Depuis plusieurs semaines, le favori à l’élection du président de la FIGC, la fédération italienne, faisait face à une véritable fronde pour son retrait. Une pétition lancée par un député contre Carlo Tavecchio a recueilli 25 000 signatures suite à un dérapage raciste contre les étrangers. En vain celui-ci a été élu il y a deux semaines, pour le meilleur et peut-être pas vraiment pour le pire.
En théorie, le nouveau président de la fédération italienne n’aurait pas pu/dû se présenter. En théorie seulement, l’Italie reste l’Italie. L’article n°29 des statuts de la FIGC indique ceci : « Sont inéligibles ceux qui ont des condamnations pénales passées ». Or, le désormais célèbre Carlo Tavecchio n’est pas en reste dans ce domaine. Un éminent soutien de l’ancien président des ligues amateurs nous assure « en off » pendant la campagne ne pas être au courant et jure que « son casier judiciaire est propre ». Pourtant, et ceci est facilement vérifiable, il suffit d’aller sur la page Wikipédia de l’homme âgé de 71 ans pour constater qu’il a été condamné cinq fois à plusieurs mois de réclusion pour « usage de faux » ou encore « évasion fiscale ». Notre interlocuteur, personnage important du football, nous promet alors de « demander des explications ». Il continuera pourtant de le soutenir tout au long de la campagne, nous sommes depuis sans nouvelles.
Alors comment Tavecchio a-t-il pu se présenter à ces élections ? « Il faut le demander à ceux qui créent et font respecter les lois », répond le célèbre avocat de supporters Lorenzo Contucci. Et de poursuivre : « On a en Italie au moins un tiers des parlementaires qui sont des repris de justice ou sous le coup d’une enquête pour certaines infractions, plus ou moins graves. Même l’actuel chef du gouvernement (Matteo) Renzi a fait un pacte avec Berlusconi (pour avoir le soutien de son parti au Parlement, ndlr), un condamné ( pour fraude fiscale, ndlr) ». Une situation symptomatique du pays : On ne voit pas ou l’on fait semblant de ne pas voir jusqu’au jour où ça éclate. On ne s’est par exemple jamais autant intéressé aux antécédents judiciaires de « Genny la charogne » que lorsqu’il a fait la Une des journaux. Mais si l’on va par-là, Antonio Conte, le nouveau sélectionneur a aussi été condamné pour délit de non-dénonciation. Fallait-il pour autant se priver du meilleur technicien italien de ces dernières années ?
L’homme de l’appareil contre la « nouvelle vague »
Une fois cette anormalité soulevée, passons à la vocation même d’une élection : élire le meilleur candidat possible. En l’occurrence celle de la fédération italienne (FIGC) opposait donc Carlo Tavecchio à Demetrio Albertini. L’un représentait le candidat « du sérail » », président des Ligues amateurs depuis 15 ans, l’autre était censé incarner le renouveau avec sa glorieuse carrière de joueur raccrochée il y a moins de dix ans. Dès le début, la donne est simple : Tavecchio dispose d’un soutien de la quasi majorité des votants (Serie A, Serie B, Lega Pro et « son » ancienne Lega Dilettanti) et devrait être élu avec une large avance. Du jamais vu. N’en déplaise à l’opinion et à la presse qui souhaitent un véritable changement. Albertini jouit « de sa jeunesse » du haut de ses 42 ans, c’est surtout la hype de l’ancien joueur plébiscité par ses pairs, le corps arbitral et les journalistes.
Pourtant, à y regarder de près, les deux hommes présentent des programmes assez similaires, Albertini proposant moins d’idées mais plus développées et davantage axées sur le long terme. Son slogan « la balle au centre » ressemble à deux goûtes d’eau à celui de Tavecchio : « Le football au centre de no préoccupations ». Et là ressemblance ne s’arrête pas là. Pour ne citer que quelques points communs aux deux candidatures : Moderniser les stades actuels (car selon eux, construire de nouveaux stades coûte trop cher), développer le football féminin, renforcer le dialogue avec les supporters, imposer aux équipes un plus grand nombre de joueurs formés au club, aides supplémentaires à la formation d’arbitres et d’éducateurs, réduire davantage le nombre de clubs pros, tenter de « convertir » une partie des 40% d’Italiens qui ne font pas de sport régulièrement… Là ou l’ancien joueur de l’AC Milan se distingue, c’est en se positionnement clairement pour l’instauration des équipes réserves (inexistantes en Italie) alors que le nouveau patron du foot italien souhaite pour l’instant simplement « approfondir » la réflexion en comparant avec les pays voisins. Surtout, LA proposition phare de Demetrio Albetini, c’est de réduire la Serie A à 18 équipes.
