C’est la trêve en Argentine. Les équipes préparent donc la saison de la meilleure des manières en jouant des matchs « amicaux ». Au programme, Boca-River, Racing-Independiente ou encore le clasico uruguayen entre Le Nacional et Peñarol. Des rencontres de pré-saison qui font toujours du bien aux finances des grands clubs et qui permettent aux vacanciers de voir leur équipe favorite. L’occasion de nous intéresser à une rivalité argentine beaucoup moins connue que celles citées précédemment mais tout aussi chaude : le derby de Tucumán, le plus important du Nord du pays, opposant l’Atlético Tucumán à San Martin de Tucumán dont la prochaine page s’écrit ce dimanche.
San Miguel de Tucumán et son million d’habitants, berceau de l’indépendance, capitale de la province de Tucumán et cinquième agglomération d’Argentine est connue pour sa gastronomie, son respect des traditions, ses universités et sa charmante place de l’Indépendance. Mais San Miguel est surtout la ville qui abrite les deux plus grands clubs du Nord et le cinquième derby le plus important du pays. La rivalité entre l’Atlético et San Martin a donc été , en quelque sorte, la suite logique des événements. Tucumán peut se targuer au même titre que d’autres villes comme Rosario, Santa Fe, Cordoba et La Plata , de posséder une passion pour les couleurs locales assez forte pour ne pas être touchée par la rivalité du Superclasico.
L’Atlético , le doyen du Nord
L’Atlético Tucumán a été fondé le 27 septembre 1902 et est le plus vieux club de la région. C’est également l’un des plus anciens d’Argentine d’où son surnom : « El Decano » (le doyen). Il a la particularité d’être le premier à avoir arboré les bandes verticales en bleu ciel et blanc sur un maillot argentin, bien avant le Racing Club et même avant la sélection nationale qui portait, au début, un maillot blanc.
Les supporters du « Decano » sont historiquement des gens de classes moyennes voire aisées au contraire de leurs homologues de San Martin. Bien que cet aspect social ait un peu disparu au fil du temps (il existe une grande mixité dans les tribunes du stade Jose Fierro), l’entité et ses supporters continuent d’entretenir le mythe un peu à l’image de River Plate, à l ‘échelle nationale.
Sur le terrain, l’Atlético est historiquement un club de deuxième division. Malgré de belles campagnes nationales, notamment celle de l’année 1979, le club n’a jamais réussi à perdurer en première division. Pourtant, la ferveur autour du club est intacte et le stade Jose Fierro doté de 30 000 places est toujours plein.
San Martin, « El Santo tucumano »
San Martin, lui, voit le jour le 2 novembre 1909. Son nom fait référence au libérateur José De San Martin. Le club est très lié au quartier de « La Ciudadela » où se situe le stade ainsi que le marché de « l’Abastos ». Lors de son passage en première division, « La Ciudadela » a même été qualifiée de « stade le plus chaud du pays » par l’émission très populaire « paso a paso ». À l’origine, l’équipe représente la classe populaire voire pauvre de San Miguel et les supporters de l’Atlético n’hésitent pas à traiter leurs homologues de San Martin de « ciruja » (clochard) ou « verdulero » (vendeur de légume).
En 2006, les « Decanos » avaient d’ailleurs jeté des tonnes de légumes à l’entrée des joueurs de San Martin. C’est également un club de deuxième division même s’il a connu tout les extrêmes : Il a infligé l’une des plus lourdes défaites de l’histoire de Boca Juniors en 1988 sur le score de 6-1 à La Bombonera et a joué de nombreuses années en première division mais aussi vécu le pire avec le tournoi régional au début des années 2000. Entre 2004 et 2008, le « Santo » réussit l’exploit de monter successivement de la ligue régionale de Tucumán (équivalent de la CFA) à la première division. 2008 restera une année particulière à Tucumán, pendant que San Martin montait en première division, l’Atlético filait en deuxième.
Le club du gouverneur contre club de la mafia
Les supporters ainsi que les dirigeants de San Martin reprochent régulièrement au gouverneur actuel de Tucumán , José Alpérovich ( bras droit de la présidente Cristina Kirchner) de favoriser l’Atlético en leur accordant plus de subventions de la part de l’Etat . Si les faits ne sont pas vérifiables, il est vrai qu’Alperovich est un fervent supporter du « Decano » et il n’est pas rare de le voir dans la tribune présidentielle du stade. L’Atlético porte, sur ces 20 dernières années, l’étiquette de « club du gouvernement ». Or, la politique, en Argentine comme ailleurs, est souvent mal vue et synonyme de « magouilles et de corruption ».
Impossible de parler de San Martin, sans mentionner son ex-président : Ruben « la Chancha » Ale. Le casier judiciaire de celui-ci est chargé. Ruben Ale a d’abord été le chef de la principale barra de San Martin, « la banda del camion » avec son frère « El mono » (le singe ) Ale. Considéré comme le parrain de la ville de San Miguel, il a mis Tucumán à feu et à sang dans les années 80 lors d’une guerre avec l’autre famille mafieuse appelée « Los gardelitos » (un clan étroitement lié à Atlético). Ces affrontements se sont terminés avec la mort de deux des principaux chefs des « gardelitos ». La plupart de leurs membres se sont donc exilés à Buenos Aires laissant le champ libre à la famille Ale.
