René Poutet est quelqu’un de direct. Et ce n’est pas du haut de ses 71 ans qu’il risque de changer. Le président de l’Handifan Club OM, groupe de supporters handicapés de Marseille, donne l’impression d’un homme en parfaite santé de prime abord. Mais ses maux sont masqués par une volonté et une passion admirable. Comme lorsqu’il dénonce l’indifférence d’Arema, le gestionnaire du Stade Vélodrome, lors des travaux concernant l’accessibilité des handicapés ou la volonté des décideurs de séparer les siens.
René, qu’est-ce que l’Handifan Club OM ?
René Poutet : Handifan club OM est un groupe de supporters handicapés qui s’est crée il y a une dizaine d’années. Avant, il y avait une association qui s’appelait « le club des supporters handicapés de l’OM ». Cela faisait un peu long et il y a eu un changement de direction. Je le dirige depuis 2004 et nous nous occupons de toutes les personnes handicapées : aussi bien dans un fauteuil roulant, les personnes non-voyantes, malentendantes ou trisomiques. Toute personne qui a une carte d’invalidité à 80%, nous la prenons.
Vous avez une particularité, vous êtes le plus grand groupe d’Europe…
RP : Aujourd’hui, nous sommes environ 400 personnes abonnées en tant qu’adhérents et accompagnateurs. Dans l’ancien stade nous étions vraiment les plus nombreux avec 540 personnes, avant c’était Manchester United mais on les a dépassés. C’est pas glorifiant mais on s’en occupe vraiment bien.
Quelles sont les difficultés à gérer une association avec autant d’adhérents malgré le handicap ?
RP : Pour gérer une telle association, il faut qu’il y ait pas mal de monde qui s’en occupe. Chaque jour de match, il y a 36 personnes qui viennent aider. Nous, le plus gros problème est arrivé en début d’année. Les gens commandent leur place. C’est des abonnements à l’année. On s’occupe de prendre les places et de leur donner le jour du premier match à leurs emplacements. Mais pas que ça, on les emmène jusqu’à leur place pour leur faire voir leur emplacement. Ensuite, il y a des personnes qui viennent match par match. Et là c’est exactement pareil, je fais leur achat de billetterie. Ils viennent à l’entrée handicapés. On les emmène à leur place de manière à ce qu’ils ne soient pas perdus dans le stade. C’est des personnes qui sont contentes de trouver leur place, leur parking parce que nous nous occupons de tout jusqu’à la fin du match. Tout ça en accord avec l’Olympique de Marseille qui là-dessus a été vraiment impeccable, qui nous a toujours aidé et qui nous aidera tout autant. Il n’y a pas problème avec l’OM.
Avoir un écrin moderne tel que le nouveau Vélodrome doit sans doute changer les choses en termes d’accessibilité. Avez-vous été consulté lors des travaux ?
RP : Nous sommes très mal lotis. Et ce n’est pas l’Olympique de Marseille, c’est le propriétaire du stade donc la société Arema qui n’a pas fait ce qu’il fallait faire. J’avais demandé à ce que ces gens-là me contactent de temps en temps pour voir ce qu’ils faisaient comme places. Et malheureusement, ils n’ont pas voulu nous rencontrer. Rien du tout. De fait on se retrouve, nous les handicapés, à un cinquième niveau. On est le seul club dans le monde à un cinquième niveau ! Cela veut dire que nous partons du rez-de-chaussée et nous prenons un ascenseur. Et là encore, au cinquième, on va avoir de grosses difficultés puisque les emplacements des personnes handicapées en fauteuil roulant existent mais pas ceux des personnes accompagnatrices ! Les gens arrivent et restent debout alors qu’ils payent leur place, c’est inadmissible. C’est vrai que l’OM a fait le maximum pour nous aider, ils nous ont acheté des tabourets de cabaret pour les accompagnants. Malheureusement, c’est interdit ! Même la fédération de football n’a pas voulu nous vendre ces places pour France-Suède parce que ce n’est pas conforme. Le maire de Marseille (Jean-Claude Gaudin, ndlr) annonce 730 places, je me demande où il les trouve ! Sinon, pour les VIP le stade est merveilleux. Eux, ils payent cher, nous un peu moins (rire) mais on est quand même le seul groupe d’handicapés à payer notre place en France.