Le dérapage qui a enflammé la campagne
Mais ces élections ont pris une dimension plus médiatique et politisée suite à la fameuse phrase de Carlo Tavecchio lors d’un discours sur le nombre important d’étrangers en Serie A : « Opti Pobà, qui avant mangeait des bananes, vient et joue titulaire à la Lazio et c’est bon comme ça en Italie. En Angleterre, il doit démontrer son expérience et son pédigrée ». Contrairement à tout ce qui a pu être véhiculé dans les médias en France, Paul Pogba n’était pas visé. Si la sortie est condamnable, elle est toutefois à pondérer de plusieurs éléments qui n’ont malheureusement pas été retranscrits par la presse. L’homme a été traîné dans la boue plus que de raison avec cette fâcheuse tendance du bashing. Qu’il soit mauvais communicant, c’est un fait et pas depuis cette « gaffe ». D’ailleurs, il a récidivé quelques jours plus tard en attestant avoir été traité « pire que le meurtrier de JFK (sic) ». Mais qui sommes-nous pour le stigmatiser sur cette seule phrase ?
Preuve que la déclaration – dans un premier temps – n’a pas tant choquée que cela au « Belpaese » puisqu’elle ne faisait l’objet « que » d’un intertitre (et non d’une Une ou d’un gros titre !) sur le site gazzetta.it ce jour-là. Ce qui n’a pas été abordé ici, c’est que la valeur des mots n’est pas la même non plus en fonction des pays. Un « negro » de la part d’un Luis Suarez (sud-américain), ou d’un Luis Aragones n’est pas aussi connoté qu’en France. Tavecchio en vient même à se ramener avec une photo de son engagement humanitaire au Congo pour prouver qu’il n’est pas raciste. Un climat nauséabond dont il n’est pas l’unique responsable. Soyons honnêtes, c’était surtout le prétexte rêvé pour les médias de faire pression pour qu’il se retire, et (pour la gauche, essentiellement) de faire de la récupération politique. Au passage Monsieur le député Chaouki, qui se revendique « journaliste et politique » (c’est possible, ça ?), s’est fait une sacré publicité avec sa pétition à plus de 25 000 signatures. Certains journalistes ont effectué un véritable militantisme, contraire à la théorique déontologie de la profession.
NO RACISTS IN THE ITALIAN FOOTBALL PRESIDENCY!!! #NoTavecchio . HERE THE PETITION: @ChangeItalia http://t.co/R8dOO4DyTy @MartinSchulz
— Khalid Chaouki (@KhalidChaouki3) 1 Août 2014
Les casseroles de Tavecchio sont ressorties, La Gazzetta titre même une vieille vidéo sur son site web « les femmes sont handicapées » dans laquelle il ne fait qu’affirmer que les femmes sont plus limitées en termes de capacités physiques que les hommes. Ce qui, vous en conviendrez, est loin d’être une aberration sans faire injure à la gente féminine. Le candidat n’est plus attaqué, c’est l’homme qui est ciblé. Et c’est ce qui est le plus dérangeant. Demetrio Albertini aura au moins eu la classe de ne pas vouloir gagner sur ce terrain-là. Plusieurs clubs de clubs, menés par la Juve et la Roma qui avaient exprimé leur envie de renouvellement et d’une politique plus « européenne » avant cet épisode, décident alors de retirer leur soutien à l’ancien maire de Ponte Lambro (près de Côme). Près de la moitié de la Serie A rejoint cette liste de frondeurs au point de redonner du piment à cette élection.
Pourquoi Tavecchio l’a quand même emporté sans être inquiété
Malgré tous ces réfractaires, de nombreux soutiens de la première heure n’abandonnent pas Carlo Tavecchio en pleine tempête. Dont certaines têtes biens connues comme Adriano Galliani, l’administrateur délégué du Milan. Mais surtout Claudio Lotito, président de la Lazio, dont le militantisme pendant la campagne était tellement grossier qu’il a été vivement critiqué (et à jeté un peu plus le discrédit sur Tavecchio) à force de lorgner sur un rôle important à la fédération. Hormis la Serie A, La Lega Pro et logiquement celle des amateurs le soutiennent toujours aussi. Plus étonnamment, Andrea Abodi et la Serie B également. Ce dernier était l’un des rares dirigeants du football italien à avoir une certaine cote de popularité. L’image d’Abodi en a pris un coup par ce soutien inconditionnel au candidat pestiféré. Pourtant le président, de la Serie B a toujours prôné pour l’exemplarité des décideurs et a réfuté tout implication future au sein de la fédération.
