Après 2 premiers matchs cahoteux, Marseille vient d’enchaîner sept succès consécutifs. L’OM domine la Ligue 1, et Marcelo Bielsa enrichit tactiquement notre championnat. Au quart de la saison, il y a déjà des récurrences – positives et négatives – dans le jeu des Phocéens. Il est temps de tirer un premier bilan tactique de l’OM de Bielsa.
Surnombre axial et marquage individuel
Le Bielsisme se définit d’abord par un principe de base : le surnombre axial. Dans l’esprit, l’OM joue toujours avec 3 centraux. Un stoppeur sur l’avant centre adverse, un 6-défenseur (Romao) sur le joueur en soutien, et le deuxième stoppeur en couverture. Si Bielsa jouit – à juste titre – d’une réputation d’entraîneur offensif, la base de son organisation est un surnombre défensif : un 3 contre 2 dans l’axe.
Le reste de l’équipe est également calqué sur l’organisation adverse. Thauvin et Ayew prennent chacun un des deux latéraux adverses en individuelle : Mendy et Dja Djédjé s’occupent des ailiers, et Payet et Imbula marquent les « 2 » du 4-2-3-1, système le plus souvent croisé en France. Devant, Gignac doit répéter les courses à haute intensité jusqu’au gardien adverse pour forcer le jeu long. Il est soutenu par Payet ou Ayew dans cette tache, particulièrement au moment où l’adversaire engage – ou simplement, joue – en retrait. Une erreur manifeste qu’a intelligemment refusé Patrice Garande lors de Caen-OM.
Le tout donne parfois au bloc une forme étrange en phase défensive, à l’image des Pays-Bas lors du Mondial, lorsque les Marseillais suivent leur adversaire direct, loin de leur zone défensive de départ. Quand Payet, Gignac ou Ayew produisent leur effort vertical vers le porteur à 30 km/heure, le bloc ne suit pas forcément. Cela peut donner l’impression d’un poulet sans tête, gaspillant sans discernement son énergie. Il faut sortir du paradigme de la zone (très courant de nos jours) pour voir ce pressing comme un calque de l’équipe adverse, homme pour homme.
Forcément, l’équilibre de l’OM repose sur la discipline de ces marquages. Quand elle n’est plus au rendez-vous lors des temps faibles olympiens, le danger arrive des joueurs latéraux adverses. Thauvin lâche la surveillance de Brison au Vélodrome (2-1), et le latéral peut marquer sur un renversement de jeu, ayant lui-même échappé au marquage de Romao, en dézonant (voir vidéo). L’ancien Bastiais sortira 3 minutes plus tard, sans un regard de son entraineur. Même chose contre Rennes en début de match : les Marseillais ne sont pas à distance, Romao lâche Doucouré et Dja Djédjé lâche N’tep, le décalage est créé en quelques secondes.
Pressing
Evidemment, tout cela est réalisé dans un esprit de pro-activité total. Si l’OM fait preuve de verticalité et bat Saint-Etienne sur attaque rapide, elle ne sera jamais une équipe de contre. L’équipe de Marcelo Bielsa calque son organisation défensive sur celle de son adversaire quand il a le ballon, mais elle ne négocie plus au moment de presser.
Prestation la plus marquante de ce premier quart de saison, la victoire à Reims (5-0) a surtout été celle du pressing. Dès l’entame, les Marseillais ont dévoré physiquement les Champenois et ont plié la rencontre en 20 minutes, ne laissant aucun répit au porteur du ballon, sur lequel des prises à 3 se sont inlassablement refermées. À la récupération, la largeur rapidement trouvée a laissé s’exprimer l’atout offensif numéro un de cet OM-là : les centres.
Action type : le centre
15 des 23 buts de l’OM ont été inscrits de cette façon, et sont liés directement à un centre. Meilleure attaque de L1, l’OM est aussi l’équipe qui centre le plus (27 par match en moyenne). Au-delà de cette donnée statistique, la vraie force de cet OM, c’est la présence en nombre dans la surface au moment ou ces centres y atterrissent. L’occasion de décrire « l’action type » marseillaise sur le plan offensif.
Renversement : Imbula en clé de voûte, Mendy en archer
La relance s’articule autour du trio Morel– Romao–N’Koulou. Avec 5 joueurs de champ gauchers, le jeu de l’OM penche naturellement à gauche. Clé de voûte de l’organisation de Bielsa, Imbula est le joueur par lequel s’opère le lien entre relance et construction, et grâce à qui le jeu bascule (dans un premier temps) vers la gauche. Si le circuit est trop lisible, les décrochages de Thauvin au poste (éphémère) de relayeur droit, permettent d’aider à pénétrer le camp adverse.
Pendant ce temps, Mendy et Dja Djédjé ont déjà investi les postes d’Ayew et Thauvin, transformant le 4-2-3-1 en un 3-4-3 dont ils sont désormais les ailiers. Le décrochage de Thauvin peut d’ailleurs faire office de fausse piste, visant à attirer un milieu pour mieux chercher la profondeur, comme ce fut le cas sur l’ouverture du score de Gignac à Evian.
