En février 2020, nous traduisions sa parole au média portugais Tribuna Expresso alors qu’il était récemment devenu séléctionneur du Danemark U21…
Jeu de position, Johan Cruyff, préparation physique, le pressing du Barça de Pep Guardiola, le côté mental du football, Peter Bosz, Jordi Cruyff et la formation. @albert_capellas (ex-coordinateur de La Masia) a abordé tout cela. Traduction. https://t.co/W2TBOl9aUV
— Rémi Dendani (@rmdendani) February 22, 2020
…avant d’analyser le jeu de son équipe en avril 2020 après ses 5 premiers matchs de qualification pour l’EURO U21.
Analyse #tactique. Jeu et idées du Danemark U21 d’Albert Capellas (@albert_capellas) https://t.co/iZaXe527l1
— La Grinta (@LaGrinta) April 18, 2020
Aujourd’hui nouvel entraineur (intérimaire) du Barça B, c’est l’occasion de rappeler ce que Capellas déclarait sur les clés du succès du football danois, l’opportunité pour les joueurs de jouer au haut-niveau dès 18 ans, les « espaces indéfendables » de Pep Guardiola, la « conducción » des défenseurs centraux, la figure du dribbleur, les différences de rythme des matchs à l’échelle européenne, l’influence de Johan Cruyff, de Peter Bosz et bien entendu le jeu de position, au média espagnol MarcadorInt après la grande révélation de sa sélection danoise lors de l’EURO U21 2021. Traduction.
Comment avez-vous vécu ces mois de pandémie ?
La pandémie m’a fixé à Barcelone, où je suis installé. Je voyage habituellement entre Barcelone et le Danemark, mais ces derniers mois ont été différents : beaucoup de réunions Zoom, beaucoup de matchs en vidéo, beaucoup de conférences… et très peu de voyages.
Les clubs ne permettaient pas aux gens de l’extérieur d’entrer dans leurs bulles et c’était une période difficile. Cependant, comme nous avions très bien réussi la phase de qualification, nous avions une sélection déjà bien définie et cela nous a beaucoup facilité le travail. Nous étions très heureux avec le scouting que nous avions déjà fait à l’époque et nous n’avions qu’à suivre ces joueurs pour définir tous les détails.
Pourquoi le Danemark U21 ? Qu’est-ce qui vous y a conduit ?
J’ai passé deux ans à Brondby et j’ai rencontré un certain nombre de personnes qui sont maintenant, certaines d’entre elles, au sein de la Fédération. Quand Niels Frederiksen a quitté la sélection pour aller à Brondby, qui, soit dit en passant, vient de remporter le championnat au Danemark, ils cherchaient un profil orienté vers le jeu de position, avec un style de jeu de pressing vers l’avant pour récupérer rapidement le ballon… Et comme ils me connaissaient, ma façon de penser et de travailler, ils m’ont demandé si j’étais intéressé à diriger ce projet. C’était le cas. De plus, je suis maintenant sur un autre projet, Cruyff Football, une plate-forme en ligne pour les entraîneurs, et le poste (de sélectionneur U21) me permettait de tout concilier depuis Barcelone.
« Les clubs investissent effort, argent, temps et connaissances mais surtout, ils donnent aux joueurs l’opportunité de jouer en Superliga (championnat du Danemark) à 18, 19, 20 ou 21 ans. Et cela te donne un avantage compétitif. »
Au Danemark, cela travaille bien depuis pas mal de temps et le niveau de votre sélection U21 durant cet EURO en est la preuve.
De très bonnes générations arrivent. Les U21 ont fait un grand EURO et ces joueurs méritaient d’aller plus loin. Mais quand on regarde plus bas, on voit que de très bons footballeurs continuent de sortir. La prochaine génération de moins de 21 ans sera à nouveau très bonne. Et c’est le mérite de la fédération, qui a les idées très claires, parce que le scouting qu’ils font, correspond parfaitement à l’idée qu’on a de jouer au football. C’est quelque chose de fondamental. Et le mérite des clubs aussi, qui investissent dans la formation. Ils investissent effort, argent, temps et connaissances mais surtout, ils donnent aux joueurs l’opportunité de jouer en Superliga (championnat du Danemark) à 18, 19, 20 ou 21 ans. Et cela te donne un avantage compétitif. La Superliga n’est pas la Liga ou la Premier League, c’est vrai, mais la compétition aide les plus jeunes à prendre très tôt le rythme de jeu. C’est une des clés du succès du football danois. Les clubs sont bien conscients qu’ils font partie d’un petit pays et sont obligés de vendre leurs talents, alors ils osent faire jouer leurs jeunes footballeurs en Superliga et jusqu’ici viennent les recruteurs de toute l’Europe qui font également partie de cet engrenage qui profite à la sélection. De cette façon, il y a des footballeurs qui sont dans les moins de 21 ans danois jouant en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Allemagne, qui sont des ligues beaucoup plus compétitives, mais qui sont arrivés là si jeunes parce qu’ils ont déjà joué deux ans auparavant dans la ligue danoise. Et ça, ça aide.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail ?
