Nous sommes le 14 décembre 2014. Miguel Angel Damario, âgé de 57 ans, est abattu d’une balle dans la tête. Il est une victime de plus dans la guerre que se livrent les gangs dans la ville de Rosario en Argentine. Le plus important de ces gangs, « Los Monos » (les singes), est un groupe étroitement lié au football.
Rosario, ville d’environ 1,2 million d’habitants, est la 3ème agglomération du pays derrière Buenos Aires et Cordoba. Cette commune est connue pour son monument au drapeau argentin, le « Che », ses plages sur les bords du fleuve Parana et sa vie nocturne très active. Mais Rosario est surtout célèbre pour son football. Cette ville est littéralement coupée en deux et vit au rythme de ses deux grands clubs : Rosario Central de Kily Gonzalez, Mario Kempes, Menotti, Che Guevara, Di Maria, Lavezzi, entre autres, d’un côté. Et le Newell’s Old Boys de Messi, Bielsa, Tata Martino, Ever Banega, et Heinze de l’autre.
« Los Monos »: la pieuvre de Rosario
Mais Rosario a aussi historiquement toujours eu un rapport très fort avec la violence et la pègre. Dans les années 1930, deux organisations mafieuses issues de la vague massive d’immigrés siciliens du début du siècle se disputaient le pouvoir et Rosario a, depuis, hérité du surnom de « Chicago argentine ».
Aujourd’hui, Rosario est en proie à la violence et au trafic de drogue et son taux d’homicides est cinq fois plus élevé que le reste du pays. Les quartiers et bidonvilles de la ville sont les champs de bataille d’une guerre de narcotrafiquants sans précédent en Argentine.
Le gang “Los Monos” est originaire des quartiers de “La Granada” et “Las Flores” et compte environ 300 membres. Il est à l’origine de 567 homicides depuis le début de l’année 2013 et leurs revenus sont estimés à 900 000 dollars (environ 800 000 euros) par semaine. “Los Monos” est dirigé par la famille Cantero et s’organise avec un bras armé composé de nombreux tueurs à gages au service des “patrons”, les vrais parrains. En 2012 Claudio « Pajaro » Cantero, l’un des chefs de l’organisation, est assassiné et Rosario connaîtra alors une flambée de violence historique et une guerre territoriale interminable. Depuis 20 ans, Maximo Cantero, leader des « Monos » tisse sa toile d’araignée où se mêlent entrepreneurs, politiciens, policiers corrompus et surtout « barras bravas » des deux grands clubs de la ville.
Les virages de Central et Newell’s, des supermarchés de la drogue
L’organisation criminelle des « Monos » a compris rapidement quels avantages pouvaient-ils tirer des deux clubs de Rosario et de leurs virages.Comme on le sait, la plupart des barras bravas d’Argentine ont des activités en dehors du cadre sportif qui sont souvent à la limite de la légalité. La frontière entre simples groupes de supporters et clan mafieux est mince. « Los Monos » ont donc conclu un pacte avec les chefs des hinchadas de Newell’s et Rosario Central : les barras augmentent leurs revenus grâce à la drogue et le clan Cantero la vend à presque tous les quartiers de Rosario qui sont représentés dans les tribunes populaires des deux clubs. D’autant plus que Rosario est une ville où l’appartenance territoriale est très importante et les barras de chaque club « dominent » un quartier, une zone … Les graffiti aux couleurs des deux institutions sur les trottoirs, murs ou arrêts de bus délimitent et divisent Rosario en deux. Ces peintures marquent également le partage du trafic de drogue. Le clan Cantero a donc profité de l’influence des barras pour servir leurs propres intérêts économiques.
La Barra de Rosario Central, « Los Guerreros » est commandée par « Pillin » Bracamonte. Lors d’une série de perquisitions dans le cadre d’une enquête contre le trafic de drogue, on retrouva une photo de Bracamonte en compagnie de Ramon Machuca Cantero, le beau-fils du chef des « Monos » ainsi que deux
autres barras de Newell’s. Autre exemple flagrant des relations entre la barra brava canalla et l’organisation mafieuse, une banderole déployée en hommage à Claudio « Pajaro » Cantero lors d’un match de Rosario Central. Emanuel Fereyra, l’un des bras droit de Bracamonte, a été accusé de faire partie des « Monos » et purge actuellement une peine de prison en relation avec le trafic de stupéfiants.
Du côté de Newell’s, le panorama est quasiment identique. Les « Monos » ont infiltré le club de Messi grâce à la famille Vazquez, l’une des plus importantes du clan. Au début, la hinchada des Noir et Rouge était menée par Pimpi Camino. Il était, comme Bracamonte, l’une des tentacules des « Monos ». Rosario Central et Newell’s Old Boys étaient devenus des supermarchés de la drogue et même les organismes de sécurité y trouvaient leur compte puisque les hinchadas des deux clubs avaient mis en place un pacte de non-agression. Chaque groupe de supporters exerçait sa domination sur des territoires prédéfinis, on les laissait agir en toute impunité et en échange, on était sûr de ne pas devoir à déplorer des incidents lors des classicos.
