Marcelo Bielsa aura durablement marqué les esprits du football chilien, durant son passage sur le banc de la sélection, entre 2007 et 2011. S’il n’a remporté aucun titre avec son équipe, l’Argentin pourra au moins s’enorgueillir d’avoir mis le Chili sur les bons rails et insufflé un esprit conquérant aux plus jeunes.
Lorsqu’il prend les rênes de l’équipe, il s’inquiète d’abord de l’état des infrastructures du complexe sportif Juan Pinto Durán, qui sert de QG à La Roja. L’état des lieux est sans appel. Les douches sont froides, les lits sont minimalistes et seule une vieille télévision traîne dans les petites chambres des joueurs. Il n’y a pas de salle de sport digne de ce nom, il est impossible de contrôler la température et l’environnement dans lequel évoluent ses troupes. Devant ce piètre constat, il se met au travail : faire en sorte que le lieu de résidence de l’élite des joueurs chiliens soit à la hauteur des ambitions qu’il s’est donné pour cette équipe. Sa crédibilité et son expérience du haut niveau l’aideront à imposer ces changements.
Le modernisme au service du collectif
Il ne faudra pas attendre longtemps pour voir débarquer un vrai gymnase, un SPA ainsi que l’air conditionné dans le centre d’entraînement. Le chauffage est aussi de la partie pour la saison froide. On agrandit les chambres et les lits, on fournit des écrans plasma aux joueurs. Les vestiaires sont entièrement réaménagés. Marcelo Bielsa est parti du principe simple qu’on ne peut obtenir des résultats qu’en étant dans les meilleures dispositions. Même si ce principe ne s’applique pas à lui-même. Il passera ainsi 42 mois dans une petite chambre avec un crucifix accroché au mur, une télévision et une salle de bain. Après avoir cofinancé la majorité des travaux de Pinto Durán, en animant notamment quelques conférences sur le football, il n’a peut-être pas jugé nécessaire d’en faire plus pour avoir le même privilège que ses joueurs.
Les séances vidéo, de l’aveu de Pablo Contreras – un des Grands de l’histoire du football chilien -, étaient aussi un élément constitutif de la révolution Bielsa. Elles faisaient carrément partie intégrante de la tactique, et il était capable d’y passer des heures, à expliquer et réexpliquer aux joueurs aussi bien les points positifs que leurs erreurs de placement, en repassant des extraits de leurs matchs. La pression liée à sa compréhension était telle qu’il exigeait une concentration maximale de la part de ses joueurs, et gare à celui qui ne suivait pas. Cette base de travail lui permettait ensuite de travailler, avec beaucoup d’exigence, les mouvements sur le terrain et l’aspect tactique, avec un jeu de passes précis au possible.
Des travaux… et un peu plus que ça
Mais si l’ajout d’infrastructures et des changements tactiques ont permis de donner un peu plus de poids à la sélection chilienne, les joueurs de la génération actuelle sont intimement convaincus que l’apport de Bielsa à leur pays a été beaucoup plus psychologique que quelques travaux du BTP et des entraînements plus rigoureux. Marcelo Díaz, lors de la Coupe des Confédérations en 2017, s’en était confié à ce sujet aux journalistes de son pays. “Bielsa a changé le football chilien de manière inégalée. Sa forme et son style de jeu ont bien sûr attiré l’attention, mais par-dessus tout, il a changé la mentalité du footballeur chilien”. Ce qu’il confirme en rajoutant : “Avant, le footballeur chilien était médiocre. S’il affrontait l’Espagne, le Brésil ou l’Allemagne, il entrait sur le terrain en pensant qu’il allait perdre. Mais maintenant nous n’avons plus peur de personne, parce que nous savons qu’en jouant collectif nous pouvons faire mal à n’importe qui. Nos complexes se sont envolés !”
Ses coéquipiers le démontrent : l’ombre de Bielsa plane toujours sur la sélection, car le niveau d’exigence qu’il y a insufflé jusqu’en 2011 et qui a animé des stars comme Alexis Sánchez, Arturo Vidal ou Gary Medel, sont perpétués par ces joueurs-là, qui l’imposent à leur tour aux plus jeunes. À savoir qu’avant eux, les Chiliens entretenaient un certain complexe d’infériorité vis-à-vis de leurs deux voisins de mastodontes que représentent le Brésil et l’Argentine. L’époque Zamorano-Salas n’a accouché que d’un huitième de finale face au Brésil lors du Mondial 98, puis la génération suivante n’a pas semblé à la hauteur de la tâche que représentait la reprise du flambeau. Il aura donc fallu attendre 2015 pour voir un premier titre continental ramené au Chili, avant d’enchaîner dès l’année suivante sur un doublé avec la Copa América Centenario.
Et si c’est bien le compatriote de Bielsa, Jorge Sampaoli, qui a rapporté ces deux trophées, tout le monde s’accorde à dire que c’est avant tout le fruit du travail du premier. Pour le Chili, un autre défi s’ouvre : continuer sur cette voie, avec le concours de ses futurs ex-cadres.