Par-dessus tout, l’environnement dans lequel je travaille : les gens, les joueurs, l’idée de jeu que nous développons au sein de la Fédération… Nous travaillons sur une méthodologie très claire pour toutes les sélections, entièrement alignée avec l’équipe première, et j’aime beaucoup le projet au niveau global. La relation avec les clubs est également très bonne et le traitement au sein de la Fédération est très positif, mais je ne saurais pas garder une seule chose. Il y a une très bonne concordance et tout cela correspond à mes valeurs personnelles, mon idée de jeu et le moment de ma vie où je suis maintenant.
Thierry Henry a reconnu dans une interview que personne ne demande jamais au coach comment il va. Quelqu’un vous le demande en tant que sélectionneur ?
C’est une des choses que j’aime le plus au Danemark : la façon dont ils travaillent. Je comprends parfaitement les paroles de Thierry Henry et je me sens bien identifié. Finalement, personne ne demande au sélectionneur comment il va et c’est vrai. Mais l’un des avantages que j’ai trouvé ici est que vous travaillez beaucoup en groupe et regardez beaucoup pour le bien-être de tout le staff. Nous organisons des sessions de différents points de vue, et de cette façon, en créant le bon environnement, il y a beaucoup de chances que quelqu’un vous demande comment vous allez. Ce travail de groupe facilite grandement une relation plus humaine entre toutes les parties, y compris les joueurs ou les dirigeants. Il y a différents rangs de travail, bien sûr, mais quand les gens parlent ici, tout le monde a le même niveau d’opinion, tout le monde écoute, indépendamment de son rang dans l’organisation, et cela vous donne une proximité qui facilite ces relations.
« La possession a toujours besoin d’avoir une raison : soit pour générer des supériorités, soit pour chercher le bon moment pour accélérer. »
Comment est la vie d’un sélectionneur U21 ? Et comment se prépare un EURO U21 (au milieu d’une pandémie) ?
Je dis toujours que le football est très facile, mais c’est très difficile de jouer facile. Tout d’abord, nous avons essayé de garder une ligne de jeu très claire depuis le premier jour et nous avons décidé que nous ne changerions pas en fonction des résultats. Nous avons passé du temps à définir comment nous voulions jouer et quel profil de footballeur nous chercherions pour chacune des positions, et c’était notre guide. Il était clair qu’on ne changerait pas.
Nous avons fait une très bonne phase de qualification et nous avons utilisé cette phase de préparation pré-EURO pour développer notre système de jeu. Afin que lorsque nous arriverions à l’EURO, tous nos footballeurs soient au clair sur la façon dont nous allons jouer pour que la période d’adaptation à la compétition soit aussi rapide que possible.
Nous avons essayé de maintenir le nombre maximum de joueurs jusqu’à la fin, à l’exception de quelques changements normaux, et ensuite nous avons essayé de développer une méthode de communication interne : un vocabulaire que les joueurs reconnaîtraient pour rassembler toute l’équipe sur le terrain.
Par exemple, si nous voulons récupérer le ballon après la perte, je crie ‘Five seconds rule’ et ils savent automatiquement ce que je veux dire. Ou dire ‘Klein’, qui est un mot hollandais qui signifie se faire petit, je l’ai découvert avec Peter Bosz au Vitesse Arnhem, et amène l’équipe à se réunir dans une zone particulière du terrain. Cela nous facilite la tâche et nous conduit à être mieux préparés à chaque situation parce que les jeunes savent ce que signifie chaque chose.
Comment définiriez-vous le jeu de position ?
