Éternel optimiste, Uwe Seeler a toujours eu cette faculté à prendre la vie et le sport du bon côté tout en véhiculant cette image de joueur qui ne lâche rien. Retour sur le parcours d’un des plus grands noms du football allemand qui a connu – entre autres – la Seconde Guerre mondiale, quatre Coupes du monde, un titre de champion d’Allemagne, une Coupe d’Allemagne et une finale européenne. Un homme qui aurait pu se remplir les poches à l’Inter Milan mais qui a préféré cumuler deux boulots et passer sa carrière dans son club de coeur, le Hambourg SV.
« Le Dinosaure ». Il suffit de se pencher sur ce surnom attribué à l’équipe du Hambourg SV pour comprendre le poids que pèse ce club dans le football allemand. Ce sobriquet fait en effet référence à la longévité du club hanséatique, seule équipe présente en Bundesliga depuis la création de cette dernière en 1963. Cinquante-deux ans dans l‘élite qui ont vu le HSV remporter trois fois le championnat, deux Coupe d’Allemagne et même brandir la Ligue des champions en 1983. Mais l’âge d’or du club semble derrière lui et c’est désormais l’épée de Damoclès du maintien qui se dresse au-dessus de sa tête.
Ce lundi, au terme d’un match complètement fou, le Hambourg SV s’est maintenu en Bundesliga grâce à une victoire en barrage retour face à Karlsruhe. Sur le terrain du KSC, le HSV, mené 1-0, est revenu au score à la 90e sur un coup-franc de Marcelo Diaz avant que Nicolai Muller ne porte l’estocade en prolongation. Un maintien obtenu au bout du suspense, qui doit forcément faire plaisir au meilleur joueur de l’histoire du club hanséatique, Uwe Seeler.
Une enfance sous les bombes
Uwe Seeler voit le jour à l’automne 1936 à Hambourg, sur les bords de l’Alster, dans le quartier d’Eppendorf,. L’Allemagne est alors sous la botte d’Adolf Hitler et du régime nazi, qui tente très vite d’enrôler le jeune garçon. « Quand les nazis sont venus, mon père les a virés. Il a dit qu’il était hors de question qu’on aille faire la guerre pour défendre Berlin », se souvient Seeler lors d’une interview accordée au magazine So Foot. Au cours de cette enfance difficile, bercée par la Seconde Guerre mondiale, le petit Uwe se découvre très vite une passion pour le ballon rond : « Il y avait des bombardements, le pilonnage des alliés… C’est dans ces débris que nous avons commencé à jouer au football. Avec les pavés que nous avons extraits des décombres ». L’année 1945 marque la fin du conflit et les premiers pas de footballeur du futur international allemand qui marche sur les traces de son père Erwin et de son frère Dieter et rejoint le HSV Hambourg.
Huit ans plus tard, à 16 ans, le voilà qui fait ses premiers pas avec l’équipe première, lors d’une rencontre face à Göttingen 05. Une première expérience dont il conserve un souvenir ému. « Je me souviens que mon garde du corps était deux fois plus grand que moi ! Pourtant, j’ai plutôt réussi un bon match ce jour-là. J’ai même gagné quelques duels ». Très vite, la notoriété du jeune attaquant traverse la Hanse et il commence à se faire un nom dans tout le pays. Des bruits qui parviennent jusqu’aux oreilles du sélectionneur de la RFA, Sepp Herberger qui convoque le jeune artilleur du HSV pour la première fois en 1953. Le début d’une première grande histoire d’amour pour Seeler qui va planter 43 pions en 72 capes et devenir l’une des plus grandes légendes du fußball germanique.
Une légende de la RFA
En 1958, Seeler poursuit son parcours en sélection et s’envole pour la Suède participer à sa première Coupe du monde. Un moment intimidant pour le jeune homme qui se retrouve nez à nez avec des légendes vivantes du ballon rond. « J’ai gagné ma place de titulaire juste avant le début du tournoi. Avec Karlz-Heinz Schnellinger, on était les plus jeunes du groupe », se rappelle Seeler dans les pages de So Foot . Après une seconde Coupe du monde en 1962 au Chili, Seeler va connaître les plus fortes émotions de sa carrière internationale lors des deux Coupes du monde qui vont suivre.
