Le 20 mai 2018, à l’issue d’une saison remarquée en Liga, l’entraîneur du Real Betis, Quique Setién faisait le don de sa plume à Marca. Il y dévoile à la première personne son idéologie, sa conception du jeu, ce qu’il réclame à ses joueurs. Affirme que la composition de départ ne créée pas de différences sur le terrain. Et explique aussi que sa manière de voir le jeu à changer après avoir vu le FC Barcelone de Cruyff. Après huit matchs amicaux de stage estival (6 victoires, 2 nuls) et à l’aube de la saison 2018/2019, traduction.
Le football, c’est ma vie. Ça l’a toujours été. Le jeu, le ballon, la pelouse… Ce sont mes passions. Ce sport a été l’intérêt principal de ma vie dans tous les sens depuis que je suis enfant et que je jouais dans la cour, en passant par la période de joueur professionnel, mon poste actuel d’entraîneur du Betis et je crois que cela sera ainsi jusqu’à ma mort.
J’ai toujours ressenti le football à travers le ballon. C’est ce que j’ai tété depuis que j’ai attrapé les premiers ballons dans la cour de l’école. Le ballon a été le cœur de ma période de joueur et il l’est aussi maintenant. Lorsque j’étais footballeur, l’entraîneur essayait de me poser des règles de conduite selon ce que la situation de jeu exigeait. Les entraîneurs te dirigent et te demandent des choses que tu n’entends pas parfois ou avec lesquelles tu n’es pas d’accord, comme c’était parfois mon cas. Quelques fois, j’essayais de faire ce qu’ils me demandaient mais je n’y arrivais pas. Sur le terrain, j’essayais de bouger avec liberté, de faire mon football. C’est lorsque j’ai vu jouer le FC Barcelone de Cruyff que j’ai commencé à comprendre comment fonctionnaient réellement les choses. J’ai appris énormément avec eux.
Quand j’ai commencé à entraîner et encore maintenant, je voyais beaucoup de choses. Beaucoup de concepts d’équipes différentes. Je n’ai jamais eu la capacité d’inventer, donc je me suis toujours fixé sur ce que les autres faisaient pour ensuite y incorporer mes propres nuances. Je le fais toujours depuis une philosophie de jeu qui est mienne et particulière, la même qui se voyait quand je jouais et que l’on voit maintenant que je suis entraîneur.
Le modèle de jeu, je le fonde principalement sur la conservation du ballon, c’est ça ma maxime. Si tu as le ballon, personne ne va te marquer de but, sauf si tu marques contre ton camp, évidemment. Chaque joueur profite beaucoup plus du football avec le ballon dans les pieds qu’en courant derrière lui. J’essaie de transmettre toujours quelques lignes directrices pour que les joueurs sachent qu’en étant bien placés et en s’associant bien, ils peuvent conserver le ballon durant plus de temps, arriver à la surface adverse avec plus de facilité et ainsi multiplier les options de t’offrir la victoire. Si tu essaies de conserver le ballon, tout semblera beaucoup plus simple.
Mon modèle de jeu peut s’implanter dans n’importe quelle équipe. Quand je suis arrivé à Lugo en Segunda B, ils me disaient qu’ici on ne pourrait pas jouer au football de cette manière. Que les terrains n’étaient pas bons et que nous n’avions pas des joueurs de qualité pour mettre en œuvre ce football. Il est vrai qu’avoir des bons footballeurs qui sont techniquement doués rend la tâche plus simple. Tu joueras mieux et il te sera plus simple de surpasser la pression rivale, mais il (modèle de jeu) consiste simplement en une bonne compréhension du jeu.
Le football comme un jeu d’échec
Parfois, il peut être difficile pour les joueurs de capter cette idée du football. C’est la même chose qui m’arrive quand je joue aux échecs. Beaucoup de choses m’ont été expliqué mille fois, mais je ne les comprendrai jamais de ma vie. Il y a des joueurs qui ont du mal, qui comprennent les indications, mais ils sont bons dans d’autres facettes. Le temps met chacun à son endroit. La réalité est que n’importe quel footballeur qui entend l’espace, le temps, les positions, tout ce type d’éléments, tout de suite pourra être un meilleur footballeur parce qu’il recevra seul le ballon, aura le temps pour mieux combiner ou pour tirer aux buts. Je n’ai pas de système concret ou préféré. Nous changeons selon les nécessités du match. Durant la partie, le plan change beaucoup. Parfois tu démarres avec cinq défenseurs avec deux ailiers qui deviennent des latéraux, d’autrefois avec deux ou trois centraux… Cela dépend des situations. Le type de joueur que tu as de disponible influe aussi. Tu peux avoir un système construit autour d’un joueur, mais s’il se fatigue et, si tu n’as pas de pièce de rechange, tu dois modifier le dessin. Nous essayons de ne pas avoir de système défini, mais nous prévoyons la possibilité de changements qui peuvent altérer ce que le rival attend de nous. Dans n’importe quel cas, ce qui ne change pas, c’est l’essence de ce qui nous rassemble. C’est-à-dire : sortir depuis derrière avec le ballon, combiner pour essayer d’arriver en haut du terrain avec clarté en se passant la balle et en mettant à profit ou en provoquant la faiblesse du rival.