Le jeu de position est basé sur trois piliers, les trois P : position, possession et pression. La position ne se réfère pas seulement à l’espace que nous occupons sur le terrain, mais à la façon dont nous occupons cet espace : être bien profilés, scanner tout ce qui se passe autour de nous avant de recevoir, et ainsi de suite. Il est important d’avoir une bonne position sur le terrain et une bonne position de votre corps dans cette zone en fonction du ballon et d’où vous êtes. Une bonne position sur le terrain facilite une bonne possession parce qu’il y a plus d’options de passe, plus de triangles, plus de diagonales, et il est beaucoup plus facile de jouer avec l’homme libre ou le troisième homme. Mais la possession à toujours besoin d’avoir une raison : soit pour générer des supériorités, soit pour chercher le bon moment pour accélérer. Parfois, c’est pour ça que nous faisons 20 passes, parce que le jeu s’est désorganisé et que nous voulons récupérer des positions, reprendre de l’air et reprendre le rythme du jeu, et quand nous le retrouvons, pam, nous accélérons à nouveau.
C’est pourquoi c’est toujours le plus compliqué. Il ne sert à rien de passer le ballon pour le passer. Nous voulons le déplacer d’un côté à l’autre pour que la défense adverse perde sa concentration et dès que des espaces s’ouvrent entre les lignes qui nous permettent de franchir des joueurs. Et les algorithmes disent que si nous gagnons au duel de cette statistique (celle de réaliser des passes entre les lignes qui nous permettent de franchir des joueurs), vous augmentez considérablement les chances de gagner un match. Il y a aussi le Big Data derrière ça. Le dernier P fait référence au pressing. Dès que nous perdons le ballon, nous voulons le récupérer le plus tôt possible. Pourquoi ? Parce qu’au moment où vous le perdez, le chaos se crée : l’équipe adverse n’est pas organisée, elle n’est pas bien ouverte, elle est plutôt concentrée sur la récupération, et c’est le meilleur moment pour le lui voler si vous mettez en oeuvre une bonne pression. Si vous récupérez près du but adverse, avec ce chaos, vous avez de nombreuses chances de riposter avec danger. Notre règle du ‘Five seconds rule’ est combinée avec la vigilance défensive parce que cela nous évitera de courir beaucoup vers l’arrière. Je dis toujours : ‘Si vous n’aimez pas courir, assurez-vous de courir agressivement pendant quelques secondes en avant et je vais vous sauver de sprinter plusieurs fois vers l’arrière à vous et à toute l’équipe’.
« Le ballon est celui qui vous ordonne, mais il faut garder à l’esprit que le ballon ne se fatigue jamais : je n’ai jamais vu transpirer un ballon. »
Et comment s’entraîne le jeu de position dans une sélection sans avoir autant d’entraînements au jour le jour que dans un club ?
Plus vous avez de séances d’entraînement, plus c’est simple, bien sûr, mais au final, vous dépendez des footballeurs à votre disposition. Et quand les joueurs sont bons, c’est plus facile. C’est pourquoi il est si important de choisir les joueurs qui correspondent à votre idée, parce que cela accélère énormément le processus d’adaptation. Le principal secret est le scouting. Le second secret : des idées très claires, qu’elles n’hésitent pas. Il est nécessaire de très bien expliquer le pourquoi aux footballeurs. Quels avantages vous obtenez si vous le faites de cette façon. Si le joueur le comprend, il trouve un sens et augmente son engagement. Nous développons trois valeurs très importantes pour les aider dans tout ce processus : l’honnêteté, c’est-à-dire que nous pouvons nous regarder dans les yeux et nous reconnaître, l’engagement, en leur faisant comprendre que nous ne sommes personne seuls, mais ensemble nous pouvons tout être, et le courage de vouloir le ballon, parce qu’il faut être audacieux dans tout ce que nous faisons et je préfère échouer une passe pour un joueur qui veut le ballon et non pour un joueur qui se cache. Quand nous terminons les matchs, nous devons reconnaître ces trois valeurs : l’honnêteté, l’engagement et le courage, et cela vous aide à mettre en place une très grande idée de jeu. Ensuite, nous jouons aux jeux de position les plus spécifiques dans les entraînements, parce que dans ces exercices, tout intervient : la position sur le terrain, la position du ballon et le pressing. Et enfin, les aider à grandir grâce à des renforts positifs avec de nombreuses vidéos et des conférences.
En fait, il y a très peu d’équipes dans le monde qui développent un jeu de position pur ?
