ayant étrillé la Pologne 3-1, l’Albiceleste est dans l’obligation de s’imposer par quatre buts d’écart face au Pérou afin d’accéder à sa première finale de Coupe du monde. Ce match entre deux dictatures du continent restera le plus controversé de la compétition.
La sélection péruvienne accompagnée par le fils du dictateur, « Paquito » Morales Bermudez est accueillie dans les vestiaires du stade par le général Videla en personne. Le dictateur entreprit alors un discours sur « la fraternité entre les peuples d’Amérique Latine » pour faire comprendre aux joueurs l’importance de ce match pour leurs amis argentins. Sur le terrain, le Pérou s’incline sans surprise 6-0 et offre à l’Argentine « sa » finale.
Cette victoire polémique a été par la suite imputée à un arrangement entre les deux dictatures. En échange de la défaite de son équipe, le dictateur péruvien aurait envoyé illégalement à son homologue treize opposants politiques pour être assassinés en dehors des frontières du Pérou. Ces opposants transférés dans la province de Jujuy était voués à subir « le vol de la mort », les prisonniers étant drogués puis jetés à la mer depuis un hélicoptère ou un avion. Genaro Ledesma Izquieta, ancien sénateur et rescapé des treize prisonniers expliqua les raisons de cet arrangement entre les deux pays : « Il était intéressant pour Videla de nous accueillir en tant que prisonniers de guerre en échange d’une victoire contre le Pérou pendant le Mondial : ce triomphe était nécessaire pour faire oublier la mauvaise réputation de l’Argentine dans le monde ».
Une victoire pour l’Argentine de Videla
En finale, l’Argentine rencontre les Pays-Bas, deux nations n’ayant jamais remporté la compétition. Le sélectionneur Menotti encourage ses joueurs grâce à un discours d’avant-match pour le moins émouvant : «Nous sommes le peuple, nous appartenons aux classes défavorisées, nous sommes les victimes et nous représentons la seule chose de légitime dans ce pays : le football. Nous ne jouons pas pour des tribunes remplies d’officiers, de militaires, mais nous jouons pour le peuple. Nous ne défendons pas la dictature mais la liberté ».
L’Albiceleste remporte sa première Coupe du monde grâce à une victoire 3-1 après prolongations. Dans un Monumental en fusion, le général Videla remet le trophée au capitaine de la sélection, Daniel Passarella. Les joueurs néerlandais refusent quant à eux de participer aux cérémonies d’après-match en signe de protestation contre la dictature argentine.
Cette victoire est une démonstration de force pour la junte militaire, présentant à ses détracteurs la communion entre joueurs et supporters tous unis derrière l’Argentine.
Affaiblie après la défaite de la Guerre des Malouines en 1982, la dictature prend fin un an plus tard remplacée par un gouvernement élu démocratiquement dirigé par Raúl Alfonsín. Jorge Rafael Videla a été jugé en 1985 lors du procès de la junte et condamné à une peine de prison à perpétuité. Amnistié en 1989, il sera pourtant condamné à une nouvelle peine de prison en 2012. Il décède le 17 mai 2013 en prison. Bon débarras.