En ces périodes de fêtes se joue le traditionnel match de la sélection basque de football. 2013 n’a pas échappé à la règle et c’est le Pérou qui se présentait cette année comme invité à Bilbao. La Grinta y était, dans le tout nouveau stade de San Mames. Entre bombes agricoles et kalimotxo (mélange de vin rouge et de coca), rencontre avec une sélection qui n’en est pas vraiment une…
Commençons par un peu d’histoire pour ce On Tour particulier. Le premier match de la sélection basque se déroule le 3 janvier 1915 face à celle de la Catalogne. Ce jour-là, les Euskariens réunis sous le nom de « Selección Norte » infligent une véritable raclée à leurs voisins, 6-1. Ce fut la première d’une série de neuf rencontres sans défaite pour l’Euskadi face aux Catalans entre 1915 et 1931. Entre temps, ce sont les JO de 1920 à Anvers qui vont ouvrir les portes du monde à l’Euskal Herria. L’Espagne, équipe composée en grande majorité de joueurs basques à l’époque, remporte cette compétition. Un succès qui ne passe pas inaperçu en Amérique du Sud où les nombreux immigrés réclament une tournée des leurs. Chose faite en 1922, même si elle ne rencontrera pas le succès escompté. Le premier match contre équipe officielle européenne survient seulement le 25 avril 1937 face au Racing Paris. Cette première hors du territoire espagnol en Europe s’effectue grâce à José Antonio Aguirre (président du gouvernement autonome du Pays basque et ancien joueur de l’Athletic Bilbao) avec pour objectif de récolter des fonds pour la cause basque durant la guerre d’Espagne. L’enjeu est double : économique bien sûr, et politique pour médiatiser l’existence du peuple euskarien et dénoncer la guerre à laquelle se livre l’Etat espagnol. “Notre mission est purement humanitaire et pacifique”, déclare alors le capitaine de l’époque Luis Regueiro. Sportivement, la formation basque s’impose pourtant 3-0 au Parc des Princes à Paris face au champion de France en titre ! Malgré les efforts et cette première rencontre officielle sur le Vieux Continent, l’équipe, encore aujourd’hui, n’est pas reconnue internationalement. Elle n’est ni membre de la FIFA, ni de l’UEFA et ne peut donc participer aux compétitions internationales. Mais il en faut beaucoup plus pour atteindre le moral d’un Basque. Pour preuve, dès 1937 après cette première dans la capitale française, rebelote contre des équipes comme le Lokomotiv Moscou, la Norvège et même l’Olympique de Marseille ! En 1938 l‘Euskadi met les voiles vers l’Amérique centrale. À Cuba puis au Mexique. Anecdote invraisemblable aujourd’hui, elle participe même au championnat mexicain lors de la saison 1938-1939. Après une saison très honorable en terminant vice-champion sous l’appellation de Club Deportivo Euzkadi (13 victoires, 1 nul et 3 défaites), l’avenir de la sélection s’inscrit en pointillés après un événement politique majeur en Espagne.
De la répression à la renaissance
Même si c’est en 1937 que Bilbao est prise par les troupes du général Franco, suite au triste bombardement de Guernica immortalisé dans un célèbre tableau de Picasso, c’est bel et bien en 1939, date marquant la prise de pouvoir définitive de Franco, que la répression des identités régionales et non-espagnoles s’accentue. Dès lors, l’équipe basque ne se rassemble plus et la situation politique s’envenime de l’autre côté des Pyrénées. Certains joueurs s’exilent vers l’Amérique du Sud, d’autres jouent dans le championnat espagnol, les plus radicaux comme le capitaine Regueiro arrêtent complètement le football. La résistance contre le régime fasciste de Franco s’organise avec la naissance de deux mouvements aux idées révolutionnaires qui prônent un État indépendant, libre et socialiste : l’ETA en 1959 et Enbata en 1963. Au vu d’une répression sanglante, les mouvements se radicalisent et appellent à des actions beaucoup plus violente. Arrive donc le terrorisme. C’est à partir de ce moment-là, que l’identité basque s’est renforcée chez ce peuple qui partage une langue, une culture et des traditions millénaires. Encore aujourd’hui ce sont des sujets d’actualités qui prennent une place très importante dans la vie des Basques que Voltaire définissait comme « le peuple qui danse des deux côtés des Pyrénées». En 1975, avec l’arrivée de Juan Carlos au pouvoir, des concessions sont faites par le gouvernement même si cela ne satisfait pas entièrement les révolutionnaires qui continuent à militer pour leur indépendance. À partir de 1979, le statut de la communauté autonome basque est signé par toutes les provinces sauf la Navarre. Depuis, des institutions régionales (parlement, gouvernement, système éducatif, radio-TV) sont mises en place. Retour au football. C’est 39 ans après son dernier match, le 2 mars 1978 et trois ans après la mort du dictateur Franco, que la sélection refoule la pelouse de San Mames devant 25.000 personnes survoltées sous l’appellation Selección de Euskadi dans une rencontre l’opposant à l’URSS. Malgré un 0-0 décevant et un niveau de jeu très inférieur aux glorieux anciens des années 30, l’essentiel est ailleurs. Elle marque son véritable retour au mois d’août 1979 avec une belle victoire sur l’Irlande 4-1 dans le cadre du programme de la campagne “Bai Euskarari” militant en faveur de la langue locale. S’en suit huit ans d’absence jusqu’en 1988 et le match face à Tottenham remporté 4-0. Depuis, le rassemblement a lieu régulièrement, en général une fois par an, et depuis quelques années pendant la période des fêtes.