Personne ne pratique un jeu de position pur. Les footballeurs déterminent le type de jeu que vous pouvez développer. Si vous avez de très bons ailiers dans les uns contre uns, vous allez développer un jeu de position avec des ailiers ouvert en essayant de les isoler pour qu’ils aient de l’espace à jouer. Ou peut-être que vous avez des joueurs qui jouent très bien les 1-2, c’est-à-dire jouer le ballon et courir en profondeur. C’est donc le profil du joueur qui détermine comment jouer. Le jeu de position pur est-il, avoir 80% de possession de ballon ? Avoir 60 % ? Ce que je comprends, c’est que si vous voulez presser vers l’avant, vous ne pouvez pas le faire plusieurs fois pendant un match parce que c’est beaucoup d’usure : alors vous avez besoin de plus de possession et d’avoir le contrôle parce que celui qui court, c’est le ballon.
Le ballon est celui qui vous ordonne, mais il faut garder à l’esprit que le ballon ne se fatigue jamais : je n’ai jamais vu transpirer un ballon. Mais en le déplaçant, vous forcez l’équipe adverse à courir. Et là, vous la fatiguez déjà physiquement et mentalement, parce qu’elle doit fermer des espaces, basculer, bien se profiler, etc. La possession du ballon elle-même vous donne 50-52% de chances de gagner un match. Mais si vous êtes capable de réaliser des passes entre les lignes, cette statistique monte déjà à plus de 60%. Et si vous arrivez à jouer ces passes derrière la ligne de défense, elle monte à 80%. Ce sont des concepts qui sont tous liés.
Nous nous entendons que pour jouer ainsi, il faut au moins 60% de possession. A partir de là, nous pourrions dire que nous sommes dans la zone de confort pour que le jeu de position atteigne son meilleur développement. Le joueur y est plus frais, et s’il l’est, il peut prendre de meilleures décisions ou prendre plus de risques. Puis il y a des matchs où le rival défend bas et on peut atteindre jusqu’à 80% de possession, mais vous pouvez aussi rencontrer des équipes qui vous pressent haut et cela le rend beaucoup plus difficile, mais aussi plus divertissant pour le spectateur.
Et il ne faut pas oublier ceci : le football, c’est du divertissement. Le football, c’est un jeu. Et il faut que les gens s’amusent. Nous ne pratiquons pas le jeu de position par romantisme, mais parce que nous pensons que nous sommes plus proches d’offrir un bon spectacle et de gagner. Pour nous, il importe aussi comment. Je ne suis pas d’accord avec cette phrase de ‘il faut gagner peu importe comment’. Comment ça ? Vous tirez au sort, à 50 % de chances. N’est-ce pas mieux d’avoir un plan pour augmenter ces chances ? Nous pensons qu’avec toutes ces idées de jeu, nous sommes plus proches de la victoire et d’offrir un bon spectacle.
Comment détectez-vous où votre sélection peut faire du mal ? Croyez-vous aussi aux « espaces indéfendables » dont parle toujours Pep Guardiola ?
À la fin, il y a toujours un moyen de les défendre. C’est l’organisation. Toutes les équipes ont des structures qui se répètent, par modèle de jeu de l’entraîneur ou par le talent naturel des joueurs eux-mêmes, et nous essayons de découvrir qui ils sont et où ils se produisent. À partir de maintenant, nous montrons à nos joueurs ce qu’il se passe et ce que nous allons rencontrer avant un match. Je fais beaucoup de réunions où je leur présente le problème et nous essayons de trouver une solution tous ensemble.
Il est de toujours plus difficile de recevoir le ballon avec du temps et de l’espace.
Bien sûr, mais si vous jouez toujours de la même façon, dites-vous ‘ils vont nous presser avec deux joueurs devant, comment créer la supériorité en sortie de balle avec trois ?’. Nous pouvons donc le faire avec le gardien en montant les latéraux très haut ou en décalant un milieu sur le côté pour faire grimper le latéral et faire rentrer l’ailier à l’intérieur. Mais en fin de compte, comme ce sont des concepts que nous répétons, les joueurs eux-mêmes, sur le terrain, décident déjà. Les joueurs eux-mêmes sont capables de détecter l’espace et la solution. Je leur explique d’abord ce qu’ils vont rencontrer, mais ensuite sur le terrain je leur donne la responsabilité. En attaque et en défense. Et quand vous travaillez ainsi match par match, et que les footballeurs gardent ces messages, c’est beaucoup plus facile.