En 1966, Uwe Seeler n’est plus le jeune homme émerveillé qu’il était lors de la Coupe du monde 1958. Il est le leader de la Mannschaft et veut ramener le trophée en Allemagne. La RFA parvient à atteindre la finale de la compétition, face à des Anglais qui ont le gros avantage de jouer cette finale à domicile dans leur antre de Wembley. Un match perdu 4 buts à 2 après prolongation et qui reste outre-Rhin un véritable traumatisme. Le but qui va changer le destin de ce match est un but litigieux inscrit par Geoff Hurst à la 100e minute. Il est alors validé par l’arbitre de touche, malgré les protestations des Allemands qui stipulent que le ballon n’a jamais franchi la ligne. Pour Uwe Seeler, il ne fait aucun doute, le but aurait dû être refusé. « Non, non, non elle n’était pas dedans. Il n’y avait absolument pas but. J’étais dans les seize mètres, j’ai vu toute l’action. La frappe de Hurst n’a jamais, mais alors jamais franchi la ligne. » Un cliché de Seeler à la fin de ce match va ensuite faire le tour du monde. On y voit l’attaquant allemand quitter la pelouse, tête baissée, dévasté, sous escorte pendant qu’une fanfare célèbre la victoire de l’Angleterre. Cette photographie a été élue « photo du siècle » par le magazine de football allemand Kicker.
Quatre ans plus tard, le crève-cœur de Wembley est encore dans toutes les têtes au moment de s’envoler vers le Mexique. Une nouvelle Coupe du monde qui aboutit à une nouvelle déconvenue pour la RFA qui va voir son parcours s’arrêter en demi-finale face à l’Italie. Une défaite 4 buts à 3 après prolongation lors d’un match rocambolesque qui est aujourd’hui surnommé le match du siècle. Une nouvelle fois du côté des vaincus, Seeler se remémore une rencontre désormais entrée dans la légende du football. « C’était vraiment un match fou, ça allait et venait d’un but à l’autre. Nous étions cuits, tous, mais ça a donné lieu à un match magnifique ».
Malgré la déception immense qui est ressortie de ces deux rencontres Uwe Seeler en garde un grand souvenir comme il l’a déclaré au site de la FIFA. « Il y a deux rencontres que je n’oublierai jamais : la finale de la Coupe du monde 1966 contre l’Angleterre et la demi-finale de la Coupe du monde 1970 contre l’Italie ». Une déclaration qui reflète parfaitement le caractère de Seeler. Un battant qui savait relativiser, passer outre la déception et prendre le bon côté du sport.
Au total, Uwe Seeler aura participé à quatre Coupes du monde (1958, 1962, 1966 et 1970), c’est autant que des joueurs de la trempe de Pelé, Maradona, Maldini, Ronaldo ou encore Oliver Kahn. Mieux, l’attaquant de la RFA aura marqué au moins un but lors de chacune de ces compétitions. Il est le seul avec Pelé et Miroslav Klose à pouvoir se vanter d’une telle performance. Alors qu’il est revenu bredouille de ses quatre aventures internationales, Seeler a été nommé « capitaine d’honneur de la Mannschaft pour l’éternité » par sa fédération. Une distinction qu’il partage avec trois légendes : Fritz Walter, Lothar Matthäus et Franz Beckenbauer. La différence entre Uwe Seeler et ces trois joueurs ? Ils ont eux, soulevé le précieux trophée.
Hambourg, mon amour
Même s’il a eu un parcours international digne des plus grands, il serait injuste de réduire la carrière d’Uwe Seeler à ses 72 sélections avec la RFA. Avant d’être l’avant-centre de l’Allemagne, il est ce buteur fantastique dont le visage est à jamais associé à un club, le Hambourg SV.
Dans les années 50, la version actuelle de la Bundesliga n’est pas encore créée, les vainqueurs de chaque championnat régional se rencontrent donc lors d’une phase finale nationale. Uwe Seeler sévit alors dans la Regionalliga Nord avec son équipe d’Hambourg. Il va remporter ce championnat 9 fois d’affilée entre 1955 et 1963. En 1960, le club hanséatique remporte même la phase finale et devient champion d’Allemagne. Durant cette période, Seeler marque un impressionnant total de 237 buts en 267 rencontres.
Pourtant, au premier abord, Uwe Seeler n’a rien d’exceptionnel et rien ne le prédestine à devenir le buteur qu’il deviendra par la suite. Une taille moyenne (1m70), un crâne dégarni et une rondeur apparente qui cache cependant une musculature imposante. Malgré cela il est doté d’une détente phénoménale et domine bien souvent le domaine aérien. Seeler est également un combattant hors pair qui ne lâche jamais rien et il impressionne par son engagement physique.
