Elle n’a joué que six matchs officiels et pourtant elle a laissé une trace indélébile dans l’histoire du football mondiale. Elle, c’est la génération des « carasucias », championne d’Amérique en 1957. La Grinta vous propose de découvrir l’équipe qui est considérée par de nombreux journalistes argentins comme la meilleure sélection nationale d’Argentine de l’histoire.
Il y a des équipes dont on ne sait pas grand-chose, que peu de gens ont vraiment vu jouer qui vivent à travers les souvenirs des anciens et la légende qui les entoure. Les « carasucias » (en français, les « visages sales ») en font partie. Emmenée par Corbatta, Maschio, Angelillo, Cruz et Sivori, cette équipe a été un véritable raz-de-marée continental. Un raz de marée qui ne dura que 6 matchs.
Le récital de 1957
Il faut remonter à un temps où les sélections nationales n’avaient pas la même organisation qu’aujourd’hui, un temps où une compétition internationale se jouait sans même avoir eu une préparation ni matchs amicaux au préalable. Un temps où les joueurs convoqués se connaissaient à peine. Autrement dit, un temps où l’improvisation dans le football était de mise. C’est dans ce contexte que l’Argentine dispute la Copa América 1957 à Lima (Pérou). Guillermo Stabile, le premier buteur argentin de l’histoire de la Coupe du monde en 1930, est alors le sélectionneur depuis 18 ans. Son casse-tête se résume déjà à choisir les meilleurs joueurs du pays. Il dispose d’une base de joueurs mais il doit déjà faire des choix : exclure les joueurs historiques en fin de cycle. Exit Labruna, l’une des plus grandes idoles de River Plate, Grillo, légende d’Independiente et Lombardo. Stabile opte pour des « pibes », des gamins au profil offensif qui se baladent dans le championnat argentin : Maschio et Corbatta du Racing, Antonio Angelillo de Boca Juniors, Osvaldo Cruz d’Independiente et un certain Omar Sivori de River Plate. Moyenne d’âge : 21 ans. À l’époque, la Copa América se joue comme un championnat, tout le monde se rencontre. Les participants sont l’Argentine, Pérou, Brésil, Uruguay, Chili, Colombie et l’Équateur.
Le premier match contre une équipe de Colombie en phase d’apprentissage est sans appel : 8-2 pour les hommes de Stabile. La défense Argentine compte dans ses rangs à Dellacha et Vairo, le gardien se nomme Rogelio Dominguez, gardien du Racing qui signera au Real Madrid après le tournoi, rien que ça. Le deuxième match les oppose à l’Equateur, presque un match d’entrainement pour les Argentins qui l’emportent 3 à 0.
Trois jours plus tard, l’Argentine se mesure à un rival beaucoup plus fort : l’Uruguay. C’est à partir de ce moment-là que la légende des « carasucias » a commencé à prendre forme. Un score lourd de 4-0 face au tenant du titre. Le quatrième match se déroule contre le Chili, un 6-2 qui ne fait que confirmer que cette équipe est injouable. Le fameux adage argentin des 3G : « Ganar, Gustar y Golear » (en français, « Gagner, séduire et marquer beaucoup de buts ») n’est plus une utopie.
Maschio déclarera quelques années plus tard : « Les gens se rappellent toujours de nous. C’est peut-être parce que l’on jouait très bien. Et je vous dis, on avait quasiment jamais joué ensemble, en Argentine, personne ne nous avait vu jouer ensemble ».
Le Brésil, qui vient de marquer 4 buts au Chili, 7 à l’Équateur et 9 à la Colombie, se dresse sur leur route au quatrième match ! Avec des joueurs comme Didi, Evaristo, Zizinho, Pepe et un jeune remplaçant du nom de Garrincha, une montagne se présente face aux Argentins. Les Brésiliens se doivent de gagner pour rester en course pour le titre après leur défaite face aux Uruguayens. Après un début de match serré, les Argentins finissent pas gagner 3-0 face aux futurs champions du monde. Les « carasucias », déjà champions, perdent leur dernier match face au Pérou. Maschio se souvient : « on a perdu parce qu’on continuait de faire la fête, on n’était plus concentrés. Après le match contre le Pérou, un Général argentin est venu nous voir et s’est plaint de notre match. Il a demandé à Stabile de reconcentrer ses joueurs car 3 jours plus tard, on devait rejouer face au Pérou. C’est ce qu’on a fait et on a gagné 4-1. » Avec 25 buts dont 21 pour les seuls Maschio ( meilleur buteur de la Copa avec 9 buts), Angelillo et Sivori, l’Argentine terminera la compétition avec la meilleure attaque et meilleur défense avec seulement 6 buts encaissés.
L’Italie et le désastre de Suède
Un an plus tard, toute l’Amérique du Sud pensait que les « carasucias » allaient survoler la Coupe du monde 1958 en Suède. Il n’en fut rien. À la suite de la Copa América, Maschio signe à Bologne, Angelillo à l’Inter et Sivori commence son histoire d’amour avec la Juventus. À l’époque, il était impossible de convoquer des joueurs évoluant à l’étranger pour la sélection nationale. Orpheline de ces trois monstres, l’équipe n‘est plus la même. Sivori et Maschio iront même jusqu’à jouer pour l’Italie lors du Mondial 1962. Des « carasucias », seuls Corbatta, Cruz et Dellacha seront appelés. Malgré Amadeo Carizzo, le meilleur gardien du monde de l’époque et le retour de Labruna, à 40 ans, l’Argentine se ridiculise en Suède. Après une défaite 3-1 face à l’Allemagne et une victoire par le même score face à l’Irlande, l’Argentine se fait écraser 6-1 face à la Tchécoslovaquie et quitte la Coupe du monde par la petite porte. À leur retour, les joueurs recevront des pièces et des légumes par la foule furieuse.
Seul Corbatta, un rescapé de l’épopée de 1957, sera épargné par les critiques. Stabile est limogé quelques mois plus tard, Carrizzo devient la tête de Turc de l’équipe et ne revêtira plus les couleurs de l’équipe nationale pendant 5 ans, et les caractéristiques du football argentin changent considérablement. Jusqu’en 1974 et l’arrivée de Menotti, on privilégia des joueurs robustes et rapides au détriment de joueurs techniques pour contrer les Européens. L’opinion arrive même à penser que l’Argentine ne battra plus jamais les Européens, le véritable traumatisme durera presque 15 ans. Nul doute que si les « carasucias » avaient joué la compétition au complet, l’histoire aurait été différente.
De nombreuses générations de joueurs argentins se sont succédées avec plus ou moins de succès. Peu sont restés dans toutes les mémoires comme, presque 60 ans plus tard, la glorieuse génération des « carasucias » de Lima.