« La clé est d’expliquer à ce joueur qui est très bon dans le un contre un, qu’il doit faire d’autres choses avant qu’il puisse avoir cette situation. Le terrain doit être ouvert, par le latéral ou par l’ailier, et ils doivent percevoir ce que le jeu demande. »
À ce propos, il est important que les défenseurs centraux sortent le ballon en progressant balle au pied…
Nous aimons que si le défense central a la possibilité de progresser balle au pied vers l’avant, qu’il le fasse, parce que cela nous permet de générer une supériorité numérique au milieu de terrain. Et ils savent déjà, en fonction de qui sort du côté du rival, qui des nôtres est celui qui doit ouvrir la ligne de passe pour transformer cette situation de 5 vs 4 en un 2 vs 1 à la fin. Et nous savons aussi que s’ils enferment le long de la ligne, la passe est intérieur et nous devons jouer intérieur/extérieur et que s’ils enferment à l’intérieur, on doit jouer extérieur/intérieur. Les joueurs apprennent eux-mêmes à visualiser comment le rival sort.
Pour quelles raisons, la figure du dribbleur se perd ?
Dans le football d’aujourd’hui, on joue de moins en moins avec des ailiers. Les latéraux montent beaucoup, mais ceux-ci n’ont pas la même netteté dans le un contre un et peut-être, il est pour eux plus facile de jouer le ballon vers l’arrière ou de jouer un une-deux. Mais dans beaucoup de matchs, quand nous attaquons beaucoup et les latéraux sont très haut, je dis moi-même : ’Je ne veux pas les latéraux là’, et je les ai sortis tous les deux pour mettre deux ailiers. J’aime les footballeurs qui déséquilibrent sur un contre un. Lors de notre dernier match des moins de 21 ans contre l’Allemagne, match nul 2-2, regardez nos ailiers : ils nous ont beaucoup donné.
Or, aux ailiers, il faut les mettre en situation pour qu’ils puissent réussir. L’un des problèmes est qu’ils décrochent beaucoup et ne sont presque jamais en un contre un, mais en deux contre un ou même en trois contre un. Mais si les ailiers sont bien au large et profonds, alors c’est comme ça que se dresse le un contre un et c’est là que vous pouvez faire du mal.
La clé est d’expliquer à ce joueur qui est très bon dans le un contre un, qu’il doit faire d’autres choses avant qu’il puisse avoir cette situation. Le terrain doit être ouvert, par le latéral ou par l’ailier, et ils doivent percevoir ce que le jeu demande. Parfois, ils le voient et parfois, on les aide depuis le banc. Il y a beaucoup d’ailiers pour qui il est est difficile d’attendre au large parce qu’ils veulent participer, mais souvent plus vous êtes près du but, plus vous êtes loin de marquer le but. Et c’est la même chose. Dans la surface, il faut arriver pour marquer un but, il ne faut pas être, c’est exactement l’inverse que pour défendre : là où il faut être et là où il ne faut pas y arriver. Ce sont de petits détails. Il y a des footballeurs qui arrivent toujours trop tôt et il faut leur faire comprendre qu’ils doivent être calmes et patienter un peu.
« Johan Cruyff est à l’origine du football moderne : c’est lui qui nous a montré le chemin. »
Or, cet EURO a également vu votre Danemark U21 défendre très bien en défense basse pendant de nombreuses minutes.
C’est le grand succès de cette sélection. Ce n’est pas que nous voulions défendre basse, mais quand on affronte la France, on est obligé de le faire ainsi. Et la France a pris peu de risques parce qu’elle ne jouait qu’entre les centraux et les latéraux sans oser réaliser des passes entre les lignes. On n’a pas été touchés une seule fois dans la surface. Face à l’Allemagne, cependant, nous savions qu’ils prendraient plus de risques, parce qu’ils avaient déjà vu le match contre la France et nous savions qu’ils ne s’y réfèreraient pas. Mais nous avons fait face, nous avons eu beaucoup plus de ballon que le match face à la France, nous avons mieux joué et j’ai adoré malgré la défaite. La façon dont nous avons perdu. Le match était plus attrayant pour le spectateur. Nous savons défendre bas quand nous devons le faire. Nous avons une façon de communiquer qui nous aide et le style de jeu nous permet de nous adapter très rapidement à l’adversaire sans guère changer.