Euskal Herria – Pérou
La période des fêtes… Cette rencontre tombe bien. À part les rumeurs en bois du mercato hivernal et les traditionnels matchs en Angleterre, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Nous sautons donc dans un train de nuit direction Irun, ville située à la frontière abritant le club de la Real Union, avant de finir le trajet pour Bilbao en voiture. Aux alentours d’un San Mames flambant neuf, l’engouement pour cette opposition est énorme. Les rues adjacentes sont noires de monde, kalimotxo et autres breuvages en mains, les maillots de l’Athletic Bilbao se côtoient avec ceux de Osasuna et de la Real Sociedad et les bombes agricoles sont de sortie. Direction la tribune latérale pour obtenir une vue optimale sur le match et les différentes animations des supporters basques dans le Virage Nord. Inauguré lors de l’été 2013, ce nouveau San Mames, appelons-le ainsi, a fière allure. Seul le Virage Sud manque à l’appel, remplacé par une grande bâche San Mames, sa construction étant prévue pour l’été 2014 dans un stade qui aura une capacité totale de 53 332 places. Pendant l’échauffement, les locaux entrent sous un tonnerre d’applaudissements. « C’est beau, ça fait vraiment plaisir de voir notre équipe ! », s’émeut alors un fan basque. Les minutes défilent, le coup d’envoi approche et quand les joueurs entrent de nouveau sur le terrain pour le traditionnel protocole et les hymnes, se déroule alors une scène assez cocasse. Tout simplement, la sono du stade ne répond plus…Pas de problème, les supporters basques assurent eux-mêmes l’activité sonore, le stade se lève comme d’un seul homme drapeaux à la main et un monstrueux IN-DE-PEN-DEN-CIA retentit. Le match démarre, pour les hymnes nationaux, on verra ça plus tard. Le Virage Nord, constitué par les Herri Norte de Bilbao, la Mujika Taldea de la Real Sociedad, des Indar Gorri d’Osasuna et même des Ultramarines Bordeaux, continue de donner de la voix en ce début de rencontre. Tout ce petit monde explose de joie dès la 14 ème minute quand Aduriz, l’attaquant de l’Athletic Bilbao, inscrit le premier but de la rencontre. San Mames chante en chœur dans une ambiance qui ne cesse d’augmenter au fil des minutes. Torres, attaquant d’Osasuna ajoute un deuxième but huit minutes plus tard, déclenchant une « Ola » avant qu’Aduriz n’y aille de son doublé juste avant la mi-temps. 3-0 à la pause, le Pérou bien que remanié est complètement asphyxié et n’aura fait illusion seulement cinq minutes lors de ce premier acte.
Avant la reprise de la seconde période, nous assistons à une autre scène inhabituelle. En effet, la sono a l’air de fonctionner, moment choisi pour entonner les hymnes nationaux. Bon, très bien, on prend. L’hymne péruvien est parfaitement respecté et même chaleureusement applaudi. « C’est important de remercier les nations qui acceptent de venir ici jouer contre nous. À part avec les équipes sud-américaines et africaines, c’est très difficile pour nous d’organiser une rencontre. Les équipes d’Asie et d’Océanie sont géographiquement beaucoup trop loin, et en Europe au vu du contexte politique je n’en parle même pas », nous lâche un habitué avant que l’hymne national « Euzko Abendaren Ereserkia » ne soit repris par tout le stade. Début de la seconde période, et il faut seulement patienter quatre petites minutes pour que Agirretxe, attaquant de la Real Sociedad et natif de Bilbao, ne trouve à son tour le chemin des filets. Il inscrit même un doublé en trois minutes (49′ et 52′). À ce moment-là, plus aucun doute sur l’issue de la rencontre… En tribunes, les Basques sont euphoriques, les mots d’amour envers l’Espagne pleuvent ainsi que les « Euskal Herria » et les « Qui ne saute pas est espagnol ». San Mames s’enflamme à nouveau avec une « Ola ». L’idole Gaizka Toquero, joueur adulé pour son amour du Pays basque et sa fidélité à l’Athletic Bilbao, fait son entrée sous une belle ovation. Ce ne sera pas Toquero qui assénera le coup final au Pérou mais son coéquipier de Bilbao, Susaeta à la 80 ème minute. Score final qui détone, 6-0. Rendez-vous en 2014 pour un prochain On Tour qui promet d’être tout aussi explosif…