Mai 2013. Au terme d’une saison difficilement entamée, sans grande saveur, la ville de Cava de’ Tirreni accueille avec soulagement le maintien assez inespéré du club local. Retombé dans un relatif anonymat, ce petit bout d’Italie situé à quelques kilomètres de la mer fut pourtant quelques années plus tôt l’objet d’une étonnante agitation. Et pour cause, ici, les cœurs bâtent pour la Cavese, un nom qui pète bien, mais qui a pourtant bien failli disparaître. Récit.
Eté 2007. Par la grâce des nouvelles technologies, YouTube en tête, une ville de Campanie sans grand passé footballistique se retrouve soudain propulsée sur le devant de la scène. Cava de’ Tirreni, cité de 50 000 âmes vivant principalement du commerce et de l’agriculture aurait pu, à l’instar de nombreux autres villages de la province, continuer à vivre au pas du grand Napoli, un club dont le soutien populaire ne s’est jamais démenti malgré les années sombres. Mais cet été là, quelques semaines à peine après la fin des différents championnats organisés par les ligues professionnelles et amateurs italiennes, tout bascule.
Les débuts de la folie Cavese
Une vidéo mise en ligne par l’un des responsables de la Curva Sud Catello Mari du Stadio Simonetta Lamberti, fief du club local, la Società Sportiva Cavese, siégeant en Serie C1 (troisième échelon national), agite le web. Se répandant rapidement sur la toile, le clip tourné au sein même du stade en plein match devient un incontournable des amateurs de ballon rond. Personne n’échappera au fameux « Dale Cavese », un chant simple – deux syllabes –, rythmé et entraînant grâce aux variations des tambours, aux coups de sifflets des meneurs et à la gestuelle associée, exécutée par l’ensemble de la tribune, soit un peu plus de 4 000 tifosi. L’histoire phénoménale de ce petit club de Campanie ayant pour emblème un aigle est en marche.
Si ce chant, encore abondamment repris dans les tribunes étrangères et italiennes a offert une renommée impressionnante aux fans de la Cavese, le cas de cette entité sans succès n’ayant jamais connu l’élite reste pourtant tout sauf atypique, dans une Italie où passion et ferveur se côtoient quotidiennement dans les strates les plus éloignées du professionnalisme. Cette saison là (2006-07), les aquilotti – le surnom des joueurs locaux – perdent en demi-finale des play-off pour l’accession en Serie B, une division que le club de Cava’ n’a jamais dépassé au cours d’une histoire pourtant quasi centenaire. Loin des fastes de l’élite, de l’Europe et des millions du foot-business où seuls les stars et les succès comptent, la Cavese réunit tous les quinze jours à domicile près de 12 000 tifosi en moyenne, soit un cinquième de la population de la ville. La Curva Sud elle, affiche complet et suit l’équipe dans l’ensemble de ses déplacements sous l’impulsion de son principal groupe de supporters : les Acid Boys, un nom historique à jamais lié au club.
La faillite et la disparition
Loin de cette éphémère notoriété, la Cavese poursuivra son aventure au sein du troisième échelon national – devenu depuis Lega Pro 1 – durant trois saisons, oscillant entre premiers tiers et milieu de tableau. Le président d’alors, Antonio Fariello en poste depuis 2006 espérait à terme un retour en Serie B, près de vingt cinq ans après les derniers exploits du club dans cette division. Mais, il était écrit que le destin de la Cavese ne s’écrirait pas encore en lettres d’or… 2010-11. Au terme d’une année très délicate sur les plans sportif et financier, la Cavese termine 18ème et dernière de sa division. Pire, l’entité se retrouve exclue par la ligue du prochain exercice en Lega Pro 2 à cause de problèmes économiques. Le club de Cava de’ Tirreni fait faillite dans l’indifférence des politiques, comme en 91. La Cavese n’est plus, la jolie histoire racontée trois ans plus tôt non plus.
Malgré la volonté tenace de ses supporters qui alterneront quêtes dans la ville (réunissant plusieurs centaines de milliers d’euros), manifestations pacifiques, et qui iront jusqu’à solliciter à plusieurs reprises l’aide des élus locaux afin de sauver le club, le mythe Cavese s’effondre. De fait, rapidement, deux réalités footballistiques symbolisées par deux clubs vont s’opposer au sein de Cava de’ Tirreni. D’une part, l’A.S.D. Aquilotto Cavese (majoritairement suivi), d’autre part le Vis San Giorgio qui, durant l’été se transforme en A.S.D. Città de la Cava 1394 et hérite de l’ancien stade de la Cavese. La ville est divisée. Certains estiment l’Aquilotto Cavese comme le club légitime de Cava’, d’autres à l’inverse milite pour la Città de la Cava. Bref, un beau bordel. En réalité, personne ne sait vraiment où il en est, avec pour conséquence directe un désamour fort vis-à-vis des institutions de la cité et de son football. Plus dur, les Acid Boys, principaux animateurs de la Curva Sud communiqueront la mort dans l’âme au début de l’automne leur abandon de tout soutien et leur mise en sommeil, ne se reconnaissant dans aucune des deux équipes de la ville. Ambiance.
