Idole absolue à San Lorenzo, ex-international argentin et ex-Girondin, lui c’est Claudio Biaggio. Repéré par Rolland Courbis après le titre de champion d’Argentine remporté en 1995 avec le club de Boedo, celui que l’on surnomme « Pampa » revient sur sa carrière et sa saison passée en France du côté de Bordeaux.
Claudio, après toutes ces années, que deviens-tu ?
Claudio Biaggio : Je suis resté dans ce que je sais faire de mieux, le football (rire). J’ai passé mes diplômes d’entraîneur avec réussite en 2006. J’ai ensuite commencé a travailler à San Lorenzo dans les divisions inférieures avant de prendre en charge la réserve du club il y a trois ans. C’est un travail très intéressant car je suis en relation directe avec l’équipe première vu que la réserve est souvent la rampe de lancement pour les jeunes du club.
Tu es une idole à San Lorenzo depuis ce titre de champion d’Argentine obtenu en 1995, plus de 20 ans après, quel souvenir gardes-tu de cet exploit ?
C.B. : Quelque chose d’impressionnant et magnifique à la fois. Ce championnat était très compliqué car nous étions à la lutte avec Gimnasia La Plata et ce chassé-croisé a duré toute la deuxième partie du tournoi. À la dernière journée, « el Lobo » (surnom du Gimnasia La Plata, ndlr) possédait deux points d’avance et recevait Independiente alors que nous, nous devions nous rendre sur le terrain de Rosario Central. Vera, notre entraîneur à l’époque, avait fait un appel à tous les hinchas de San Lorenzo pour qu’ils se déplacent à Rosario. Ils ont répondu présent et personnellement j’étais impressionné. Je n’arrivais pas à croire que des milliers de supporters du « Ciclón » aient réussi à se procurer autant de billets pour le match. Nous avons remporté cette rencontre 1-0 et à la fin du match nous avons appris qu’Independiente l’avait emporté sur le même score. Je te laisse imaginer la folie après 21 ans de disette pour le club…
D’autant plus que les supporters de Rosario Central vous ont aussi encouragé toute la rencontre…
C.B. : (Il rit). Ça aussi c’était impressionnant. Cela m’a surpris car je venais d’arriver au club et je ne savais pas que les deux hinchadas possédaient une amitié aussi forte. Surtout en Argentine où l’on évoque plus souvent la passion qui entraîne une violence parfois inouïe, c’est quelque chose d’assez rare mais cela existe. Là, tout le monde était mélangé, dans la popular de Central il y avait des maillots de San Lorenzo et vice-versa. C’était incroyable.
Depuis cette saison, tout le monde t’appelle « Pampa ». Comment est venu ce surnom ?
C.B. : En Argentine, il y a une province qui se nomme la Pampa. J’y suis né, à Santa Rosa la capitale. Un jour, Marcelo Araujo, un commentateur très connu ici en Argentine, a crié : « Gol del Pampa ! Gol de Pampa ! » après un de mes buts et c’est resté dans la mémoire de tout le monde.
Et que pense « el Pampa » du retour à Boedo qui se profile pour San Lorenzo ?
C.B. : Comme tout supporter du « Ciclón », j’ai des étoiles plein les yeux à l’idée de savoir que nous allons revenir à la maison, sur nos terres. Ce fut quelque chose de très compliqué à obtenir mais grâce au travail des dirigeants et de la sub-commsission des hinchas c’est un rêve qui est devenu réalité. Aujourd’hui, j’appelle tout le monde à continuer de se mobiliser pour acheter des mètres carrés et faire en sorte que ce retour se fasse le plus rapidement possible.
1995 est aussi l’année qui a marqué ta première sélection avec l’équipe nationale d’Argentine. C’est aussi l’année de la Copa América qui se disputait en Uruguay…
C.B. : Exactement, et avec tous les attaquants qu’avait l’Argentine à cette époque ce fut une agréable surprise et une expérience inoubliable. Certes, je n’ai pas beaucoup joué lors de cette Copa América mais de s’être entraîné aux côtés de Batitusta, par exemple, c’est une chose que je n’oublierai jamais même si l’élimination aux penaltys face au Brésil reste douloureuse.
« En France, j’ai peut-être payé mes problèmes d’adaptation »
Peu de temps après, Rolland Courbis te fait signer à Bordeaux…
C.B. : Bordeaux était à la recherche d’un attaquant. Des émissaires des Girondins se sont rendus en Argentine pour voir San Lorenzo-Boca Juniors. Un match crucial pour le titre. Ce jour-là j’ai inscrit les deux buts pour mon équipe et nous l’avons emporté 2-0. Cela a suffi pour qu’ils m’embarquent avec eux en Gironde (rire). C’était un rêve pour moi de pouvoir évoluer en Europe, de plus en France qui est un pays adéquat pour jouer au football. Ce fut une énorme opportunité dans un grand club avec une histoire importante.
L’adaptation n’a pas été trop difficile ?