Les « Monos » n’oubliaient pas d’arroser les dirigeants des deux clubs, la police ainsi que certains hommes politiques pour fermer les yeux sur ces affaires illicites. Les barras des deux clubs sont rivaux en tribunes mais collègues dans le crime organisé. Les choses ont changé lorsque Pimpi a perdu le leadership de la tribune et a été assassiné. La barra de Newell’s est tombée aux mains de Diego Ochoa, l’actuel chef. Lui et son groupe n’acceptait pas de bosser pour « Los Monos » et ces derniers ont tenté à de nombreuses reprises de récupérer le contrôle du virage, en vain.
En 2010, plusieurs membres de l’organisation ont même été mis en cause dans l’assassinat de Walter Caceres, un jeune supporter de Newell’s abattu alors qu’il revenait d’un déplacement dans l’un des cars des leprosos. Les balles reçues par Caceres étaient destinées à Ochoa. On ne peut pas pour autant dire que la drogue n’est plus présente du côté du Coloso Del Parque puisque Ochoa a des liens avec la famille « Bassi », un clan ennemi des « Monos » qui contrôle le commerce illégal dans la localité de Villa Gobernador Galvez, la ville de Lavezzi. Elle se situe en périphérie de Rosario. La mort de l’oncle du joueur du PSG avait fait grand bruit dans la plupart des sites spécialisés. L’enquête a montré que Jorge Lavezzi était témoin d’un des crimes perpétrés par le clan « Bassi ».
Le transfert des joueurs pour blanchir l’argent de la drogue
Les liens entre « Los Monos » et le football ne s’arrêtent pas à la seule infiltration des deux clubs de la ville. Le gang a trouvé une parade toute particulière pour blanchir les millions de dollars générés par son activité criminelle : posséder des parts dans le transfert de joueurs de foot. Le cas le plus retentissant est celui de la jeune pépite de l’Atlético de Madrid et l’un des grands espoirs du football argentin : Angel Correa.
Correa est né dans le quartier de « Las Flores », au sud de Rosario, un quartier qui compte de nombreux membres des « Monos ». La justice a enquêté sur le transfert de Correa après des soupçons sur un possible pourcentage de propriété du joueur détenu par la famille Cantero. De nombreux appels téléphoniques ont été passés entre Ramon Machuca Cantero, l’un des capi (chefs) de la bande (le même qui apparaît sur un cliché en compagnie de « Pillin » Bracamonte) et Francisco Lapiana, l’agent du joueur lui-même originaire du quartier de “Las Granadas” l’un des quartiers sous contrôle de “Los Monos ».
Dans l’une de ces conversations, Lapiana et Machuca arrangent les billets pour assister au match entre San Lorenzo et Boca Juniors en compagnie de la propre famille de Correa (sa mère et ses frères, il a perdu son père à l’âge de 10 ans). Lapiana avait déjà été incarcéré en 2010 pour des opérations avec de la fausse monnaie. De fait, les caméras de surveillance avaient remarqué la présence de Machuca Cantero, Emmanuel Chamorro et Mariano Salomon, tous recherchés par la justice, lors de ce Boca–San Lorenzo. De surcroît, l’enquête révèle qu’Angel Correa en personne aurait eu de nombreuses discussions téléphoniques avec des “hauts dirigeants” de “Los Monos”. Correa aurait eu un suivi depuis son plus jeune âge par la famille Cantero qui n’hésitait pas à aider financièrement sa famille. Le clan mafieux fait donc du repérage dans les quartiers difficiles de Rosario à la manière de dénicheurs de talents.
Lapiana, l’agent, n’est pas à son coup d’essai : en 2008, il avait porté plainte pour réclamer des droits au sujet d’Ever Benega, autre joueur originaire de Rosario. Par pure coïncidence, lors d’un reportage de la chaîne d’information C5N (le BFM TV local) sur « Los Monos » en juillet 2014, le journaliste avait eu la grande surprise de voir Banega jouer sur l’un des terrains vagues du quartier des Cantero. Sur l’un des murs de ce potrero, figure une fresque représentant le visage du défunt Claudio « Pajaro » Cantero. On estime que Lapiana et la famille Cantero possèdent les parts de 120 joueurs de Rosario, y compris de pensionnaires de centre de formation.
Depuis la mort de Claudio Cantero, malgré les règlements de compte, les perquisitions et les fuites, « Los Monos » essayent toujours de maintenir leur mainmise sur la ville et sur le football. Une mainmise qu’ils n’ont jamais réussi à avoir sur un gamin aux pieds d’or qui tapait le ballon dans l’un des nombreux terrains vagues de Rosario : un certain Lionel Messi.