La Cavese ressuscite
Au terme d’une saison rondement menée et, bien que dans une atmosphère un poil explosive, l’A.S.D. Città de la Cava 1394 évoluant dans le championnat Eccellenza, soit le 6ème échelon national, termine 3ème de son groupe et s’offre l’opportunité de jouer les play-off régionaux visant à accéder à la Serie D. Après avoir remporté sa demi-finale et sa finale régionale en match aller retour, la Città de la Cava s’offrira le scalp de ses adversaires nationaux en demi et en finale, permettant de fait d’accéder à l’échelon supérieur. Du moins en théorie. Car le président Di Marino ne dispose pas des 31 000€ nécessaires pour l’inscription dans cette catégorie. Le club se retrouve mis en vente à quelques jours de la date butoir. In extremis, une vieille connaissance de la Cavese Gino Montella, président entre 1995 et 2001, rachète le club et réunit avec l’aide de plusieurs sympathisants la somme nécessaire. Le début du renouveau. Le 31 juillet 2012, le nouveau propriétaire communique avoir trouvé un accord avec le détenteur de la marque S.S. Cavese 1919 en vue d’un rachat des actifs du club liquidé un an plus tôt. L’U.S.D. Pro Cavese est née, et retrouve par la même occasion son logo et ses couleurs historiques. Parallèlement, Gino Montella réussit à convaincre le président de l’Aquilotto Cavese – second club de la ville – de fusionner afin de constituer un seul club à Cava de’ Tirreni. Enfin, le président s’attache à convaincre la tifoseria metelliana de revenir au stade, après un an de fermeture de la Curva Sud Catello Mari. Un vent nouveau souffle sur Cava’. L’équipe retrouve ses supporters, la ville fait front derrière une entité unique, et quelques légendes passées de la Cavese sont même rapatriées au club.
Seulement passé l’été, rien ne tourne comme prévu. Au sein du groupe I du championnat de Serie D (équivalent français de la CFA 2), l’U.S.D. Cavese va rapidement être en difficulté, du fait d’une préparation physique tronquée. De plus, la transition entre ancienne et nouvelle société se fait difficilement. Gigi Montella est obligé de jeter l’éponge en octobre, l’ex directoire de l’A.S.D. Città de la Cava, Di Marino en tête, reviennent alors aux affaires. Les ennuis continuent néanmoins. En décembre, un riche entrepreneur napolitain – Salvatore Manna – prend finalement en main la présidence du club. Au mercato, nombre de joueurs non payés depuis plusieurs semaines quittent la Cavese, l’exode est massif. Pourtant, après des débuts difficiles laissant craindre le pire pour la suite de l’exercice, l’équipe a su relever la tête de manière à s’octroyer, au final un maintien relativement tranquille (8ème place). Après une saison ponctuée de trois changements de président, quatre changements d’entraîneur, et trois changements de directeur sportif, l’essentiel est acquis. Plus que des conquêtes sportives, cette année se voulait avant tout être celle des retrouvailles entre une ville, un club et ses supporters. Sur ce point, l’objectif est rempli. Certes le Simonetta Lamberti – du nom d’une enfant tuée « par erreur » en 82 par la Camorra – ne fait plus le plein, mais la Curva Sud Catello Mari continue elle d’émerveiller amateurs en tout genre par son taux de remplissage, sa fidélité et sa ferveur à ce niveau. Pas mal pour des joueurs évoluant en Serie D.
2012-13 : En souvenir de Chechevone
Mais dans un club étroitement lié à ses supporters, l’un des événements forts de la saison s’est malheureusement joué en dehors du rectangle vert. Le 9 janvier 2013, « Cava’ » se réveille avec la gueule de bois en apprenant la nouvelle. Quelques heures plus tôt, Salvatore Mazzotta, tifoso historique de la Curva Sud, plus connu sous le nom de « Chechevone » s’est donné la mort. Supporter depuis toujours, Chechevone ou Chequevone était devenu le capo emblématique – littéralement, le chef en italien – du stade Simonetta Lamberti depuis l’époque de la Serie B. Aussi appelé le « Gigante Buono », Salvatore faisait partie de ces gens appréciés, capable de réunir derrière lui des centaines de personnes de par sa gentillesse et son charisme. Rapidement, meurtris, les tifosi cavesi se réunissent sur les lieux du drame. Dès le lendemain, plusieurs milliers de sympathisants, y compris de clubs adverses voire ennemis, les rejoindront au cimetière de Cava de’ Tirreni pour l’ultime salut à Chechevone. Tous ne pourront pas assister à la cérémonie faute de place, mais les ultras locaux sont bien présents, célébrant avec banderoles et bâches du groupe, la mémoire de leur ami disparu.
Trois jours plus tard, la Cavese affronte Ribera à domicile. En cette journée hivernale où des trombes d’eau s’abattent sur Cava de’ Tirreni, les tifosi biancolbù se donnent rendez-vous devant la maison du Gigante Buono et organisent un cortège en direction de la Curva Sud. Le genre de week-end de janvier où la foi est indispensable pour aller soutenir une équipe évoluant en Serie D… Quelques minutes avant le début du match, les leaders de la Curva, ainsi que plusieurs joueurs viennent déposer des gerbes de fleurs sous la tribune où plusieurs banderoles rendent déjà hommage à Mazzotta.
Avant l’explosion et la fusion, en guise d’hommage.
Ce jour là, comme souvent, les tifosi metelliani animeront, malgré un temps exécrable, leur tribune avec une ferveur exceptionnelle. Quatre vingt dix minutes durant, alternant les chants à la gloire du club et ceux en hommage à Chechevone, la Curva Sud fait écho à son glorieux passé. Celui d’une tribune dont la passion ne s’est jamais démenti, malgré les années sombres, et la quasi disparition de leur unique amour en 2011. Ainsi s’écrit le destin de la Cavese. Une histoire tortueuse, atypique que seule la passion de ses tifosi fait vivre. Avec un sentiment d’immortalité. « Più forti di ci vuole morti » comme le dit si bien la Curva Sud…