Après 5 ans passés à Singapour, Anthony Aymard a quitté la cité-État pour signer au Cambodge, au Phnom Penh Crown. Un choix étonnant mais qui s’explique par la progression que connaît le championnat cambodgien. Le défenseur français de 27 ans nous raconte la vie à Phnom-Penh et ce nouveau cadre de vie qu’il a découvert.
Bonjour Anthony, raconte-nous ton parcours footballistique pour commencer.
Anthony Aymard : Je suis originaire du Puy-en-Velay à côté de Saint-Étienne. J’y ai fait toute ma carrière jusqu’en sénior. D’ailleurs, les jeunes ont encore de bonnes équipes qui évoluent en DH ou au niveau National. C’est l’un des meilleurs clubs de la région chez les juniors. Après le Puy-en-Velay, je suis parti 6 mois à l’AS Polignac juste à côté et en 2010 j’ai eu l’occasion de passer des tests à Toulouse pour intégrer l’équipe de l’Étoile FC dans le championnat de Singapour. Ça s’est bien passé donc je suis parti là-bas où j’ai joué 5 ans jusqu’en décembre 2015. Maintenant, j’évolue au Phnom Penh Crown FC (PPCFC), champion du Cambodge en titre.
Comment as-tu atterri au Cambodge ?
A.A. : J’étais en fin de contrat à l’Étoile FC et je me disais que le futur serait plus compliqué là-bas. Mais je voulais rester en Asie. Je suis rentré en contact avec Thierry Bin, un Franco-cambodgien qui joue au PPCFC, qui m’a mis en relation avec le manager du club. J’ai passé un essai d’une semaine qui s’est avéré concluant donc j’ai signé là-bas.
Passer de la France à l’Asie, ça a dû te changer ?
A.A. : Je me souviens du choc thermique lorsque je suis arrivé à Singapour en 2011. Il faisait 40 degrés et très humide mais je me suis adapté. Singapour est une ville très européenne, très développée donc ça ne m’a pas trop changé. Par contre, c’est complètement différent à Phnom Penh. C’est un peu le bazar. On voit que c’est une ville en plein développement actuellement. Le pays est en retard sur ses voisins comme la Malaisie ou la Thaïlande mais il se développe vite.
Quel est le niveau du championnat cambodgien ?
A.A. : Niveau footballistique, on est aux alentours du CFA. Le championnat est en plein développement lui aussi mais au Cambodge, il n’y a pas de championnat officiel dans les catégories de jeunes, ça ne les aide pas dans leur progression. La plupart des joueurs viennent du futsal donc ils sont très vifs, rapides et techniques. Mais niveau organisation et tactique, ça reste très limité. C’est un peu du football dans tous les sens. Ça court sans arrêt, ça pose très peu le jeu et ça va toujours de l’avant.
« Le football est très très populaire au Cambodge »
Ton entraîneur, Oriol Mohedano, est espagnol. Est-ce qu’il essaie d’apporter quelque chose au niveau du jeu de l’équipe ?
A.A. : Oui, il tente d’apporter autre chose mais c’est assez compliqué pour les Cambodgiens parce que c’est trop tard pour eux. C’est compliqué de se faire corriger à partir d’un certain âge. Même si notre équipe est jeune, il faudra du temps pour que les mentalités changent. Il y a aussi la barrière de la langue. Le coach parle bien anglais mais les joueurs locaux très peu. C’est un souci en plus.
Et pour toi, justement, la barrière de la langue a été compliquée à dépasser ?
A.A : L’anglais n’est pas une langue très répandue au Cambodge, la plupart des gens ont un niveau faible. J’ai commencé à prendre des cours de la langue locale mais c’est complètement différent. J’ai des bases donc je peux m’en sortir dehors, pour me balader, manger et pour faire des achats. Tenir une discussion, c’est plus compliqué.
Est ce que les gens se passionnent pour le foot là-bas ?
A.A. : Le football est très très populaire au Cambodge. En Asie, dans les pays en voie de développement où le niveau de vie est bas comme la Malaisie ou l’Indonésie, les gens se passionnent pour le foot. Ils vont au stade supporter l’équipe locale. C’est complètement différent de Singapour ou Hong Kong. Ils aiment le foot, ils aiment la Premier League, mais le championnat local est souvent délaissé parce que les gens s’y intéressent peu. Mais ici c’est vraiment populaire ! Quand j’étais à l’essai en janvier, deux des meilleures équipes thaïlandaises, Buriram et Muangthong, faisaient une tournée dans l’Asie du Sud-Est. Elles ont affronté une sélection des joueurs du championnat à Phnom Penh, il y avait 50 000-60 000 personnes dans le stade. Dans l’ensemble, le championnat est bien suivi mais ici, les gens suivent énormément leur équipe nationale. L’équipe nationale, c’est quelque chose même si le niveau est moyen. Certains joueurs locaux sont de vraies stars dans le pays.
