A trois mois de la Coupe du monde au Brésil, tout le monde s’active avant la grande fête du football : les hôtels et aéroports en sont aux derniers préparatifs, les supporters économisent les derniers sous, les chantiers restants tournent à plein régime. Et puis il faudra aussi composer avec eux. Eux, ce sont les barras bravas d’Argentine. 500 supporters violents argentins ont déjà confirmé leur présence.
Ils ne sont pas dans la liste des 50 000 argentins chanceux qui ont réussi à avoir leur billet grâce au tirage au sort sur le site de la FIFA, mais ils seront bien là. Grâce à leurs relations avec l’AFA ( fédération argentine), le gouvernement ou encore les grands entrepreneurs, les barras ont toute la logistique nécessaire pour être au Brésil. Cette fois-ci encore, la plupart d’entre eux partiront grâce à l’association Hinchadas Unidas Argentinas ( l’union des supporters argentins).
Hinchadas Unidas Argentinas, l’union presque sacrée des barras
Hinchadas Unidas Argentinas est une ONG crée par Marcelo Mallo, un haut fonctionnaire de l’Etat proche de la présidente, qui regroupe la plupart des barras bravas. Elle a pris le relais de l’ancienne ONG, Nuevo Horizonte, qui a permis, en 2007, à 23 barras d’Independiente d’être présents lors de la Copa America au Venezuela.
Imaginez les 30 membres les plus influents de chaque groupe ultra en France sous un même drapeau pour supporter l’équipe de France… Pour le Mondial 2010, pas moins de 250 barras avaient assisté aux matchs de la sélection argentine. Le « deal » était simple, les barras constituaient une force d’appui et de frappe lors de meetings politiques, permettant la mise en place de plans sociaux dans certains quartiers déshérités pour le compte du kirchnerisme en échange d’un voyage tout frais payé en Afrique du Sud . Ainsi, quelques mois avant la Coupe du monde 2010, on pouvait voir des banderoles à la gloire de la présidente dans quasiment toutes les tribunes populaires du pays et une baisse conséquente de violences entre les différentes hinchadas. Cet argument a d’ailleurs été largement utilisé face à l’opinion publique : Il n’y aura pas de violences dans les stades mais en échange, les barras voyagent pour supporter l’équipe nationale, une sorte de récompense de bonne conduite. Ainsi, le noyau dur et les chefs des hinchadas de l’Independiente, Huracan, Velez, Lanus, Tigre, Rosario Central, Argentinos Juniors, Chacarita, Godoy Cruz, Gimnasia La Plata, Colon de Santa Fe, San Martin de Tucuman, All Boys, Temperley, Platense, Laferrere, Almirante Brown, Deportivo Moron et d’autres clubs de deuxième et troisième division avaient débarqué en Afrique du Sud pour suivre les matchs des hommes de Maradona. Dix d’entres eux avaient été directement déportés en Argentine lors de leur arrivée sur le sol africain pour des affaires avec la justice encore en cours. Dont les chefs des barras d’Independiente, « Bebote » Alvarez (la barra brava d’Independiente était à l’origine du projet), de San Martin de Tucuman, « Flay Roldan » ( actuellement entre la vie et la mort après avoir perdu le contrôle de sa camionnette), de Rosario Central, « Pillin » Bracamonte, de Huracan, de Nueva Chicago « Gusano » Pugliese (ancien garde du corps personnel de Messi lors de ses séjours en Argentine) ainsi que d’autres personnes d’Huracan, Lanus et Godoy Cruz.
Le séjour de 250 supporters dangereux avait causé un scandale médiatique presque à la hauteur de la couverture de l’équipe nationale. La présidente avait été vivement montrée du doigt. La supposée « non violence » des tribunes argentines avant la Coupe du monde n’a convaincu personne puisque bien que les affrontements entres barras bravas adverses avaient presque cessés, les luttes internes au sein d’une même hinchada, pour savoir qui allait bénéficier du voyage s’étaient multipliées.
Les membres de HUA ont pourtant ensuite assisté à la Copa America à domicile et aux matchs de la sélection pour les éliminatoires.
Qui sera au Brésil ?