Et si Andrea Abodi l’a fait au détriment de son intérêt personnel, c’est à l’en croire au bénéfice du football italien dans sa globalité. Ce qui est encore plus louable. Il faut bien comprendre qu’un président de Lega représente les clubs de sa catégorie, en l’occurrence la Serie B. La majorité de ceux-ci se sont prononcés en faveur de Carlo Tavecchio. Au-delà de cette évidence, le consensus prononcé lors de la dernière assemblée par les clubs pro et amateurs a aussi pesé lourd. C’est la première fois qu’un candidat à la présidence de la FIGC faisait l’unanimité. En clair, il aura davantage les mains libres que quiconque pour réformer en conseil fédéral. Si Tavecchio s’était retiré, Demetrio Albertini a déclaré qu’il en aurait fait de même. Dans ce cas, la fédération aurait été placée sous la tutelle d’un commissaire faute de candidat. Comme si le football italien n’était pas suffisamment englué dans un marasme. Pour toutes ces raisons, la liste des « No Tav » (jeu de mot entre « Tavecchio » et les nouvelles lignes TGV qui divisent en Italie) de Serie A vole en éclats. Certaines équipes qui avaient suivi le mouvement initié par la Juve et la Roma pour des raisons d’image ou liées au mercato réaffirment leur soutien initial. C’est le cas de l’Hellas Vérone, de l’Atalanta ou encore de Cesena. Un tournant qui scelle la victoire du septuagénaire. De plus, il aurait été impossible pour Albertini de tenir un programme certes similaire mais plus axé sur le long terme (Serie A à 18 équipes) en seulement deux ans.
Tavecchio a convaincu Antonio Conte pour reprendre le poste de sélectionneur. (DR)
Un début de mandat en fanfare
Sans surprise, Carlo Tavecchio est donc élu sans trembler. La démocratie a parlé avec 63,63% des voix. La Gazzetta titre le lendemain « Stravecchio » (très vieux Tavecchio). Un vrai symbole du déclin du pouvoir des médias qui ont fait tout leur possible pour l’éliminer. Place donc au premier dossier du nouveau patron de la FIGC : La nomination d’un nouveau sélectionneur. Ce test grandeur nature a été passé avec brio. L’affaire a été réglée en seulement quelques jours, et c’est le meilleur entraîneur italien de ces dernières années Antonio Conte qui hérite de la Nazionale. Inattaquable sur le fond, c’est sur la forme que tentent de polémiquer quelques frustrés qui confondent militantisme et journalisme. Le salaire de 3 millions d’euros par an que touchait l’ex-entraîneur de la Juve étant inatteignable pour la fédération (Cesare Prandelli émargeait à moins de 2 millions), Tavecchio a eu la bonne idée de mettre l’équipementier de la Squadra Azzurra à contribution.
S’en suivent des surenchères de démagogie ici et là. « C’est trop ». Cependant, grâce à ce deal avec Puma, la fédération débourse 100 000 euros de moins chaque année par rapport à l’ère Prandelli. Et c’est méconnaître Conte que d’aller imaginer un interventionnisme du sponsor dans la sélection de joueurs. Après ce premier gros coup, Carlo Tavecchio déchaîne à nouveau les passions pour une réforme surprenante. Le règlement concernant la controversée « discrimination territoriale » (les insultes envers les Napolitains, entres autres) a été revu comme l’exigeaient les clubs depuis longtemps. Puisque les huis clos pleuvaient et que certains Napolitains en étaient venus à s’insulter eux-mêmes en signe de défiance des autorités, les sanctions se résumeront essentiellement à des amendes. Une hypocrisie en moins.
Foncièrement, peu de chose différenciait les deux candidats. En ce sens, l’élection de Tavecchio, si médiatiquement celui-ci est mal perçu, est loin d’être un mal eu égard du soutien dont il bénéficie au sein de son milieu à l’inverse d’Albertini. Certes, l’un s’exprime mieux que l’autre et aurait redoré l’image du Calcio à l’international grâce à sa prestigieuse carrière. Mais l’ancien président de la Ligue des amateurs a été solide sur ses premiers dossiers à gérer. En attendant la suite, dont sa prochaine sortie lors d’un conférence de l’UEFA début septembre… sur le racisme.