Propriétaire de la principale flotte de taxis de San Miguel, il décide de laver son image (et son argent) auprès des habitants grâce à San Martin. En 2002, la plupart des clubs sont endettés et San Martin n’échappe pas à la règle. En faillite, le club évoluait en ligue régionale et avait une dette de 7 millions de pesos. La « Chancha » choisit ce moment pour se présenter devant les socios. Après avoir menacé les autres prétendants d’une « vague de violence jamais vue à San Miguel » si il ne devenait pas président. Il se fit finalement élire en étant la seule liste candidate auprès des socios. Il obtint le respect des « cirujas » et une certaine cote de popularité auprès des supporters après avoir emmené le club en première division.
Malheureusement pour lui, les mauvais résultats et les problèmes judiciaires auront raison de sa présidence. À la tête d’un grand réseau de jeux illégaux et de trafic de drogue, il finira par être mis en cause dans « l’affaire Trimarco », une sombre histoire de traite de femmes qui secoua l’Argentine. Il laissera le club en ruines et en troisième division, quant à lui, il est sous le coup de la justice dans de nombreuses affaires qui vont d’extorsions de terrains à blanchiment d’argent grâce à San Martin ou encore de proxénétisme.
Atlético-San Martin : une ville coupée en deux
San Miguel se fige lors de chaque derby et se coupe en deux. La plupart des quartiers du nord de la ville sont aux couleurs de l’Atlético tandis que la partie sud supporte San Martin. Comme toutes les rivalités, en Argentine, ce match est particulièrement violent et possède un historique de décès assez impressionnant. On ne compte pas moins de 8 morts, fruits d’affrontements entre les barras des deux clubs. À l’heure ou les luttes internes au sein d’une même hinchada sont de plus en plus fréquentes, San Martin possède la particularité d’avoir 4 barras qui se partagent la tribune populaire : « la banda del camion » ( la barra historique du club ») , « la brava » , « la banda del Oeste II » et « la Matienzo » . Celle de l’Atlético se prénomme « la Inimitable » et ses chefs sont tous issus de la famille Gonzalez Acevedo. Famille connue également pour ses activités illégales dans le nord de la ville, la barra brava était d’abord contrôlée par le frère aîné, Sergio « Chupete » Acevedo. Accusé du meurtre du demi-frère de la compagne de « la Chancha Ale », il laissera les commandes de la barra à ses frères : Gustavo « El gordo » Gonzalez (ancien chauffeur personnel de « la chancha » Ale) , « Chichilo » Acevedo et « Jazo » Acevedo. Ce ne sont pas moins d’une trentaine de membres de cette famille qui dirigent d’une main de fer les animations et l’ambiance de la tribune.
Le dernier affrontement meurtrier entre les deux clubs s’est produit en 2010, lorsque des membres de « la banda del camion » avaient décidé de régler leurs comptes avec « la Inimitable » lors de l’anniversaire d’une des filles de la fratrie Gonzalez Acevedo. La fusillade avait causé la mort d’un gamin de 15 ans, victime d’une balle perdue.
En 2006, la tribune visiteurs de San Martin prévue pour 5000 personnes céda sous la pression des 7000 supporters de l’Atlético présents.
Lors du dernier derby officiel, pour le compte de la Coupe d’Argentine, les organismes de sécurité avaient organisé le match dans la province voisine de Catamarca. 15 000 supporters des deux camps devaient emprunter la même route pour se rendre au stade. Après avoir mesuré le possible massacre, les organisateurs décidèrent finalement de jouer le match au stade de l’Atlético avec la même quantité de supporters des deux camps, une première.
Dans l’historique des confrontations, San Martin domine les débats puisque le club a gagné 103 clasicos tucumanos tandis que l’Atlético en a gagné 99, un derby très serré.
Aujourd’hui, les deux équipes vivent des réalités différentes : le « Decano » est en embuscade pour une montée en première division tandis que le club que supporte le Kun Agüero (son père évoluait à San Martin) est toujours en lice pour accéder à la deuxième division. Ces matchs amicaux de pré-saison sont donc le seul moyen de pouvoir opposer les deux institutions. Dimanche dernier, l’Atlético s’est imposé 3-1 à domicile. San Martin a l’occasion de prendre sa revanche lors du match retour dimanche. Et pour certains de passer une année tranquille, pour d’autres, une année compliquée …
Excellent article ! Moi qui suis de très près le foot argentin, j’ai appris beaucoup de choses.
Une petite erreur s’est cependant glissée dans l’article : le 1-6 contre San Martín n’est pas la plus lourde défaite de Boca à la Bombonera puisque Gimnasia leur y avait infligé un 0-6 en 1996.
Mais bravo tout de même pour vos recherches !