Le 27 décembre 2001, en pleine crise économique, le Racing Club de Avellaneda de Merlo devient champion d’Argentine. Il aura fallu 35 ans pour que le club de Milito revienne au sommet. Ce jour-là, les supporters de l’Academia remplissent deux stades en même temps : une première dans l’histoire du football argentin.
Pendant que Racing est sur le point de toucher le ciel, le pays, lui, se rapproche de l’enfer. Alors que des milliers de supporters de Racing engendrent une file d’attente s’étalant sur 15 rues pour se procurer un sésame pour le dernier match du championnat, celui qui pourrait couronner le club 35 ans plus tard, des milliers d’autres Argentins sortent dans les rues pour demander la démission du président De La Rua. Ce fameux décembre de 2001 est sûrement le dernier mois de l’année le plus noir de l’histoire argentine.
Le 20 et le 21 décembre, le pays brûle, les balles fusent, les manifestations pullulent un peu partout et les saccages ne font qu’augmenter le niveau de violence. L’Argentine est à terre et ne se relève pas totalement de sa crise économique. Deux jours plus tard, Racing doit jouer son duel à distance face à River Plate. La dernière journée de championnat prévue le 23 décembre est finalement reportée. Impossible de jouer au football dans ces conditions chaotiques. Comment justifier un obélisque vêtu de bleu ciel et blanc comme les couleurs de la nation pendant que le pays est en ruine ? Racing-Vélez et River-Central se jouent donc le 27 décembre.
Malédiction et faillite
« Il faut être fou pour supporter Racing ». Voilà l’une des fameuses phrases que vous entendrez de partout à Buenos Aires lorsque vous mentionnerez l’Academia. Un club maudit par certains, mufa ( poissard) pour d’autres, Racing fait pourtant toujours partie du club très sélect des cinq grands du football argentin malgré 35 ans sans titre, de nombreuses finales perdues et la pire humiliation de son histoire : une descente en deuxième division en 1983 pendant que le grand rival Independiente devenait champion. Pire, en 1999, le club est ruiné, au bord de la faillite et à deux doigts de disparaitre. Il ne doit son salut qu’à ses supporters qui multiplient les manifestations et remplissent leur stade même lorsque l’équipe ciel et blanc ne joue pas et à un organisme fiduciaire du nom de « Blanquiceleste SA » qui reprend en main les finances et la gestion du club. Un club qui souffre depuis trois décennies et une « poisse » à faire rougir le plus puissant des marabouts d’Independiente mais surtout un engouement populaire intact.
C’est dans ce contexte que cette équipe menée par Mostaza Merlo se retrouve à deux doigts de remporter un titre tant attendu. Une équipe qui ne faisait rêver personne avec certes de bonnes individualités comme Bedoya, Estevez ou encore un jeune Milito remplaçant presque débutant et en prime des joueurs besogneux. Chatruc, Bastia, Campagnuolo, Loeschbor ou encore Ubeda, des gars avec du coeur, des ouvriers du football à l’image du club et de ses supporters. À Racing, tout se fait dans la douleur. La crise économique de 2001 au même moment est presque un clin d’oeil du destin comme pour rappeler que Racing ne sera pas champion si facilement et même s’il le devient, les gros titres des journaux feront à peine référence au titre de l’Academia. Un titre, dans un pays où le football est une religion, qui passera quasiment inaperçu sauf pour les milliers de supporters du club le plus argentin des clubs argentins, le premier grand club du pays, el primer grande. Les Argentins n’ont alors, chose rare, pas la tête à penser ballon rond.
Le jour du verdict du championnat, Vélez, alors très loin de jouer les premiers rôles, cède 25.000 places, la moitié du stade Jose Amalfitani. Une aubaine pour les dirigeants du club de Liniers, à l’ouest de Buenos Aires, Vélez n’ayant pas la réputation de remplir systématiquement son stade. Les places se sont vendues en deux heures. Les dirigeants de l’Academia ont alors l’idée d’installer un écran géant au Cilindro pour permettre aux supporters n’ayant pas eu leur précieux sésame de voir le match. Pas moins de 50.000 personnes remplissent le stade de Racing ! River de son côté dispose facilement de Rosario Central, ce qui n’a fait qu’amplifier le caractère dramatique de la rencontre entre Racing et Vélez. Pour la première fois de son histoire, la justice divine a été en faveur de la Academia.
Au terme d’un match épique digne d’un des meilleurs films à suspense, la bande de Merlo a réussi à obtenir ce point du match nul suffisant à la consacrer championne d’Argentine. Après tant de déceptions, de souffrances le peuple racinguista peut enfin souffler. Depuis ce jour, le mythe de la hinchada de Racing n’a fait que s’amplifier. 15 ans plus tard, Racing est le seul club argentin à avoir réalisé cette prouesse et la Guardia Imperial, la barra brava locale, ne manque pas de le rappeler dans l’un de ses chants : « Los bosteros, San Lorenzo, las gallinas oooh nunca llenaron dos canchas el mismo dia ooohhh ».
Depuis 2014 et l’arrivée de Milito et Cocca, le club essaie tant bien que mal de changer son image de club malchanceux avec un slogan sans équivoque : « Racing Positivo ». Mais une chose ne changera jamais, la fidélité de son hinchada.