A l’heure où les droits TV se négocient en Europe à des sommes astronomiques, le football argentin est retransmis sur la télévision publique. En France la chaîne YouTube « Fútbol Para Todos », sur laquelle il est possible de voir les matchs en direct, est bien connue des aficionados. À l’heure ou la France déclare la guerre au Vines et autres GIF, cette nationalisation d’apparence enviable comporte aussi ses mauvais côtés.
Fermez les yeux et imaginez le ministre des Sports français en pleine négociation avec Noël Le Graët pour l’achat des droits TV de Ligue 1 et Ligue 2. Scène surréaliste en France mais pourtant banalisée en Argentine. Le « football pour tous », c’est ainsi que le gouvernement local a offert l’accès aux matchs de première et deuxième division à tous les amateurs de ballon rond. Il faut dire que le football a toujours été un exutoire pour les Argentins, de la dictature de Videla jusqu’à la crise économique de 2001. Ainsi en 2009, le projet voit le jour sous l’impulsion de l’ancien président Nestor Kirchner (gauche) et du défunt président de la fédération de football argentine (AFA), Julio Grondona. Les deux hommes prétextent nationaliser le football pour permettre à l’ensemble des supporters de voir e gratuitement les matchs mais surtout aider les principaux clubs du pays encore fragilisés par la situation économique.
Au lancement du programme, Cristina Fernandez de Kirchner (actuelle présidente du pays et femme de Nestor Kirchner) annonce que « Fútbol Para Todos » sera entièrement financé par les revenus publicitaires. Mais en 2012, ces mêmes recettes ont apporté près de 220 millions de pesos (22 millions d’euros), une somme malheureusement insuffisante. La décision de Nestor Kirchner prise en 2010 afin de freiner les publicités privées n’arrange rien à la situation. En effet, au début de l’aventure le budget initial était de 648 millions de pesos (64,8 millions d’euros) avant d’atteindre plus d’un milliard de pesos (100 millions d’euros) trois ans plus tard. Pour cette année 2015, le ministère de l’Economie a estimé « Fútbol Para Todos » a pas moins de 1634 millions de pesos (163 millions d’euros). Une somme astronomique compte tenu de la situation financière exsangue du pays. L’économiste Pablo Martinez souligne les raisons d’un tel investissement de la part du gouvernemen : « Il est récurent en Argentine d’arriver au pouvoir avec des initiatives populistes, Fútbol Para Todos est un excellent vecteur de propagande mais son gain est nul ». excellent vecteur de propagande mais son gain est nul. »
Fútbol Para Todos, populisme ou propagande électorale ?
La nationalisation du football argentin n’est pas anodine et relève plus d’un acte politique digne d’un scénario de House of Cards. Jusqu’en 2009, les droits télévisés étaient détenus par le groupe Clarin alors principal média d’opposition au couple présidentiel. Les Kirchner ont porté un véritable coup dur à leurs détracteurs qui détenaient les droits TV depuis 1991 entraînant une perte estimée à 390 millions de pesos jusqu’en 2014. Le gouvernement défend son action en déclarant que le football fait partie intégrante de la culture argentine. Dès lors, les rencontres de Primera A et B trouvent leur place sur la seule chaîne publique nationale avant de devenir un véritable organe de propagande.
Les opposants politiques crient à la politisation du sport. Hebe de Bonafini, personnage emblématique de l’association « Mères de la Place de Mai » (des enfants disparus pendant la dictature) dénonce : « Fútbol Para Todos n’est pas là pour faire de l’argent mais de la politique. « La propagande de Futbol para todos est de l’argent mal utilisé », assène aussi Pablo Alabarces (auteur de Héroes, Machos y Patriotas). Et les chiffres ne mentent pas. Depuis 2009, 1,5 million de seconde de publicités gouvernementales ont été diffusées sur la chaîne. D’année en année l’espace publicitaire accordé au gouvernement a augmenté notamment en deuxième division lors de la relégation de River Plate. Cette propagande officielle a valu des plaintes de personnalités politiques, sans suite.
2015 : Une année de transition
L’année 2015 marque une véritable refonte des championnats locaux. Un nouveau tournoi de première division à 30 équipes entraîne forcément de nouvelles problématiques liées à la diffusion des matchs. Dès décembre 2014, les représentants de « Fútbol Para Todos » et de la fédération argentine ont jeté les bases des nouveaux contrats. L’AFA recevra désormais 1440 millions de pesos par an soit plus de 140 millions par mois pour les droits TV. D’autant plus que la fédération aura une source de revenus supplémentaire, Iveco laissant sa place de principal sponsor à la banque Chinoise IBC qui investit pas moins de 144 millions par an.
En 2014, « Fútbol Para Todos » aura coûté près de 2 milliards de pesos (200 millions d’euros) au gouvernement argentin soit une hausse de plus de 46% sur le budget prévisionnel. Ce programme public représente désormais un véritable gouffre financier pour les contribuables alors que le pays a frôlé la banqueroute l’été dernier et fait face à une impressionnante hausse de l’inflation. Du football gratuit, oui, mais à quel prix ?