L’occasion fait le larron. Un intéressant match de Coupe d’Italie, tant sur le terrain qu’en tribunes, à 1 h 30 d’un lieu de villégiature et nous voilà embarqués à Salerne, en banlieue de Naples dimanche soir. Un choix payant, la ferveur de la Curva Sud Siberiano en valait le détour.
Les fins connaisseurs le savent, la Salernitana possède un public qui mériterait sans doute la Serie A. Au Stadio Arechi de Salerne, le spectacle est davantage du côté des tribunes que sur le terrain. Ce club aux résultats moyens (remonté en Serie B en 2015 après des années encore moins glorieuses) bénéficie pourtant d’une ferveur démesurée, typique des équipes de la région et du sud de l’Italie en général. De son côté, Alessandria n’est pas en reste avec un soutien plus qu’honorable pour une équipe de Serie C dont les ultras entretiennent d’ailleurs une amitié avec leurs homologues de Toulon. Sportivement, la différence n’est pas si évidente non plus. Tandis que les Granata (Grenats) se maintiennent en deuxième division dans la souffrance, les Grigi (Gris) ont pris l’habitude de mener leur groupe de Serie C jusqu’à la mi-saison et de rater la montée de peu depuis quelques saisons. Pour pimenter le tout, Alessandria a fait des miracles dans cette compétition en 2016, pour ne s’incliner que face au Milan en demi-finale. Voilà pourquoi cette affiche, à l’heure où le monde du football se passionne pour Neymar et le PSG, en devient des plus intéressantes.
Après avoir contourné Naples – le voisin honni – par l’autoroute, Salerne se dessine avant de dévoiler son centre-ville. Les maillots, t-shirts, shorts, écharpes granata se croisent de tous les côtés, en majorité sur des hommes bien sûr mais aussi sur des femmes de tout âge, signe d’une ville qui respire pour son club. Une passion d’autant plus admirable qu’un ogre de la Serie A ne se trouve qu’à quelques kilomètres. Mais à part un maillot de la Roma, rien d’autre que l’Hippocampe à l’horizon. À quelques pas du lungomare (bord de mer) sympathique bondé de touristes, une banderole accrochée en pleine rue indique : « F.O. ne lâche pas ! » Un message adressé à Francesco Orlando, un joueur de la Salernitana qui s’est fait les croisés il y a quelques jours. Un message signé de la Curva Sud Carmine Rinaldi dit « Siberiano », le virage des ultras qui porte le nom d’un leader emblématique décédé.
La défaite du « ramener les familles au stade »
Il faudra longer les plages sur 5 kilomètres pour arriver au stade excentré. Un grand parking entoure le Stadio Arechi dont le charme est indéniable. Il est pratiquement 20 heures, tout a l’air calme aux abords à une demi-heure du coup d’envoi. Jusqu’au moment de se rendre à la billetterie. Une longue file d’attente se dresse jusqu’aux guichets. Il s’agit du premier match à enjeu de la saison, beaucoup d’habitués ne sont donc pas encore abonnés et l’organisation est débordée. Au début, chacun espère ne rater au pire que quelques minutes. Erreur. La file n’avance pratiquement pas, et celle-ci a encore doublé de volume. Il fait encore 35 degrés, nous sommes agglutinés les uns aux autres, et certains n’hésitent pas à jouer des coudes pour tenter de se frayer un chemin. Un touriste allemand se lamente de cette gestion catastrophique clichée de l’Italie du sud expliquant en mimant un carré que dans son pays les files « sont bien droites ». « Mais qu’est-ce que tu es venu foutre dans ce bordel ? », interroge un homme à lunettes cheveux poivre et sel. À Salerne, la queue ressemble plutôt à une masse.