Toutes les barras d’Argentine veulent aller au Brésil. Pour l’instant, l’ONG Hinchadas Unidas Argentinas s’est essoufflée. Marcelo Mallo, fatigué des critiques, ne fait plus partie du projet et l’organisation ne roule plus uniquement pour le Kirchnerisme. Elle bénéficie de financements de tous les contacts politiques de chaque barra qui en fait partie. De plus, la plupart des barras d’équipes de première division se sont détachées du projet et HUA sera composée presque uniquement de barras bravas d’équipes de seconde, troisième voire quatrième division. Même la barra d’Independiente, alors leader de la « confrérie », a pris du recul alors ses chefs sont sous le coup de procédures judiciaires justement en rapport avec la Coupe du monde 2010. Elle devrait quand même être du voyage grâce à ses relations avec Hugo Moyano, secrétaire général de la CGT locale, et les syndicats de camionneurs.
L’organisation sera désormais dirigée principalement par les barras de Platense, El Porvenir, Tristan Suarez, Rosario Central, Godoy Cruz et Talleres de Cordoba entre autres.
Jorge Martins, le chef de la torcida de l’Inter de Porto Alegre, a confirmé lors d’un entretien avec le quotidien Olé les liens entre son groupe et les membres de HUA. Il affirme pouvoir assurer la logistique des 500 membres de l’HUA : logement, bus pour aller au stade et même deux études d’avocats en cas de problème. La relation entre l’HUA et la torcida de l’Inter aurait commencé en 2011 lors d’un match Independiente-Internacional. Le groupe de Porto Alegre est la torcida la plus puissante du Brésil et celle qui s’apparente le plus aux barras bravas d’Argentine avec de nombreux contacts politiques.
D’après le site perfil.com , les deux barras bravas les plus importantes d’Argentine seront également présentes . En effet, les membres de « la 12 » de Boca Juniors et les « Borrachos del Tablon » de River Plate seront bien au Brésil. Les supporters radicaux de River auraient profité des élections du club pour financer leur séjour en échange de soutien électoral. Dans le cas de « la 12 », c’est plus compliqué car le groupe est pisté par le juge Juan Manuel de Campos. La barra de Boca est accusée d’être une association illicite et les problèmes internes pour le contrôle de la tribune sont récurrents. Au Brésil, elle pourrait bénéficier de l’aide de la torcida du Corinthians , les « Gavioes da fiel », avec qui elle entretient de très bons liens après le passage de Tevez au club paulista et les récents matchs opposant Boca et le Corinthians en Copa Libertadores. La Doce a aussi sympathisé avec les torcidas de l’Inter, du Gremio et de Palmeiras.
« La Banda del Expreso », la barra de Godoy Cruz commandée par le sulfureux « Rengo » Aguilera, a déjà promis d’emmener au Brésil une banderole géante avec les visages du pape François, de Messi et de Maradona.
La Gaceta indique que les principaux membres des deux barras bravas de San Martin de Tucuman devraient être présentes. « La Brava » et « la Banda del Camion » arborent d’ailleurs fièrement depuis plusieurs semaines des banderoles avec les inscriptions « Brasil 2014 ». Logique, puisqu’elles font partie du collectif Hinchadas Unidas Argentinas.
Leurs rivaux d’Atlético Tucuman s’arrangent avec leurs homologues d’Huracan pour pouvoir financer leur voyage. Les barras d’Huracan, Quilmes et Lanus ont quitté l’HUA après s’être senties trahies par Marcelo Mallo. Il n’aurait pas tenu certaines promesses et ces 3 groupes devraient payer leur séjour par leurs propres moyens. Ces moyens sous-entendent extorsion et racket auprès des joueurs, dirigeants et vente de produits dérivés et stupéfiants à l’intérieur du club. Pour les barras des deux grands clubs de Tucuman, on a même retrouvé des tonnes de litres de boissons alcoolisées cachées dans les coursives de la tribune, ces boissons étaient destinées à la revente à l’intérieur du virage pendant le match.
Les gouvernements brésiliens et uruguayens inquiets
Les barras poursuivies par la justice pressent les procédures pour quitter le pays sans encombre. Le gouvernement brésilien prend très au sérieux la menace argentine et a crée spécialement un « Centre de coopération de police internationale ».