Une fois Imbula trouvé, le premier endroit à atteindre est le côté d’où partira le centre (le flanc gauche de Mendy, le plus souvent). Le deuxième groupe entre en action : Mendy–Ayew–Imbula, parfois aidés par un Payet très libre, ou même un Gignac très mobile.
Lors de son premier point presse, Bielsa avait déclaré vouloir deux joueurs à gauche, deux dans l’axe et deux à droite. En fait, l’OM propose plutôt un trio sur le côté d’où partira le centre, à la faveur d’une combinaison (comme sur l’ouverture du score à Reims), ou d’une fausse piste pour libérer le centreur. Le reste des joueurs offensifs étant impliqués dans sa réception.
Projection : le nombre vient du côté opposé
Relance grâce au décrochage, construction grâce au renversement (parfois Imbula, seul balle au pied), et finition grâce au nombre dans la boite. Nombre obtenu par la projection, venue du côté opposé. À ce moment, quatre joueurs marseillais (au moins) sont présents dans la surface. Gignac, Payet, Thauvin et Dja Djédjé en théorie, si le centre vient de la gauche.
Au-delà de la répétition du geste à l’entrainement, c’est la présence dans la boite qui donne à l’OM son efficacité. Le nombre perturbe les marquages adverses, ce qui donne de la marge à Gignac et/ou offre le second ballon à l’OM.
On en a eu l’illustration à Caen : 4 Marseillais contre 3 Caennais au moment où Fanni envoie le dernier centre du match. Le deuxième ballon sera fatalement marseillais : N’Koulou est à la réception après la tête d’Ayew et remet pour Mendy qui décale Gignac. À bout portant, l’international français fusille Vercoutre.
Sans avoir combiné avant de centrer, les Marseillais ont tout de même appliqué 2 des 3 étapes de l’action type : centrer et utiliser le surnombre dans la boite grâce à l’ailier opposé (en l’occurrence Ayew, le centre venait de la droite). Le surnombre crée le décalage, et le décalage crée le but.
Cela dit, on retrouve les combinaisons latérales – à gauche, puis à droite – dans les séquences qui précèdent le but.
Les limites
L’OM a mis deux matchs à se mettre en place défensivement : rattrapé en puissance à Bastia et cuit en contre face à Montpellier. Depuis, il n’a encaissé que 3 buts en 7 matchs, dont un anecdotique à Evian. Ses failles défensives sont inhérentes à son système offensif. À Caen, sur la faute qui aurait pu valoir un rouge à Morel, l’OM est pris en vitesse sur un contre après un corner. Dans le jeu, Marseille paiera peut-être la projection qui lui vaut son efficacité aérienne sur les centres. Cela dépendra aussi de la transition défensive, et là, la qualité du pressing peut donner confiance.
Depuis le début de sa série, c’est sûrement au Vélodrome face à Sainté qu’on a vu Marseille le plus en difficulté. A défaut de perdre le contrôle du match et d’être vraiment en danger, l’OM a vite craqué en début de deuxième période, et aurait du finir à 10, N’Koulou bénéficiant de la clémence de M. Fautrel. La mobilité et les permutations des attaquants verts ont perturbé la clé de voûte déjà su de l’équilibre olympien : les marquages. Si ils sont mis à mal, ou si l’adversaire fait la différence en 1 contre 1, alors l’OM vacillera.
Offensivement, il est à noter que sur certaines attaques rapides, Thauvin s’est trouvé en difficulté, facilement enfermé sur son pied droit lorsqu’il n’est pas soutenu par Dja Djédjé, même s’il a déjà été décisif dans cette position (Nice, Reims). Les fruits du travail qu’il réalise sur le latéral gauche adverse peuvent aussi être récoltés par Alessandrini, habitué à entrer à l’heure de jeu.
Le tournant de la rigueur
En 3 mois de travail, Marcelo Bielsa a (re)fait de Gignac un buteur régulier (9 buts en 9 matchs), ce qui l’a ramené en équipe de France, tout comme Payet. En replaçant Morel dans l’axe, il a su redonner à l’OM son équilibre, en s’appuyant sur sa méthode de base. Ce qui a ouvert le couloir à Mendy, dont les qualités athlétiques et techniques font des ravages sur le côté gauche. Sa collaboration avec Ayew est excellente, et quand le ballon arrive du côté droit, c’est le jeu de tête du Ghanéen qui fait la différence.
En plus de sa science tactique, l’entraineur argentin a amené en Ligue 1 son professionnalisme et son exigence. Les Marseillais sont pour l’instant au dessus du lot athlétiquement, et ce n’est sûrement pas sans lien avec leur préparation physique. À voir sur la durée.
De Rosario à Bilbao, en passant par Santiago et Guadalajara, les méthodes de Bielsa ont été saluées et leurs bienfaits sur le long terme ont été reconnus. On ne peut pas enchaîner de victoires sans certitudes, et l’OM en a, en dépit de sa marge de progression dans tous les domaines.
Comme l’a rappelé son entraîneur, c’est en se mesurant aux meilleurs qu’on évalue son niveau, et l’OM ne l’a pas encore fait. Lille, Monaco, Bordeaux, Lyon et Paris arrivent d’ici la trêve. L’heure de faire un autre bilan et – éventuellement – de commencer à prononcer les mots interdits.