Les différences de rythme que l’on voit dans de nombreux matchs de football européen, pensez-vous qu’elles sont une conséquence physique ou du jeu ?
Dans le football, il faut toujours prendre une décision : faire courir le ballon ou faire courir le joueur. C’est là que tout commence. Un football plus physique ou un football plus technico-tactique. J’ai toujours préféré le premier, faire courir le ballon. Pour cela, je parie sur des joueurs de haut niveau technique, qui pensent vite, qui savent prendre des décisions, qui savent jouer en équipe. Mais dans le football moderne, on accorde beaucoup d’importance au physique, et plus encore maintenant avec le Big Data. Je préfère utiliser cette information pour convaincre les joueurs. Je ne dirai jamais que nous avons perdu parce que nous avons couru un demi-kilomètre de moins entre un match ou un autre, je cherche des excuses ailleurs.
Le football est complexe, il est subjectif, il n’est pas linéaire. C’est bien comme donnée, mais avons-nous été bien placés ? Combien de passes faciles avons-nous perdues ? Quand avons-nous dû tenir le ballon, l’avons-nous fait ou l’avons-nous joué vers l’avant ? Les couvertures défensives étaient bien faites ? Le football est beaucoup plus complexe que le simple fait de courir. Faire courir le ballon depuis la technique et la tactique gagne l’aspect physique, mais, d’autre part, il faut beaucoup de connaissances et d’expérience pour le faire bien. Et peu d’entraîneurs ont ça pour le faire, et donc ils utilisent des profils beaucoup plus physiques parce qu’ils se sentent plus en sécurité.
Tous les systèmes sont respectables. Ce que j’aime, c’est que l’entraîneur ait une idée claire du jeu, que ce soit depuis un jeu de position ou via un jeu de contre-attaque. Il y a aussi des entraîneurs qui se sentent à l’aise dans des matchs très ouverts et qui provoquent cela. Si c’est ce que vous cherchez, chapeau. Ce que j’aime vraiment dans ce jeu, c’est quand un entraîneur a une idée claire du jeu et qu’il peut l’a diffuser sur le terrain, même s’il ne correspond pas à la mienne. À l’époque, j’ai beaucoup apprécié le Milan d’Arrigo Sacchi, par exemple, ou des équipes de Jürgen Klopp, Peter Bosz ou Roger Schmidt, qui étaient toutes si différentes les unes des autres. Ce sont des entraîneurs qui donnent de la personnalité à leurs équipes et c’est ce que j’aime. Comme le disait Johan Cruyff, le plus dur est de jouer facilement. Et c’est vrai. Nous nous préoccupons souvent de la façon dont nous développons les joueurs et leur apprenons à faire des choses et des mouvements de plus en plus difficiles, et c’est pour moi un talent et une inspiration. Il suffit de créer un environnement approprié pour qu’ils puissent développer l’art qu’ils ont.
Mais pour moi, en tant qu’entraîneur, la chose la plus importante est d’emmener le plus haut possible, les niveaux bas du joueur de football. ‘Raise the bottom level’, comme on dit en anglais. Qu’ils fassent très bien les choses plus faciles. Et comment cela se fait-il ? Avec concentration, anticipation, prise de décision… Si vous faites très bien les choses faciles, tout est beaucoup plus facile à obtenir et plus rapide. Tout le reste est une conséquence, car à la fin les joueurs seront plus susceptibles de se trouver dans certaines zones pour faire des choses plus spectaculaires où ils peuvent imposer leur inspiration. Les entraîneurs, nous aidons les équipes à amener le ballon près de la surface. Et à partir de là, vous dépendez du talent individuel du footballeur.
« Avec Peter Bosz, on passait des soirées entières à regarder des vidéos, à dessiner, à se disputer, parfois à crier… Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nous avions la certitude que nous créions quelque chose qui nous aiderait à grandir en tant qu’entraîneurs tout en comprenant mieux le jeu. »
Qui est Johan Cruyff pour Albert Capellas ?