« Un jour, cela va faire comme ceux qui ne sont pas handicapés : on ne se connaîtra plus, on va peut-être se battre entre nous et se balancer le fauteuil roulant sur la gueule ! »
Comment êtes-vous accueilli lors de vos déplacements ?
RP : À l’extérieur nous sommes vraiment très bien reçus. Que ce soit à Nantes, Saint-Etienne, Lyon, Paris tant qu’on puisse y aller. Parce qu’on a la connaissance des personnes qui nous reçoivent, ce qui est formidable. Avant le match, on va boire un coup et après le match on va manger un petit morceau ensemble (avec les supporters adverses, ndlr). On a une très bonne entente, on est tous mélangés. Et on est en train de nous le casser, cela aussi ! On nous dit « les handicapés maintenant, ils vont être un peu d’un côté, un peu de l’autre ». Au Vélodrome, ils nous ont séparé alors que nous étions ensemble avant que le stade ne soit refait et maintenant on est dispatchés en plusieurs endroits. Il n’y a plus cette convivialité qu’il y avait. Les personnes ne se sentaient plus handicapées lorsque nous étions ensemble. C’est quelque chose de particulier. Elles ne supportent pas la foule, elles en ont peur parce qu’elles ont cet handicap. Et les gens ne veulent pas nous écouter. Une des plus grosses erreurs vient du ministère des Sports. Ils s’en foutent, ils n’ont rien fait. On a fait un Livre Vert (du supporterisme, ndlr) et on a fait tout le contraire de ce qui y était écrit. Et les gens vous disent : « non ce n’est pas possible, les supporters handicapés ne veulent pas tous être au même endroit ». Alors je voudrais savoir qui l’a affirmé. Parce que les personnes que j’ai, nous disent qu’ils nous ont tué notre association.
Hormis ces problèmes, vous êtes en avance à Marseille en ce qui concerne l’accueil des handicapés dans les stades. Existe-t-il des actions qui sont mises en place pour que cela évolue aussi au niveau national ou européen ?
RP : Oui logiquement, avec les instances européennes. Il y a des normes qui ont été faites par l’UEFA et qui ne sont pas respectées. Une association qui s’appelle CAFE (Centre for Access to Football in Europe) visite les stades pour contrôler si les normes d’accessibilité ont été respectées. Il y a effectivement beaucoup de stades qui ne sont pas en règle et qui vont être obligés à un moment donné de se conformer. Mais sur la question de l’emplacement et de la séparation des supporters de leur propre groupe, ils n’ont rien compris. Un jour, cela va faire comme ceux qui ne sont pas handicapés : on ne se connaîtra plus, on va peut-être se battre entre nous et se balancer le fauteuil roulant sur la gueule !
Vous association fait partie du Conseil National des Supporters de Football (CNSF). Qu’attendez-vous de ce ralliement ?
La proposition de loi de siéger à la FFF et à la Ligue ainsi que dans les clubs professionnels, je trouve que c’est quelque chose de très important. Ce que j’attends, c’est qu’ils nous (les supporters, ndlr) comprennent et nous écoutent. Qu’ils ne fassent pas comme ils veulent. C’est nous qui faisons vivre les stades, il ne faudrait pas qu’on se prenne les coups de bambous sans arrêt. J’ai reçu le livre juridique du ministère des Sports, ils ne pensent qu’à punir. Si demain on n’y est plus dans les stades, il n’y aura plus personne ! Ils ont besoin de nous et nous, on a besoin d’eux.
Propos recueillis par Adrien Verrecchia