L’autre jour dans le derby contre Séville, nous avons vécu une situation comme celles-ci. Il s’agissait de modifier le dessin pour aérer l’équipe quand nous étions surpassés. Je criais beaucoup depuis la ligne de touche, mais personne ne m’écoutait. Un joueur s’approche du banc, mais tout de suite il s’en est allé, pour donner des indications à l’un des joueurs. Et ce n’est pas simple. La mi-temps donne du temps pour étudier quelques variantes, mais tout de suite à la reprise du match, plusieurs fois, le schéma de jeu est encore modifié. Il y a des phases de doutes. Si nous jouions sur un champ vide, sans personne, l’entraîneur aurait plus de facilité pour travailler mais le faire dans un match de cette tension, c’est différent.
Sans dessin clair
J’ai eu des conversations avec beaucoup d’entraîneurs et au final, nous savons que ce n’est pas le dessin qui crée les différences. Ce qui les marque, c’est la compréhension qu’ont les joueurs pour faire ce que tu leur demande afin de jouer comme une équipe cohérente et équilibrée. Une fois que tu as implanté les règles de ce que tu fais habituellement, le footballeur devrait avoir une conduite stable mais ce n’est pas comme ça car il y a beaucoup de choses qui altèrent cette évolution comme l’état psychologique : si un joueur rate deux passes au début du match et devient nerveux…
L’autre jour nous avons vu des joueurs qui n’ont pas l’habitude de rater, qui se sont trompés plus de fois que d’habitude. Ils sont entrés dans une phase nerveuse. Il y a certains matchs capitaux et d’autres matchs. Et tous les joueurs savent la responsabilité qu’ils ont, ce qui suppose un choc de caractéristiques entre eux. Il faut avoir plusieurs matchs ensemble dans le dos pour que cela n’affecte pas leur état d’âme. Dans ce sens j’admire beaucoup les équipes de Simeone parce qu’elles ont un engagement spectaculaire. Tu les regardes défendre et c’est un spectacle. Il me plaît de regarder comment ses footballeurs de très haut talent s’engagent à l’heure de récupérer le ballon. Griezmann vole une quantité terrible de ballons au centre du terrain. Je ne sais pas comment un entraîneur pourrait par exemple me faire courir ainsi, moi joueur tel que je l’étais. Et c’est une valeur ajoutée énorme pour une équipe de football. Que tes joueurs les plus déstabilisants récupèrent comme le font ceux de Simeone apporte une valeur différentielle.
La valeur du préparateur physique
Le médecin est une valeur ajoutée dans les temps qui courent, parce que personne ne pensait que le physicien était si important pour jouer au football. Dans le passé, nous avons vu des footballeurs de toutes les caractéristiques : grands, petits, gras, plus minces, plus intelligents ou moins… Et le préparateur physique n’était pas primordial. J’ai entendu quelqu’un dire que le football est démocratique parce qu’il emboîte tout. Et c’est vrai, mais il y a aussi le fait que les préparateurs physiques ont gagné de l’importance car pour lutter au haut niveau, il faut être fort.
J’essaie de m’entourer de gens qui sont beaucoup plus compétents que moi dans certains domaines. J’aime les gens prêts qui vont me montrer de nouvelles choses dans des domaines où je ne le suis pas. Je ne prétends pas être plus compétent et plus sot que quelqu’un, mais il est toujours bien de s’entourer de jeunes personnes qui vous contraignent et vous apportent des éléments nouveaux que tu reprends par la suite et inclus dans ton travail. Nous sommes tous dans le même bateau, ainsi n’importe quel apport de n’importe quel membre du corps technique fait que tous, nous nous enrichissons.
Le ballon aux jeunes
L’acclimatation à l’équipe première de joueurs comme Júnior (Firpo), Francis (Guerrero) ou Loren (Morón) a été très simple parce qu’ils s’entraînaient déjà avec nous et avaient mêmes déjà débuté avec nous. De plus, la filiale à un système semblable au nôtre. Qu’ils s’adaptent ou qu’ils se mettent seul au niveau, cela requiert qu’ils aient un certain appétit et que toi, tu aies le courage de les faire jouer.
Personnellement, il ne m’a jamais fait peur de les faire jouer après ce que j’ai vu aux entraînements. Ils arrivent avec beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Ce qui sert à presser les autres joueurs qui sont là depuis quelques temps et dont le rendement baisse. Nous avons eu beaucoup de chance mais eux ont gagné leur place grâce à leur travail.
Beaucoup de parties se décident sur des détails. Sans aucun doute, ils ont une grande influence sur les résultats. Ils sont très importants car ils te donnent ou te retirent beaucoup de points. Tu peux gagner ou perdre sur une erreur absurde, sur un manque d’attention. Tu peux rater une belle opportunité offensive car ton attaquant n’est pas là où tu avais défini une chance de marquer. Il y a aussi les seconds ballons dans lesquels tu offres le ballon et l’adversaire te marque un but. Des détails de ce type, il y en a plusieurs tout au long de la rencontre et ont une grande influence sur le résultat.
L’après-match
Ce que je travaille le plus, c’est l’analyse de tous ces types de situations après les matchs : je note tout. Pendant la rencontre, j’ai une certaine idée de comment a évolué mon joueur mais il y a énormément de choses qui m’échappent. C’est pour cela que j’ai besoin de voir les images du match et les commenter avec le joueur. Non pas pour le réprimander mais pour essayer de ne pas répéter les mêmes erreurs. Je fais la même chose lorsqu’il y a quelque chose de positif.
Pour résumé, les footballeurs qui sont sous mes ordres doivent être concrets. Je ne veux pas d’un joueur qui offre une passe décisive si avant il en a tenté dix et en échouant neuf fois. J’apprécie beaucoup les footballeurs qui sont là 90 minutes durant 38 matches, qui se trompent peu et qui sont toujours concentrés.