Absent de la grand-messe du football mondial depuis 2006, l’Iran est de retour en Coupe du monde. Pour y parvenir, l’équipe perse – guidée par Carlo Queiroz – a tout construit autour de sa solidité défensive, offrant des lignes de stats faméliques sur le plan offensif, mais affichant 10 clean sheets en 16 matchs de qualification. Face au Nigeria, la Tim melli a réédité cette performance. Elle est même passée tout près du miracle.
Comme l’Equipe de France hier, les Nigérians sont entrés dans cette opposition déséquilibrée, face à un adversaire sans plan B, avec l’objectif de tuer le suspense dès les premières minutes. Ainsi, la première demi-heure fut la plus dure pour l’Iran, face à une équipe qui lui était supérieure techniquement et encore plus largement athlétiquement. Et qui était décidée à utiliser sa puissance physique pour passer « en force ».
L’Iran de Carlos Queiroz s’organise en 4-1-4-1. Autour de la sentinelle Nekounam, les deux relayeurs Teymourian et Hajsafi jaillissent verticalement pour gêner la relance adverse, alors que les deux hommes de côté (Heydari et Dejagah) font de même lorsque le Nigeria écarte. Cette ligne de 4, positionnée derrière l’avant-centre star Reza « Gucci » Ghoochannejhad a vite forcé les Nigérians à allonger, dans les airs ou à mi-hauteur. Des flèches partent de derrière la ligne médiane, à destination des 3 attaquants nigérians : Moses, Emenike et Musa.
A l’épreuve de l’impact
La tâche des 4 milieux de terrain iraniens exige un placement parfait. Trop bas, ils laissent trop de liberté au porteur en voulant fermer le jeu court entre les lignes ; trop haut ils autorisent cet appui en étant trop attiré par le joueur en possession.
Cette filature délicate rend la résistance de l’Iran fragile face à des champions d’Afrique qui impriment un gros rythme et réduisent les touches de balles en allant le plus vite possible vers l’avant. Mais au-delà de la supériorité technique du Nigeria, c’est physiquement que le défi de l’Iran est le plus grand.
Quand les Africains allongent, l’enjeu est simple pour l’arrière garde iranienne : Résister à l’impact face à la puissance adverse et réussir à dégager les seconds ballons après le « premier rebond ». Dans ces conditions, le turn-over ne peut avoir lieu que très bas et le ballon doit souvent être dégagé à l’arrêt, et sans élan, le plus loin possible.
A Séoul, il y a un an, l’Iran avait tremblé (euphémisme) et la Corée avait obtenu sa meilleure occasion non pas en attaque placée, mais en contre-attaque, après un coup de pied arrêté offensif iranien. Là aussi, les Perses sont en danger sur ces phases de transition défensives : ils doivent profiter de ces moments pour gagner du terrain et respirer, mais leur déficit athlétique est tel qu’une fois le duel aérien perdu, ils sont systématiquement à découvert.
Sans point de fixation de taille devant, les dégagements de sa défense ne sauraient suffire à le sortir de ses temps faibles.
La production est minimaliste, mais motivée par le gouffre technique ET physique entre une sélection composée aux deux tiers de joueurs locaux, le reste évoluant en MLS ou en seconde division anglaise.
Après la survie
Si la tempête de la première demi-heure fait vaciller le vaisseau perse, le temps joue contre le Nigéria dans ces conditions. Après ce gros temps faible, le rapport de force s’équilibre dans le deuxième tiers du match, en même temps que les duels à l’épaule, les joueurs du Moyen-Orient étant jusqu’alors habitués à être expédiés sur le bas côté par les raffuts de leurs adversaires.
Le Nigéria paie sa débauche d’énergie infructueuse dans le premier tiers du match, et son pressing fluctuant permet à l’Iran de respirer un peu. Au retour des vestiaires, les Asiatiques continuent à récolter les fruits de leur travail défensif, alors que les statistiques sont de moins en moins déséquilibrées au fil des minutes.
Techniquement, le plan de Carlos Queiroz est également exigeant puisqu’il n’y a jamais vraiment de passage à l’attaque placée. Ainsi, on est surpris de découvrir la classe balle au pied de certains joueurs. Comme le vice-capitaine : Andranik Teymourian. Ancien de Fulham, actuellement pensionnaire de l’Esteghlal Téhéran, et – accessoirement – seul chrétien de l’équipe.