Comment sont les gens dans les tribunes ?
A.A. : Les gens crient et rigolent beaucoup dans les stades. C’est une mentalité différente en Asie. Si un joueur tombe, ce qui peut arriver dans un match de foot, une bonne partie du stade va rire. Mais ils supportent vraiment bien leur équipe. Dans la ville, on voit beaucoup de maillots des clubs de la capitale. Les maillots ne sont pas très chers pour nous (environ 15-20 dollars) mais c’est trop pour le Cambodge donc il y a beaucoup de contrefaçon. D’ailleurs, cette année on a des nouveaux maillots. Le club ne les a pas encore en stock, mais dans les boutiques de contrefaçon ils le vendent déjà. Ça gêne pas mal de monde au club mais je reste persuadé que les maillots sont trop chers pour la population. Et puis, sans contrefaçon, on ne verrait pas autant de maillots en ville.
Au niveau des salaires ça donne quoi ?
A.A : Les joueurs locaux peuvent bien gagner leur vie grâce au football par rapport à un salaire normal du pays. Les étrangers, c’est toujours comme ça en Asie, gagnent plus que les locaux. C’est leur façon de fonctionner parce qu’il y a des quotas d’étrangers. En fonction des championnats, les équipes ont droit à 4 ou 5 étrangers. Suivant les pays, les mentalités, ça peut créer des tensions dans les équipes avec les joueurs locaux. Moi personnellement je ne me plains pas du tout, en plus le club peut mettre à disposition une moto pour le transport ou un logement. Ça reste intéressant. Au niveau du salaire, ça équivaut à ce qu’il se fait entre la CFA et le National en France, pour un coût de la vie bien inférieur.
À quoi ressemblent les infrastructures dans ton club ?
A.A : Je joue dans l’un des clubs de la capitale qui a gagné le plus de titres avec un président qui s’investit énormément. On a un stade tout neuf de 4000-5000 places. Il est très agréable et la pelouse est magnifique et bien entretenue. Vraiment, les infrastructures sont bien.
Et chez les autres ?
A.A : Les autres sont en retard par rapport à nous. Quelques clubs ont leur stade, certains n’en ont pas donc ils s’entraînent sur des synthétiques en périphérie de la capitale. Le week-end, beaucoup de matchs se jouent au stade Olympique, le stade national.
Est-ce que tu as eu l’occasion de participer à une Coupe d’Asie des clubs ?
A.A : Toujours pas. À Singapour j’ai joué une finale de Coupe mais on l’a perdue. Le Phnom Penh Crown étant champion du Cambodge, on aurait dû disputer l’AFC Cup, l’équivalent de la Ligue Europa. Mais la fédération a eu du retard, n’a pas répondu à la fédération asiatique pour y participer donc je n’ai toujours pas fait de Coupe d’Asie en 6 ans. J’espère pouvoir en jouer une un jour.
Tu continues à suivre le foot européen ?
A.A : Je regarde les résumés de la Ligue 1 tous les lundis sur YouTube. J’avais la Ligue 1 à Singapour mais je ne l’ai plus ici. Sinon pour la Ligue des champions, j’essaie de regarder les matchs du PSG. Je me couche tôt et je mets le réveil à 3 heures pour regarder les rencontres, sur l’ordinateur ou à la télé.
Depuis que tu es parti, la Ligue 1 a pas mal changé avec la suprématie du Paris SG. Comment tu l’analyses à presque 10 000 kilomètres de distance ?
A.A : Cette suprématie est logique au vue des joueurs qui composent l’équipe et du jeu qu’ils produisent depuis 2-3 ans. Ce n’était pas terrible quand il y avait Ancelotti, c’était moins beau à voir qu’actuellement. Je trouve que Blanc fait du bon boulot là-dessus. Paris n’est pas imbattable pour les autres clubs, mais sur la saison ils ont un effectif tellement costaud qu’ils font la différence. Ça me rappelle l’époque où Lyon dominait. Chaque week-end, on ne se pose pas la question de savoir s’ils vont perdre et ils font rapidement la différence. Mais Lyon, avec des jeunes, les a fait trembler pendant longtemps l’an dernier, ça montre que ce n’est pas impossible.
Est-ce que tu penses terminer ta carrière en Asie, où tu pourrais changer d’ici la fin ?
A.A : Je me vois rester ici en Asie, pour le foot mais même après. Je commence à préparer mon après-carrière, je compte m’installer ici, j’ai des projets avec ma copine. Le foot, tant que je pourrais j’y jouerai. J’ai envie de rester en Asie parce que ça reste intéressant et que le cadre de vie me plaît bien. Je n’ai pas spécialement envie de rentrer en France. Y aller en vacances, ça me suffit…
Propos recueillis par Rémi dos Santos