Le foot manque de femmes ? Au Brésil, les muses des supporters font monter la température. Si ces clichés peuvent être perçus comme véhiculant une image dégradante et réductrice des femmes, c’est pour mieux botter le cul aux conservateurs. Exhibant leurs tatouages aux couleurs de leur club, les muses du foot sont fières de leur corps, de leurs courbes et surtout de leur équipe. Et, au passage, redéfinissent les canons de la beauté. Nous avons interviewé Bianka, Daiane, Néa, Kelly et Wanessa. Des femmes canons, libres, et passionnées de football. Parce que leur cœur bat pour Vasco da Gama, Sport Club do Recife, Santa Cruz, Botafogo ou Friburguense.
Derrière les clichés plantureux, la ferveur. Les miss sont avant tout des supportrices. Kelly, la bombe du Botafogo de Rio de Janeiro, nous confie : « Je dis toujours que je n’ai pas de cœur. A la place de mon cœur, c’est une étoile [le symbole du club du Botafogo, ndlr] qui bat. » . Néa, la muse du Santa Cruz, est membre de la Torcida Organizada (association de supporters, TO) Inferno Coral. « Une TO passionnée. Notre équipe a déjà été en Serie D [quatrième division] et le stade était toujours plein. Je pense que cette force aide à franchir tous les obstacles. Montrer l’amour pour le club, tu vois ? ».
Pour représenter son équipe, les filles sont unanimes, la qualité première n’est pas la beauté, mais un amour inconditionnel pour le foot. La passion de Kelly pour le Botafogo remonte à toute petite. « mon jeu préféré c’était le ballon… c’est avec mon père et mon grand-père que j’ai commencé à aimer le Botafogo. Cette admiration est devenue une passion, voir jouer Tulio Maravilha… Ma vie, c’est le Botafogo », dit-elle. Même discours pour Daiane, le canon du Sport Club de Recife : « J’aime le foot depuis toute petite. Je regardais les matchs de foot avec mes parents. À l’école je jouais, je joue encore. Et j’aime mon club. Je défends mon équipe avec beaucoup de fierté. »
Évidemment, les nanas dénudées boostent l’image masculine du club de foot. Côté marketing, c’est tout bénef’. Jean-Marc, président historique de l’association de supporter Máfia Azul du Cruzeiro, en témoigne : « Moi, j’avais un blog sur Internet, pour parler de foot, personne ne le regardait. J’ai commencé à mettre quelques nanas. Bah mon pote, le truc a explosé. C’est typiquement brésilien ».
Les filles sont belles et les photos sexy. Mais les standards sont bousculés : cuisses musclées, petite taille, casée, mère de famille, professeure… Le modèle de le femme écervelée au physique de Barbie et aux crochets de son riche mari est loin. Les muses ne sont pas des potiches. La muse brésilienne est une femme de caractère, active, qui kiffe le foot. Une femme qui a l’habitude d’évoluer parmi les hommes et qui assume son corps. La muse du Sport Club de Recife, Daiane, a 27 ans et mesure 1 mètre 67. Elle est opticienne. Wanessa est docteure en éducation. Idem pour Néa, 30 ans : « J’ai voulu être muse juste par amour pour mon club. Je n’ai jamais pensé que ce titre me permettrait d’avoir une carrière particulière », assure cette mère d’un garçon de 11 ans, originaire de Cabo Pernambuco et en Allemagne depuis décembre pour ses études. Avant d’admettre : « Il m’aide quand même, parfois je pose pour des marques ».
Pour Daiane, « Être muse d’un club va bien au-delà de la beauté… Ça requiert un ensemble de qualités. Il y a beaucoup de belles femmes qui se disputent le même titre. Pour se distinguer il faut persister, s’entraîner, avoir de l’humilité, être sympa, et surtout aimer son équipe. » Pour Bianka, la gagnante est « celle qui a le plus d’amour et de ferveur pour son club ».
L’élection des muses au Brésil se rapproche de celle de Miss France, transposée dans le milieu du foot et des supporters. Mais la muse, comme son nom l’indique, est une source d’inspiration, ou la personnification d’un club, d’une passion. Chaque club brésilien élit sa muse, les petits comme les grands. Un premier tour a lieu sur Internet. Constituées de nombreux membres, les associations de supporters pèsent dans le vote. La muse qui est élue à l’issue de toutes les phases de votes rencontre les gagnantes des autres clubs brésiliens, dont une seule sera « Musa da Torcida ». Presque comme le championnat, quoi.
Dans cet univers masculin, nous demandons à nos interlocutrices si elles sont la cible de moqueries ou si on leur manque de respect. Les seuls incidents relatés par les muses que nous avons interrogées proviennent… d’autres femmes. Néa l’explique : « Certaines muses ne le font pas forcément par passion du foot. Peut-être que certaines le font juste pour le concours de beauté, mais c’est une minorité. Il y en a parfois qui ont d’autres buts que de représenter leur club et ne sont pas dans une ambiance de fraternisation sportive. » Par contre, toutes soulignent le dévouement des supporters qu’elles représentent. « Grâce à Dieu, je n’ai aucun souci de respect. Les hommes supporters du Botafogo me respectent énormément. Être muse du Botafogo est vraiment la concrétisation d’un rêve. Je représente mes supporters. J’ai été reconnue, élue par eux et c’est une grande fierté. Le foot est un univers encore très machiste, mais la femme commence à s’imposer dans ce monde autrefois très fermé », se réjouit-elle.
Une place trop étriquée pour la journaliste brésilienne Nana Queiroz, qui regrette que la femme soit uniquement présente comme objet sexuel. « Dans le monde du foot, les femmes n’ont une place que via les concours de muses. La culture brésilienne détermine un lieu bien précis pour les femmes dans le sport national : celui d’objet sexuel. Si les médias et la société brésilienne comprenaient que les femmes ont le droit au sport, à la sexualité et à la beauté, [les muses] et les athlètes comme Marta [star de l’équipe nationale du Brésil] auraient plus d’espace. »
Être belle n’est pas un défaut. Afficher sa beauté non plus. En acceptant leur corps, les femmes vont au-delà des clivages propres au foot, et même imposés par la société. Comme Bianka le résume : « J’honore notre maillot ». Comme le reste de l’équipe, en somme.