Les clubs argentins entrent en lice en Copa Sudamericana mercredi (l’équivalent de l’Europa League), avec en ouverture l’un des clásicos les plus chauds d’Argentine : le clásico platense entre Estudiantes de La Plata et Gimnasia y Esgrima La Plata. L’occasion pour La Grinta de se pencher sur la rivalité qui coupe en deux la quatrième ville d’Argentine avant cette double confrontation au niveau continental et celle en championnat. Tout cela en l’espace de quinze jours seulement…
La Plata est une ville réputée en Argentine. Et elle est souvent considérée comme un exemple de planification urbaine du XIXème siècle. La cité, capitale de la province de Buenos Aires, est connue sous le nom de Ciudad de las Diagonales (ville des diagonales) ou plus rarement la ville des tilleuls. En revanche, souvent dans l’ombre de Buenos Aires, elle est beaucoup moins connue pour son football. À tort. La saison dernière, lors des derbys entre son équipe, Gimnasia, et l’ennemi juré Estudiantes, le commentateur partisan Alberto Raimundi est devenu une star du Web argentin pour ses commentaires passionnés (voir vidéo). Hurlant de joie lorsque son équipe marquait, il déversait des torrents d’insultes contre l’arbitre et l’équipe adverse quand les choses tournaient mal. Réaction disproportionnée pour un commentateur, mais compréhensible, tant le clásico platense paralyse La Plata, la quatrième ville d’Argentine, deux fois par an. Quatre fois cette saison avec cette double confrontation entre le León (lion) et le Lobo (loup) en Copa Sudamericana. À notre droite, en blanc et bleu, Gimnasia y Esgrima La Plata, fondé en 1887 et doyen des clubs de football du continent américain. À notre gauche, en rouge et blanc, Estudiantes de La Plata, 13 titres pros dont 6 internationaux au compteur. Beaucoup de rivalités dans le monde voient s’opposer le club des riches et celui du peuple.
En l’occurrence, La Plata ne déroge pas à la règle : Gimnasia était au début de son existence le club des ouvriers des abattoirs municipaux – d’où le surnom Triperos (tripiers) – et Estudiantes le club des étudiants de médecine – d’où le surnom Pincharratas (disséqueurs de rats). En plus de la fracture sociale entre les hinchas des deux camps, les origines de cette rivalité ne manquent pas d’intérêts. Gimnasia y Esgrima La Plata a été créé à l’origine pour pratiquer les disciplines qu’il porte dans son nom (la gymnastique et l’escrime). C’est seulement en 1901 que certains adhérents s’intéressent au football. Au départ, la cohabitation se déroule idéalement ; mais en 1905, un événement viendra créer un séisme au sein de l’entité. Le club se doit de quitter ses installations et de déménager. Les membres doivent trancher : d’un côté, ceux qui souhaitent s’adonner aux sports en terrain couvert, de l’autre les passionnés de ballon rond, qui le 4 août de la même année décident de fonder leur propre club, le Club Atlético Estudiantes, qui deviendra avec le temps Estudiantes de La Plata… Estudiantes adhère à la Federación Argentina de Futbol en 1911. Gimnasia fera de même en 1914. C’est le 27 août 1916 que les deux équipes s’affrontent pour la première fois, victoire 1-0 de Gimnasia (but de Ludovico Pastor) dans le stade plein et surchauffé de son nouveau rival…
Estudiantes, l’insolent succès
Dans les chiffres, c’est Estudiantes qui mène dans à peu près tous les domaines. 13 titres pros à 1, et un net avantage dans l’historique des confrontations. Les fans Pinchas aiment se remémorer le clasico de 1945 où ils ont eu le plaisir d’envoyer leur éternel ennemi en deuxième division lors de la dernière journée de championnat, ou encore celui de 1996 qui fut sans aucun doute le derby platense qui présentait l’enjeu le plus important de l’histoire. Nous sommes le 18 août, Gimnasia se présente sur le terrain d’Estudiantes lors de la dernière journée du championnat de clôture avec pour nécessité une victoire pour être sacré champion. Score final : 1-1, et le Lobo fut privé de titre à la plus grande joie du public présent ce soir-là. Mais malgré ces faits marquants, la domination dans les confrontations date d’il y a peu, avant le derby d’octobre 2006, l’historique des confrontations était relativement équilibré, avec deux victoires d’avance pour Estudiantes.
La rencontre qui a suivi est encore dans toutes les têtes : une rouste monumentale, 7-0 (voir vidéo). Début d’une période faste pour Estudiantes (trois titres, dont une Copa Libertadores) et d’un calvaire pour Gimnasia, qui allait décliner jusqu’à connaître pendant deux ans l’enfer de la deuxième division. Les Pinchas ne manquent d’ailleurs pas de rappeler la dure réalité des chiffres à leurs meilleurs ennemis : partout à La Plata, on peut voir des « 7-0 » peints sur les murs par les supporters du club rouge et blanc. « Pour quelqu’un qui est né dans ce club, c’est un grand moment d’avoir contribué à ce succès », avait même déclaré un brin chambreur José Luis Calderón, auteur d’un triplé ce jour-là. D’ailleurs, le seul titre professionnel de leur rival, une Coupe spéciale organisée en 1993 pour les cent ans de l’AFA, les fait bien rire, eux qui sont connus dans le monde entier et qui ont gagné la Coupe Intercontinentale en 1968.