Des sifflets s’élèvent, et vu leur intensité, on pourrait croire à une décision arbitrale en défaveur de la Salernitana ! Finalement, le coup d’envoi est donné, et après une demi-heure de queue la colère monte encore d’un cran. Ceux qui ont leur sésame, tentent de s’extirper de la foule comme ils peuvent, billets haut la main tels des trophées. « Ce qu’il se passe, c’est qu’ils ne se bougent pas », répond un chanceux aux questions posées par des désespérés. Les guichetiers sont surtout obligés de vérifier les pièces d’identités de chaque acquéreur pour délivrer des billets nominatifs où figurent même lieu et date de naissance. L’une des nombreuses mesures (inefficaces) prises en Italie pour lutter contre la violence dans les stades. Ironie du sort, deux jours plutôt, la presse fait ses gros titres sur la « fin de la tessera del tifoso ». Une « responsabilisation des supporters » selon le président de la fédération Carlo Tavecchio et une initiative pour « ramener les familles au stade » assure le ministre des Sports. Un slogan entendu à maintes reprises et raillé par les détracteurs d’une politique répressive qui a participé à cette baisse des affluences. Cet effet d’annonce est en réalité de la poudre aux yeux : ce document obligatoire d’accès au stade avait déjà été partiellement annihilée par l’apparition de cartes commerciales « fidélisantes » suite aux victoires juridiques d’avocats de supporters. La réponse au pourquoi les stades italiens se sont vidés est parfaitement illustrée par cette file d’attente interminable.
Nous récupérerons nos billets après une bonne heure de queue, après avoir attendus une heure dans des conditions indignes d’un club professionnel et d’un pays comme l’Italie. La file est aussi longue qu’une heure auparavant. Certains ont-ils complètement manqué la rencontre ? Des supporters pénétraient à l’Arechi encore à l’heure de jeu, en tout cas. Privés d’une grosse demi-heure, nous avons raté le but du 1-0 pour les Salernitani de Bocalon, ex-joueur piémontais à la 18e. Une partie des personnes placées en Curva Sud inférieure est encore dehors. Pourtant à peine arrivés, un tambour (une rareté en Italie ces dernières années en raison de son interdiction) donne le rythme et le capo situé dans le secteur du groupe Nuova Guardia harangue la tribune au répondant déjà impressionnant. Quelques instants plus tard, Alessandria égalise par l’intermédiaire de Marconi. Cette égalisation n’a pourtant aucun impact sur la Curva Sud Siberiano qui continuera sur les mêmes bases jusqu’à la mi-temps. Hélas, seulement une poignée de supporters d’Alessandria sont de la partie sur toute la tribune à l’opposé du stade, l’horaire et la distance décourageant même les ultras.
La deuxième mi-temps repart sur une domination quasi exclusive des Grigi sur le terrain. Mais la Curva Sud inférieure désormais pratiquement pleine continue de grimper en décibels. Les premiers chants inspirés de l’Argentine parviennent à nos oreilles. Dont celui sur l’air du tube « Despacito », adapté en premier par les créatifs supporters de San Lorenzo et repris du côté de Salerne il y a plusieurs semaines (voir vidéo). Plusieurs autres chants phares du répertoire de la tifoseria de la Salernitana seront entonnés tels que « Noi siamo la Curva Sud » (nous sommes la Curva Sud) ou encore « oltrè al 90° » (au-delà de la 90è minute). Pour un match de reprise, le rendu est des plus remarquables. Tous les présents dans le secteur chantent, ultras ou non. Déception du côté de la Supérieure en revanche où les spectateurs sont majoritairement assis. Plusieurs cœurs et « battimani » (battement de mains) sont lancés (« Noi siamo Salernitani ») ou encore des chants pour les interdits de stade. Les supporters granata seront récompensés avec le but du 2-1 à un quart d’heure de la fin, sur l’une des rares incursions des locaux. Explosion de joie du public alors que la Curva Sud inférieure était aux premières loges. La Salernitana tiendra bon jusqu’au bout, ratant même l’occasion de creuser l’écart.
Malheureusement, alors que le soutien a été infaillible et que la qualification est acquise, les joueurs grenats saluent timidement les 7500 supporters avant de vite rentrer aux vestiaires. Du côté des ultras, alors que le match est fini depuis un bon moment et que les tribunes commencent à se clairsemer, les chants en hommage au Siberiano résonnent encore dans le Stadio Arechi. Nul doute qu’il serait toujours aussi fier de « sa » Curva Sud.