D’après El Pais le chef d’Interpol a affirmé en décembre dernier qu’il y avait eu une procédure de coopération entre la « Direction du crime organisé » et la Police Fédérale Brésilienne dans le but « d’atténuer l’action de possibles groupes violents provenant d’Argentine ». Depuis quelques mois, des fonctionnaires du pays hôte se rendent régulièrement à Buenos Aires afin de récolter des informations auprès des clubs sur les chefs de chaque hinchadas, sur les personnes violentes susceptibles de se rendre au Brésil ainsi que les interdits de stade. Le premier contact entre le gouvernement brésilien et les dirigeants argentins n’avait pas été fructueux puisque seuls 3 clubs argentins avaient donné les informations demandées. Suite à cela, Dilma Roussef avait déploré le manque de collaboration de ses voisins.
L’Uruguay est également sur les dents puisque cette fois-ci les barras bravas devraient emprunter la voie terrestre pour rejoindre le Brésil et donc traverser le pays. La policie charrua est prévenue et suivra attentivement les mouvements des barras à l’intérieur du territoire pour éviter tout incident et donner une première liste a ux homologues brésiliens.
Une « tradition » de 30 ans
La présence des supporters les plus violents d’Argentine pour une Coupe du monde n’est pas un phénomène récent. En 1982, une poignée de barras de différents clubs avait assisté au mundial 82 sous le règne de « Negro » Thompson, à la tête de la barra de Quilmes, une légende des tribunes argentines. Ce « commando » a pris forme sous l’impulsion de la dictature dans le but de faire taire tous les opposants au régime susceptible de se manifester contre le gouvernement militaire en Espagne.
En 1986, une centaine de personnes s’étaient rendues au Mexique. La plupart des barras présentes provenaient de la mythique « 12 » d ‘« El abuelo » mais il y avait aussi des supporters de Velez (dont Raul Gamez contrôlant la hinchada du Fortin qui devint ensuite président du club), Chacarita, Union de Santa Fe, Nueva Chicago et Estudiantes. Ces personnes ont fait parler d’elles après de violents affrontements avec les hooligans anglais pendant le fameux quart de finale. Les incidents débuté pendant le match dans les tribunes et ont ensuite continué au croisement des avenues Reforma et Revolucion. Les Argentins ont bénéficié du soutien de nombreux exilés politiques ainsi que d’une cinquantaine d’Ecossais. Bilan : des dizaines de blessés britanniques et de nombreux drapeaux perdus exhibés à la Bombonera et dans le stade Chacarita.
En 1990, des barras de Boca, Chacarita, River, Racing, Independiente, Estudiantes, Rosario Central, Gimnasia, Velez, Banfield, San Martin de Tucuman, Newell’s Old Boys et San Lorenzo étaient de la partie. La « 12 » de Boca Juniors et « Los diablos rojos » d’Independiente s’étaient affrontés violemment.
En 1994, seul la « 12 » a réussi à rejoindre les Etats Unis, en raison des visas délicats à obtenir.
En 1998, une quarantaine de « Borrachos del Tablon » de River ainsi que des membres des barras de Boca Juniors et Independiente ont poussé derrière l’Albiceleste. En 2006, Les principaux chefs des hinchadas de River et d’Independiente ont mis en place un pacte de non agression et se trouvaient côte à côte pour suivre l ‘équipe de Pekerman. Demichelis avait d’ailleurs logé de nombreux « Borrachos del tablon » chez lui à Munich. Des membres de la deuxième ligne de « la 12 » s’étaient renduq en République Tchèque mais n’avaient pas réussi à avoir des places, ils se sont d’ailleurs affrontés avec la barra d’Independiente.
En 2010 , indépendamment de la HUA , Maradona et Bilardo avait financé une sorte de barra officielle avec des membres des hinchadas de Estudiantes, Nueva Chicago et San Martin de Tucuman ainsi qu’un gros contingent d’un groupe dissident de « la 12 » nommé « la banda de Lomas de Zamorra ». Ces derniers se sont encore affrontés avec leurs homologues d’HUA et plus précisément d’Independiente. Un amoureux de Boca Juniors perdra la vie à la suite de cette bagarre.
Cette Coupe du monde risque donc d’être mouvementée. On imagine mal les supporters les plus radicaux de Boca et de River marcher main dans la main. Plus de 1000 personnes très violentes sont attendues. Le Brésil a donc intérêt à mettre l’accent sur la sécurité quand on connaît la capacité de déplacement des Anglais ou encore la violence persistante des torcidas brésiliennes sur ces dernières années.