Le 10 novembre 2009, le gardien d’Hanovre 96 et de la Mannschaft Robert Enke se jeta sur les rails d’un train. La nouvelle fut un choc pour l’Allemagne toute entière, qui apprit suite à son acte qu’il souffrait de dépression depuis 2003, accentuée par la disparition de sa fille en 2006 à l’âge de 2 ans. Pour le 8e anniversaire de sa mort, le défenseur d’Arsenal et ancien coéquipier d’Enke à Hanovre et en équipe d’Allemagne, Per Mertesacker, revient sur son amitié avec le gardien et sur le travail de la Fondation Robert Enke, fondée par la femme du défunt.
Avant de partager la traduction du texte de Mertesacker, il semble important de donner un peu de contexte autour de cette publication. La version originale a été publiée sur le blog de Teresa Enke, la femme de l’ancien gardien de la Mannschaft et présidente-fondatrice de la Fondation Robert Enke. Cette organisation travaille au quotidien pour aider les personnes souffrant de dépression ainsi que leur entourage et coopère étroitement avec le ministère allemand de la Santé, la fédération allemande de football (DFB), la ligue allemande de football (DFL) et Hanovre 96. Teresa Enke a également récemment rencontré le Prince William et la Princesse Kate pour étendre ce travail vers le Royaume-Uni, pendant que les fédérations allemande et anglaise se sont rencontrées, à l’occasion du match amical Angleterre-Allemagne, pour œuvrer ensemble face à ce problème.
Nous sommes entrés en contact hier avec la Fondation Robert Enke, pour leur demander si nous pouvions traduire et publier le texte de Per Mertesacker sur La Grinta. Nous avons reçu dès ce matin une réponse positive de la part de la fondation, et nous souhaitons les remercier chaleureusement. Si vous maîtrisez la langue de Goethe, n’hésitez pas à aller consulter leur site et le texte original de Per Mertesacker.
« Quand j’arrivais à l’hôtel pour un match international, il y avait pour moi deux choses à faire : m’enregistrer et appeler Robert. ‘T’es déjà là ? Je viens d’arriver. Tu me rejoins dans ma chambre ?’ Quelques minutes après mon arrivée, on s’asseyait ensemble et on discutait de tout ce qui nous passait par la tête.
Le fait qu’il soit mort depuis 8 ans jour pour jour (le texte de Mertesacker date du 10 novembre, ndlr), et que mes conversations avec lui datent d’il y a quasiment une décennie, m’horrifie. Ça ne pouvait pas être il y a si longtemps, qu’est-ce que j’ai fait toutes ces années ? Les années d’un footballeur professionnel s’envolent, parce que le regard est toujours tourné vers l’avant, comment est-ce que j’avance, concentre-toi sur le prochain match. Mes souvenirs avec Robert me semblent aussi bien plus récents que huit ans en arrière, parce qu’ils sont si importants. Robert Enke a eu une influence plus positive sur ma vie, que n’importe quel autre coéquipier.
J’étais un petit jeune de 19 ans, qui venait de jouer ses premiers matchs en Bundesliga, quand Robert est arrivé à l’été 2004 dans notre vestiaire d’Hanovre 96 et qu’il m’a salué : ‘Ah, salut, et donc toi tu es Per’. Il venait d’Espagne, il avait joué pour le FC Barcelone, il avait 27 ans, et il me donna tout de suite la sensation d’avoir de l’estime pour moi, le petit jeune. J’étais le défenseur, lui le gardien : il était toujours derrière moi, au sens premier du terme. Il m’encourageait, me disait que je me frayerai mon chemin, mis en valeur mes qualités, qu’on ne voit pas toujours soi-même quand on a 19 ans. Il me donnait le sentiment de se sentir en sécurité, avec ma présence en défense. Je pense qu’on ne peut pas avoir de plus belle expérience dans son travail, quel que soit son métier : il m’offrit sa confiance.
Il m’aida donc de manière significative dans mon développement de jeune défenseur. Une seule façon de voir les choses : n’aie pas peur de ne pas être en mesure de détourner un centre adverse, Robert est là. Il transpirait le calme et la détermination, il était un de ceux dont on disait dans le milieu du football : il va de l’avant. Je pense qu’il est important de se souvenir de cet aspect-là de Robert, pas pour le glorifier, mais pour souligner que les personnes qui souffrent de dépressions, ne sont en aucun cas faibles : cela peut toucher les plus forts, comme Robert, parce que comme le cancer, c’est une maladie.
Quand en 2006, je suis parti pour le Werder de Brême et que Robert est resté à Hanovre, nous avions un rêve en commun : rejouer ensemble, en équipe nationale. On rappelait régulièrement à l’autre cet objectif. À 29 ans, il réussit à quand même intégrer l‘équipe d’Allemagne. De la même façon que nous nous cherchions à notre arrivée à l’hôtel, nous nous asseyions après les matchs de nouveau ensemble. Ce furent pour moi des moments rares : dans ces instants, avec Robert, nous ne regardions pour quelques heures pas de l’avant, mais nous profitions de ce que nous avions accompli.
C’est avec d’autant plus de violence, que la nouvelle de sa mort allait me frapper. Comment était-ce possible, que cet ami si posé pouvait aussi être malade au point de se suicider ? Comment pouvais-je n’avoir rien vu ? Et bien évidemment, une autre question me torturait : comment n’a-t-il pu rien me dire de sa dépression, nous étions pourtant amis, qui, comme on dit, se racontaient tout.
J’ai appris que ce silence peut faire partie des symptômes d’une dépression. Quand les gens souffrent d’une dépression, beaucoup veulent se recroqueviller sur eux-mêmes, se cacher. J’ai aussi appris que Robert était, pour la majeure partie de sa vie, comme je l’ai connu : rationnel, joyeux, en bonne santé. Comme beaucoup de personnes touchées, la dépression ne le frappait que dans de courtes phases de sa vie.
Avec sa mort, Robert nous a confié la tâche de mieux combattre les maladies psychiques. Quand je pense, par exemple, à mon nouveau métier, j’y vois l’un des domaines de travail : je serai, à partir de l’été prochain, après ma carrière professionnelle, responsable du centre de formation d’Arsenal. Et dans le domaine de la formation des jeunes, il existe un problème structurel qui a également un rapport avec le mental : 80% des jeunes, qui signe un contrat de formation à 16 ans en Angleterre, sont chômeurs à 18 ans. C’est tout simplement le cas, parce qu‘il n‘y a pas plus de places dans les équipes masculines des clubs professionnels. Mais peu d’entre eux sont préparés ou ont pensé à un autre métier. C’est ici qu’il faut les soutenir. La fédération anglaise de football s’attaque depuis mieux à la racine du problème, avec un conseil d’orientation et une offre de soutien psychologique. Mais combien d’entre eux osent demander cette aide ? Il est déjà difficile pour eux d’admettre qu’ils ne deviendront pas joueurs professionnels. On ne peut trop les aider, c’est pour cela qu’il est bon que la Fondation-Robert-Enke travaille avec la fédération anglaise, pour étendre son champ d’action vers le Royaume-Uni.
Beaucoup de personnes dans l’entourage de Robert s’engagent aujourd’hui avec beaucoup de courage, sa femme Teresa en tête. Je suis content que mon texte puisse y contribuer, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Le souvenir de Robert m‘aide encore aujourd‘hui : de temps en temps, mes souvenirs avec lui refont surface. Je ressens alors, par-delà la douleur, le bonheur de chacun de ces instants. »