Gimnasia, la passion malgré la lose
En face, le club blanc et bleu a quant à lui connu une flopée de désillusions : à plusieurs reprises, l’équipe a perdu des titres qui lui étaient promis en s’effondrant dans les dernières journées (1996, 2005, 2014…). Mais les Triperos, tels Lens face à Lille ou West Ham face à Chelsea, ont gardé la tête haute malgré la lose qui leur colle à la peau. Et même lors de la période glorieuse, en 1933 précisément, quand le Lobo possédait une très grande équipe qui était surnommée El Expreso (Le train express) en allusion au traitement qu’elle réservait à ses adversaires, une grève des joueurs viendra perturber l’excellente saison entamée. Résultat : Gimnasia, qui luttait pour le titre, se présente face a son rival avec une équipe de gamins et s’incline 1-0. « Le derby de La Plata, c’est un match très particulier. Contrairement à Estudiantes, Gimnasia n’a pratiquement pas de palmarès mais c’est le club le plus populaire de la ville. Il y a beaucoup plus de supporteurs de Gimnasia que d’Estudiantes et ça j’en fais le pari à qui le veut », nous confiait Delio Onnis, meilleur buteur de toute l’histoire du championnat de France et ancien joueur de Gimnasia.
Toujours derrière leur équipe, pour le meilleur et pour le pire, les supporters triperos méprisent leur voisin embourgeoisé dont le stade sonne creux les années difficiles. Preuve d’une passion démesurée dans un pays qui n’a plus rien à prouver a ce niveau, en 2011, le onze qui quittait la première division était tout de même applaudi et les chants continuaient de résonner dans un stade plein à craquer (voir vidéo). Autre joueur pouvant en témoigner : l’Uruguayen José Perdomo. Héros du derby de 1992 que l’on appelle aujourd’hui Clásico del Terremoto (le derby du tremblement de terre), grâce a un coup-franc splendide qui donna la victoire au Lobo, il se souvient « Les supporters de Gimnasia m’en parlent encore et me remercient pour ce but. Je ne m’attendais pas à vivre quelque chose comme ça » . Cette passion inspira même en 2009 le réalisateur de cinéma Alejandro Encinas, qui a suivi des supporters triperos dans une saison des plus angoissantes, où l’équipe était (déjà) menacée de descendre. La saison relatée dans le film La Pasión s’est conclue comme un scénario hollywoodien : Pour son dernier match, Gimnasia, réduit à neuf dans son stade, a remonté le 0-3 du match aller dans les dernières minutes pour aller chercher le nul synonyme de maintien. Explosion de joie dans le bois de La Plata…
Des idoles qui reflètent les identités
Pour les supporters de Gimnasia, cette prouesse reflète parfaitement l’idée qu’ils se font de leur identité. Car faute de titres et de beau jeu, c’est l’engagement et le sacrifice (garra y sacrificio) qu’on glorifie. Peu importe les titres, l’important, c’est de jouer avec le cœur et de ne jamais abandonner. Le meilleur compliment que l’on puisse faire à un joueur de Gimnasia est « juega como hincha » : il joue comme un supporter. C’est pour cela que l’ancien joueur et actuel entraîneur Pedro Troglio occupe une place de choix dans le cœur des supporters. « Pedrito », pourtant né loin de La Plata et formé à River, a un jour déclaré ainsi sa flamme à son club : « Tu nais de quelqu’un, ton père et ta mère, mais après tu tombes amoureux de quelqu’un et tu pars avec. Je suis né à River, mais je suis tombé amoureux de Gimnasia ». Ajoutons à cela qu’il a accepté de quitter son poste au Paraguay (à Cerro Porteño, plus grand club du pays) pour aller reprendre l’équipe tombée en D2, et la faire remonter la saison suivante.
Du côté d’Estudiantes, les grandes heures du club sont indissociables des Verón : Juan Ramón, star de l’équipe dans les années 1960, et bien sûr Juan Sebastián, son illustre fils, qui est revenu au club après une belle carrière pour lui offrir trois titres, et est si populaire qu’il pourrait bien obtenir cette année la présidence du club. Mais surtout, on ne peut pas parler d’Estudiantes sans mentionner ses grands entraîneurs : Osvaldo Zubeldía, Carlos Bilardo, et récemment Alejandro Sabella. Tous ont eu une philosophie de jeu que le premier résumait ainsi : « On n’arrive pas à la gloire par un chemin de roses ». Jolie façon de dire « Seule la victoire est belle » ou « La fin justifie les moyens ». C’est pas beau, mais ça marche : 13 titres pour Estudiantes, et trois finales de Coupe du monde en sélection pour les entraîneurs issus du club. Le dernier Mondial, où l’Argentine est allée en finale malgré un jeu bien peu séduisant, en est d’ailleurs un bel exemple…
Lors de la dernière confrontation, Estudiantes l’a emporté 1-0 à l’extérieur, dans un match reflétant parfaitement l’identité des deux équipes : alors que les locaux couraient partout et pressaient leurs adversaires, les visiteurs ont froidement marqué en début de match, verrouillé le reste de la rencontre et douché l’enthousiasme des Triperos. Efficacité, et les trois points. Pour ces deux clásicos internationaux – les premiers dans l’histoire de la ville – si la balance penche légèrement en faveur du Pincha, personne à La Plata n’osera avancer de pronostic. Il sera toujours temps pour les Platenses, lorsque la confrontation aura rendu son verdict, de dire, avec un brin de mauvaise foi et beaucoup de passion : « On vous l’avait bien dit ! ».
Avec Bastien Poupat
Très bon article à l’image du site, passionnant et très bien documenté.
Habitant La Plata, j’ai quand même appris pas mal d’anecdotes ou explications historiques.
Saludos!
Excellent recit et bien complet. En tant que platense et fan de Gimnasia, j avoue qu il ne manque aucune reference importante de notre histoire. Merci beaucoup. Dale Lobo!