Johan Cruyff est à l’origine du football moderne : c’est lui qui nous a montré le chemin. Cruyff a changé le FC Barcelone en mettant en œuvre cette mentalité gagnante. Je vivais à côté du Camp Nou quand Johan Cruyff était au FC Barcelone. J’ai vu beaucoup de matchs à l’époque et tout ce qui s’est implanté dans le football de formation, quand les équipes jouaient en 3-4-3 ou en 4-3-3, j’ai vu Xavi [Hernández] jouer à mi-temps quand il était au Infantil… Je passais mes journées à regarder tous les entraînements. Je ne travaillais pas au Barça à l’époque, mais je l’ai vécu et ça m’a choqué. J’ai appris la valeur de ce que signifie entendre le son du ballon : il n’est pas nécessaire de voir un entraînement pour savoir si était bien ou non. En l’écoutant, vous n’avez même pas besoin de le regarder. J’ai vu des jeux de position incroyables avec Guardiola, Koeman, Stoichkov, Laudrup, Romario… C’était un spectacle. J’ai appris l’excellence. Et j’ai appris à être très courageux et déterminé. Croire en une idée et ne pas dévier. J’ai appris que le football était un divertissement et qu’il devait être un spectacle. Cruyff était le football offensif 100%. Pep Guardiola est offensif 100%, mais aussi défensif 100%. Ses équipes sont très bien organisées défensivement. Je vois beaucoup de choses dans les équipes de Guardiola qui ne provenaient pas de la connaissance du FC Barcelone, je suppose que cela provient de son expérience internationale, que ce soit en Italie ou en Allemagne. Et ça m’est aussi arrivé, à moi qui ai vécu l’époque de Cruyff, mais ensuite, en voyageant, avec toutes les expériences que j’ai vécues, tu adaptes certains points, tu grandis en tant qu’entraîneur et les équipes acquièrent leur propre personnalité.
Qu’est-ce qui comptait le plus pour Cruyff, la passe ou le démarquage ?
La position. Nous savons tous que le système du FC Barcelone passe par un bon contrôle et une bonne passe. Et Johan Cruyff disait : ‘Vous jouez à trois touches, vous jouez mal ; vous jouez à deux touches, vous jouez bien ; vous jouez à une, vous jouez de façon fantastique’. Et avec cela, il te disait tout. Cruyff parlait de créer des angles entre footballeurs, c’est-à-dire des passes diagonales, créer des triangles qui ne soient pas propres mais irréguliers, etc. Ce n’est pas une seule chose, c’est l’ensemble qui vous mène à l’excellence.
Quelle influence Peter Bosz a-t-il eu sur vous ?
Il y a eu beaucoup de gens qui ont eu une grande influence sur moi. Alexanco, par exemple, Quique Costas, Johan Cruyff, Jordi Cruyff, Guardiola… Et Peter Bosz en fait partie, bien sûr. Quand j’étais avec lui à Vitesse Arnhem, nous passions les soirées ensemble à lier le système de jeu de l’équipe à celui du FC Barcelone. De cette façon, nous rassemblions tout ce qu’il y avait de bon dans sa façon de voir le football avec tout ce que j’apportais de bon et nous essayions de voir comment nous pouvions améliorer le modèle pour créer le nôtre. On passait des soirées entières à regarder des vidéos, à dessiner, à se disputer, parfois à crier… Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nous avions la certitude que nous créions quelque chose qui nous aiderait à grandir en tant qu’entraîneurs tout en comprenant mieux le jeu. Je suis très reconnaissant à Peter Bosz pour tout ce temps et je sais qu’il m’apprécie aussi beaucoup parce que c’était une époque très spéciale. Mais je suis très reconnaissant à toutes les personnes qui ont fait partie de mon chemin : de toutes ces personnes, j’ai appris. Je suis comme une éponge et j’essaie toujours de prendre les bonnes choses que les gens peuvent apporter.
Quand on est si longtemps en sélection, le quotidien du club manque-t-il ?
Oui, bien sûr. Il manque plus de matchs, plus de compétition, plus de contact avec les joueurs et le staff… Mais d’un autre côté, comme j’essaie toujours de trouver des choses positives, cela vous permet également de voir le football d’une manière plus détendue, et de cette façon, vous grandissez aussi en tant qu’entraîneur. Au final, c’est comme quiconque veux le voir, mais le football, il faut en profiter, il ne faut pas en souffrir. En ce sens, je cherche ce que je peux tirer de toute expérience qui m’aide à grandir et ce que je peux apporter pour que les gens de mon entourage puissent également grandir. C’est pour que les gens autour de moi, joueurs ou membres du staff, disent un jour : ‘Ça en valait la peine’.