Devant, la star de l’équipe Reza « Gucci » Ghoochannejhad est également au casse-pipe : il faut enchaîner des porte-manteaux à 1 contre 5 et réussir la transition offensive. Un beau mouvement avec l’autre leader d’attaque Ashkan Dejagah, salarié de Fulham, fait espérer l’Iran en fin de première mi-temps.
Tout cela fait que le rapport de force tend parfois à s’inverser : le bras de fer se rééquilibrant, l’Iran passe tout près de l’ouverture du score sur corner. Un coup de pied de coin obtenu à la faveur d’un gros pressing de Dejagah sur Omeruo. Dans les dernières minutes du match, un débordement du latéral gauche Mehrdad Pooladi atterri quelques centimètres trop haut sur la tête de Dejagah. L’Iran aurait pu gagner.
Plus le temps passe, plus le match s’équilibre, le Nigéria ne défendant pas assez bien pour s’assurer une bonne transition offensive. Physiquement, les Super Eagles commencent à tirer la langue dans la chaleur de Curitiba et l’Iran récolte les fruits d’une préparation physique forcément rigoureuse, sous l’égide de l’ancien adjoint de Sir Alex. Les cuisses ne flanchent pas et les dégagements en « coup de pied sauté » continuent à écarter le danger de la surface d’Ali Reza Haghighi.
L’entrée de Peter Odemwingie fait mal à la Tim melli. Capable de percuter et de s’intercalera entre les lignes pour mieux briser la dernière, l’ancien Lillois sera à l’origine des deux frissons de la dernière demi-heure : une tête croisée d’Ameobi – finalement sanctionnée d’une faute – et un une-deux meurtrier avec Obi Mikel. Une main sera sifflée, même si la frappe n’était pas cadrée.
Ce que l’Iran nous apprend
Il faut lister des actions offensives sanctionnées d’infraction pour compter les décalages que le Nigéria a créé.
La partie se termine finalement à 10 tirs à 9 à l’avantage des champions d’Afrique et on ne peut pas vraiment affirmer que les tentatives iraniennes furent plus forcées que celles de leurs adversaires.
L’Iran, comme Chelsea et l’Atlético cette année, nous apprend beaucoup sur le football. D’abord, qu’on ne peut rien y espérer sans certitudes défensives. Ensuite (et donc) qu’on doit tout faire pour obtenir ces certitudes. Mais l’équipe de Carlos Queiroz nous apprend surtout que si l’on met la discipline, la rigueur, le sérieux et l’esprit de sacrifice au service de cet objectif, alors, tout est possible. Se qualifier pour le Mondial et y prendre un point est déjà un achèvement colossal pour l’Iran.
La seule ligne statistique que le Nigéria aura dominé est la possession. Si les Super Eagles ont tenu le ballon à 70%, ils n’auront réussi que 84 passes dans le dernier tiers, preuve de la qualité de l’organisationiranienne. Et de sa résistance à l’impact.
Seuls deux Iraniens dépassaient le mètre 85 et, au-delà du retard technique, la performance est déjà énorme compte tenu du gouffre athlétique.
L’absence de plan B exigeait la clean sheet, et obligeait donc l’Iran à être parfaitement organisé sur les coups de pied arrêtés défensifs. Ils l’ont été et sont parvenus à n’en concéder qu’un nombre limité : 7 corners, seulement 6 fautes dans leur camp dont 2 dans le dernier tiers du terrain.
L’affrontement face à l’Argentine de Messi, Di Maria et Aguero sera alléchant et si c’est une montagne qui se dresse face à l’équipe asiatique, nul doute qu’elle sortira sans regret de ce match, tant l’approche de son coach tend à tirer le meilleur de ce groupe solidaire.
Élément de réflexion sur le travail, la rigueur, et donc la valeur ajoutée de Carlos Queiroz : la biographie de Gary Neville.
« Les meilleures performances défensives de Manchester United sous le règne de Fergie coïncident sûrement avec la période ou Carlos Queiroz travaillait avec lui. La plupart des joueurs haïssait les séances spécifiques qu’il dirigeait. Avant la demi-finale contre Barcelone en 2008, il plaçait des tapis sur le terrain pour que nous sachions exactement où nous positionner en phase défensive, au mètre près. Nous n’avions jamais vu une telle attention portée à chaque détail. » Manchester s’était qualifié. Sans encaisser de but. Evidemment.