Il aurait pu s’échapper et ne pas répondre comme tant d’autres. Le commissaire Antoine Boutonnet de la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH) a au moins le mérite de ne pas être de ceux-là. Si l’interview ne s’est pas déroulée de vive voix pour des « contraintes de temps » du commissaire, ce dernier a tenu parole par e-mail. Ce qui, hélas, ne nous a pas permis de rebondir sur ses propos. Mais le point de vue d’un garant de la sécurité publique demeure intéressant sur des sujets sensibles que tels que la répression et l’Euro 2016 à venir en France. D’autant qu’il n’élude aucune de nos questions.
Commissaire Boutonnet, il y a un mois cela a été plutôt animé dans les stades français. Le 17 octobre en marge du Lens-PSG au Stade de France, des centaines de supporters munis de billets et qui n’étaient pas interdits de stade ont été bloqués à l’extérieur. Pourquoi et qui est à l’origine de cette décision ? Dans le lot il y avait femmes, enfants, handicapés et supporters lensois. Cela parait quand même invraisemblable dans un État de droit, non ?
Comme vous le savez, l’organisateur d’une rencontre sportive est responsable de la sécurité dans son enceinte et il lui appartient de gérer l’entrée des personnes ayant acheté des billets. Je ne peux donc pas répondre à sa place. En revanche, une manifestation non déclarée était organisée sur la voie publique à cet endroit en présence de personnes connues pour des faits de violences. Nous avons également constaté la présence de personnes interdites de stade et contre lesquelles des procédures seront diligentées pour le non-respect de cette mesure.
Pourquoi ces personnes ont l’impression que toute forme de dialogue est proscrite avec le ministère de l’Intérieur ?
Il ne s’agit que d’une impression. Le dialogue avec les associations et groupes de supporters est régulier, notamment par le biais des correspondants football. En ce qui me concerne, je dialogue souvent avec des responsables de groupes de supporters. En revanche, il est vrai que je ne discute pas avec des leaders de groupes violents, diffusant des messages à caractère haineux, raciste, xénophobe, antisémite, et homophobe.
Le lendemain à chaud, vous réagissiez sur les événements de Nice-Bastia sur RMC. Pour vous, il s’agissait d’une provocation du gardien de but Jean-Louis Leca qui a exhibé « un drapeau corse vers les supporters niçois ». Sur les images on voit clairement qu’il reste vers le rond central. Ne pensez-vous pas plutôt que c’est un exemple supplémentaire, avec cet arrêté préfectoral anti-corse, d’incidents qui sont le fruit d’une trop grande répression en France ?
Ce n’est pas l’exhibition du drapeau qui a posé problème à mon sens, mais plutôt la gestuelle qui a pu être interprétée comme une provocation. Les événements qui en découlent le confirment et toute tension sur le terrain de jeu se traduit immanquablement par une réaction en tribune. Il ne s’agit pas de stigmatiser un groupe de supporters plutôt qu’un autre, c’est ce derby qui est extrêmement sensible et l’ensemble des acteurs doit avoir un comportement apaisant plutôt que l’inverse. Il ne s’agit pas d’un arrêté contre un groupe, mais d’une mesure visant à éviter que le pire puisse se produire. Je rappelle que les supporters niçois avaient été interdits de déplacement à Bastia la saison passée.
On vous a entendu brièvement aussi revenir sur un agent de la sécurité niçoise frappant un joueur bastiais. On en parle peu mais il y a quelques villes en France où cela se passe mal entre les entreprises privées de sécurité engagées par les clubs et leurs propres supporters, par exemple à Montpellier. Est-ce un sujet qui vous préoccupe ?
Les sociétés de sécurités privées travaillant dans les enceintes sportives font un travail extrêmement difficile et je tiens à saluer leur professionnalisme. Le geste de l’agent de sécurité auquel vous faites allusion n’est pas admissible et il ne remet aucunement en cause l’attitude irréprochable de la très grande majorité de ses collègues.
« Une répression accentuée à l’approche de l’Euro 2016 ? Une impression »
Vous avez peut-être entendu parler de l’ANS, l’Association Nationale des Supporters, qui a été créée pour représenter plusieurs dizaines de groupes ultras. Seriez-vous disposé à les rencontrer et à échanger avec eux ?
Bien entendu, et c’est une bonne chose que des associations de supporters puissent se constituer. Sous réserve qu’elles n’acceptent pas en leur sein des individus qui commettent régulièrement des infractions en marge des rencontres de football car elles y perdraient en crédibilité.
Plus l’Euro 2016 approche, plus certains ont l’impression que la répression s’accentue. Tambours et mégaphones sont de moins en moins autorisés, les déplacements des supporters visiteurs avec signes distinctifs sont désormais quasi systématiquement interdits lors des matchs à risques. Est-ce vraiment une volonté assumée ou ce n’est qu’une impression ?
Non, il s’agit d’une impression. Toutes les mesures utiles doivent être prises par l’organisateur et les pouvoirs publics pour accompagner des rencontres de football « à risques » et protéger l’ensemble des spectateurs présents au stade.
Les débordements sont de plus en réguliers en France. Comment allez-vous faire pour gérer des hooligans venus des pays de l’Est ou des Pays-Bas alors qu’on a du mal à encadrer des Lille-Everton ou Nice-Bastia ?
Vous regardez les débordements sous le prisme médiatique, mais lorsque l’on analyse la situation, on constatera qu’en termes de sécurité, elle s’est nettement améliorée ces quatre dernières années. En ce qui concerne les matches européens, nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues étrangers qui sont en charge de l’accompagnement de leurs supporters.
Vous connaissez sans doute l’affaire Casti, ce jeune montpelliérain qui a perdu un œil suite à un tir de flashball. Un autre supporter de Lyon a vécu une mésaventure similaire le mois dernier. Une personne âgée venue encourager Everton a frôlé aussi la catastrophe à Lille. Faut-il remettre en cause l’usage de ces armes pour gérer les problèmes de supporters ?
Dans les deux cas, il ne s’agissait pas de gestion de supporters, mais de violences urbaines en marge d’une rencontre de football. Dans le premier cas il s’agit de débordements suite au contrôle d’une personne aux abords du stade de la Mosson, et dans le deuxième cas d’une rixe entre supporters lyonnais et montpelliérains, alors que ces derniers n’avaient pas respecté les consignes de sécurité en matière d’accompagnement de supporters. Les affaires sont actuellement en instruction, et vous comprendrez bien que je ne puisse pas m’exprimer sur le sujet.
À titre plus personnel, vous n’êtes pas très populaire au sein du monde des tribunes. Comment le vivez-vous ?
Tout dépend des tribunes ! Et au sein des tribunes, tout dépend des personnes… Mon rôle n’est pas de gagner en popularité mais de travailler pour sécuriser les rencontres de football. Ma mission est de lutte contre les infractions constatées dans les enceintes sportives, notamment les actes de violences et à caractère raciste, xénophobe, antisémite et homophobe. Or cette mission ne peut pas s’avérer populaire parmi la minorité de « supporters » violents.
Propos recueillis par Adrien Verrecchia