C.B. : Si, ça a été plus dur que je ne le pensais. Je n’étais jamais sorti du pays à part pour aller en Uruguay et là je découvrais quelque chose de complètement différent culturellement. J’ai essayé d’apprendre le français dès que je suis arrivé et ça a été difficile. Malgré tout je garde de très bons souvenirs de cette ville magnifique. La région aussi est incroyable. C’est le genre d’endroit que tout sud-américain souhaite découvrir une fois dans sa vie donc sur le plan humain et social j’ai énormément appris de moi-même.
Sportivement, sur le plan personnel, ça n’a pas été le top même si sur le plan collectif la saison 1996-1997 a été plutôt positive pour Bordeaux avec une quatrième place et une finale de Coupe de la Ligue…
C.B. : Bordeaux était en reconstruction et pourtant le groupe était de qualité avec Micoud, Jean-Pierre Papin, Ziani etc. C’est pour cela que je peux affirmer que c’était une bonne saison pour le club, car terminer dans les cinq premiers avec en bonus une finale de Coupe nationale… C’est un bilan positif. Personnellement, il est vrai que je n’ai mis que « deux buts » (en français dans le texte, ndlr) mais celui face au PSG à domicile reste un super souvenir. L’autre c’était face à Montpellier. En France, j’ai peut-être payé mes problèmes d’adaptation.
Au niveau tribunes, le changement a été tout aussi brutal de passer de la folie des stades argentins aux enceintes françaises ?
C.B. : Culturellement c’est totalement différent. On ne peut pas dire le contraire. Seul Lens m’a un peu rappelé cette passion qu’il y a en Argentine et qui nous caractérise tant. Même si parfois ce folklore entraîne beaucoup de dérives, il faut aussi savoir le reconnaître. Ce n’est pas une critique, je dis juste que les Français vivent différemment le football que les Argentins ou les Sud-Américains en général. Pour la petite anecdote, alors qu’on jouait les premiers rôles, on a perdu à domicile face à Nancy 0-1. Les gens nous ont malgré tout applaudi alors que l’on venait de perdre face à un adversaire qui luttait pour le maintien ! Je n’arrivais pas à le croire. Ici en Argentine, ils nous auraient tué (rire).
Actuellement, tu suis toujours Bordeaux et le football français en général ?
C.B. : Oui ! De plus, avec mon nouveau rôle d’entraîneur à San Lorenzo, j’essaie de suivre un maximum de championnats pour apprendre. Mais la Ligue 1 est une compétition que j’affectionne particulièrement. Bien sûr, j’ai toujours un œil plus attentif aux résultats des Girondins de Bordeaux que j’ai suivi de très près quand Juan Pablo Francia et Fernando Cavenaghi étaient présents. Bon, aujourd’hui, il y a aussi le PSG. Cette équipe est incroyable même s’il faut dire la vérité, pratiquement aucune autre équipe du championnat ne peut la concurrencer. Cela a aussi un bon côté, le Paris Saint-Germain entraînera peut-être une dynamique positive en France et dans les compétitions européennes.
Tu évoques Juan Pablo Francia, tu as vu que Bordeaux a signé un partenariat tripartite de trois ans avec un autre club argentin, les Newell’s Old Boys de Rosario concernant le « Proyecto Crecer » dont il est à l’origine ?
C.B. : Je dis toujours que pour le football argentin et pour les jeunes joueurs que nous avons ici, c’est une chose primordial d’avoir un accord avec un club européen de qualité. Ils évolueront positivement socialement et sportivement en découvrant une autre langue et un autre style de football. Concernant Newell’s, ça a toujours été un club de référence au niveau de la formation donc pour Bordeaux c’est une très bonne chose. J’espère qu’un jour San Lorenzo fera de même que ce soit avec un club français ou d’un autre pays européen.
Après ton passage en France tu reviens à San Lorenzo avant d’entamer un petit tour du globe. Uruguay, Bolivie, Équateur et… Japon. Tu parlais de la difficulté d’adaptation en France, mais au Japon ça donne quoi ?
C.B. : (Il rit). Dans mon tour du monde, j’ai eu l’impression de découvrir un autre monde justement. Une culture à des années-lumière de la nôtre. Un respect hors du commun a tout point de vue. Je ne comprenais rien de la langue, le décalage horaire fut terrible et le football est complètement différent. C’est un style de jeu très rapide, pas du tout axé sur la puissance physique. Le seul point en commun que nous avons, même si elle est plus mesurée, c’est la passion. Les stades étaient tout le temps plein avec une superbe ambiance. Cette expérience m’a fait grandir en tant qu’être humain plus qu’en tant que footballeur.
Dernière question Claudio, en regardant dans le rétroviseur, si tu devais citer un souvenir de ta carrière, ce serait lequel ?
C.B. : J’ai beaucoup voyagé, connu beaucoup de clubs et de bons moments, mais si je devais en garder un seul ce serait le San Lorenzo-Boca que nous avons remporté 2-0 l’année du titre quand j’inscris ce doublé. Et évidemment, le titre de champion d’Argentine qui a suivi.
Propos recueillis par Bastien Poupat à Buenos Aires
Super interview les gars vraiment bravo ! Ca fait du bien d’entendre un peu parler de football SudAm. Comment vous ai venu la passion pour ce football ?