Des atouts qui vont l’amener à exploiter ses talents de buteur en Bundesliga lors de sa création en 1963. La Regionalliga a alors disparu, mais Uwe continue a enfiler les buts comme des perles : il fera trembler les filets à 137 reprises en 237 rencontres de Bundesliga. En dépit de l’apport indéniable de son buteur, le Hambourg SV ne parviendra pas à remporter le championnat d’Allemagne durant les sixties. Seule une Coupe d’Allemagne, remportée 3 buts à 0 face au Borussia Dortmund (triplé de Seeler) viendra garnir l’armoire à trophée du club. À l’échelon européen, le HSV devra se contenter d’une finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe perdue 2-0 face au Milan AC en 1968 à Rotterdam.
Malgré des résultats collectifs mitigés, Uwe Seeler remporte durant sa carrière de nombreuses distinctions personnelles : meilleur buteur du championnat d’Allemagne 1964, meilleur buteur de la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupes 1968 et élu trois fois joueur allemand de l’année en 1960, 1964 et 1970.
Uns’ Uwe
Pour bien comprendre la popularité dont jouit Uwe Seeler, il faut aller au-delà des statistiques et se pencher sur le caractère de ce footballeur hors du commun. L’attaquant du HSV a très vite gagné le surnom de Uns Uwe, « notre Uwe » en français, auprès des supporters des Rothosen. Ce surnom lui a été attribué en raison de sa modestie, sa gentillesse et sa loyauté.
Lorsqu’il parle de sa carrière, Seeler évoque une époque très différente du football actuel. « À l’époque, c’était incomparable avec aujourd’hui : nous n’étions pas professionnels, nous avions un travail pour subvenir aux besoins de nos familles ». La légende du club hanséatique ne déroge pas à la règle et travail en tant que représentant pour Adidas sur les régions de Hambourg et de la Basse-Saxe. Un job qu’il n’a jamais quitté durant sa carrière, par besoin d’argent. « En Regionalliga, on touchait à peine 320 Deutsche Mark par mois. C’était de l’argent de poche, rien de plus. La Bundesliga n’a commencé qu’en 1963, et on avait le droit de toucher seulement 1200 Deutsche Mark par mois, avec le consentement de la fédération », confiait Seeler à So Foot en 2011.
Mais alors qu’il est obligé d’accumuler deux boulots pour nourrir sa famille, les talents de Seeler commencent à faire du bruit partout en Europe. L’Inter Milan propose alors une somme d’argent colossale (plus de 2 millions de Deutsche Mark plus des avantages) pour déloger le buteur de son club de cœur, sans succès. Des années plus tard, Seeler est revenu sur un choix qui en a surpris plus d’un toujours dans So Foot :“C’était à l’époque d’Herrera, qui voulait absolument m’avoir. L’offre était formidable, très sérieuse, mais au bout de trois jours, j’ai décidé de rester ici et de garder mon job chez Adidas. On m’a souvent demandé pourquoi j’avais refusé tant d’argent. La réponse c’est que je viens d’une famille modeste, et que l’argent ne m’a jamais rendu fou. » Une fidélité à toute épreuve qui érige définitivement Seeler au rang de légende sur les bords de l’Elbe.
Uns Uwe quitte la HSV en 1972, après 19 ans de bons et loyaux services dans l’effectif professionnel. Considéré aujourd’hui encore comme un des meilleurs joueurs allemands de l’histoire, Seeler aura dégainé à 404 reprises en 476 rencontres avec le Hambourg SV.
En 1978, à plus de 40 ans, il refera une brève apparition sur les terrains en jouant un match dans le championnat d’Irlande avec l’équipe des Cork Celtics. Le seul match qu’il a disputé avec un autre maillot que celui du HSV.
Aujourd’hui plus que jamais, la loyauté d’Uwe Seeler peut paraître insensée dans un football de plus en plus régi par l’argent et où l’amour du maillot tient une place de plus en plus minime.
Pour le principal intéressé, des années plus tard, sa décision n’a rien de surprenante, car c’est avant tout un choix du coeur. « Je suis un Hamburger et cela aura toujours une place spéciale dans mon coeur. Je suis né ici en 1936, mes parents Anni et Erwin ont toujours vécu dans cette ville. Ma femme Ilka a grandi à Hambourg, nos trois filles et nos petits-enfants sont nés ici. Notre famille représente Hambourg. J’ai commencé à jouer au HSV à l’âge de neuf ans. J’ai intégré l’équipe première à 16 ans et j’ai retiré le maillot du HSV en 1972. Je n’ai jamais pensé à quitter Hambourg et la rivière Alster. Tout le monde le savait en Allemagne. Les clubs savaient qu’ils pouvaient sauver leur argent plutôt que de tenter de m’approcher ». Une autre époque.
Magnifique article. Seeler me fait penser à Tom Finney, la légende de Preston North End.