Alors que la France a toujours eu du mal à considérer le supporter comme un acteur à part entière du football, depuis quelques mois dans la presse, les sujets touchant aux fans se multiplient. Malheureusement plus souvent pour mettre en avant les actes de violence et les frasques des ultras que pour leur rôle associatif. En pleine crise existentielle du mouvement supporter, un jeune journaliste a effectué un pari osé en publiant un livre consacré au sujet. Lui, c’est Franck Berteau. Disponible et sympathique, il a accepté pour La Grinta de parler de son bouquin, du mouvement ultra en général. Mais pas que…
Bonjour Franck, à titre personnel, qu’est ce qui a motivé l’écriture de ton livre ?
Franck Berteau : Plusieurs choses. Tout d’abord, depuis que je suis journaliste je cherche à sensibiliser sur ce sujet sur lequel j’ai déjà coécrit via différents supports comme So Foot ou encore Le Parisien. Ensuite en tant que passionné de football et amateur des tribunes, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un manque dans la presse à ce niveau-là, et qu’il fallait tenter d’écrire un livre – de manière pédagogique certes – pour décrire ce milieu, ses pratiques, ses codes, ses histoires, ses anecdotes dans telle ou telle ville. J’ai alors pensé à raconter tout cela à travers un dictionnaire, un outil intéressant, pour un lecteur amateur de football mais pas forcément connaisseur du monde des tribunes dans toute sa complexité et sa richesse.
Avais-tu un lien particulier avec les tribunes, ou ce travail résulte-t-il plus classiquement d’une démarche journalistique sur un sujet peu, ou mal exploité par les médias en général ?
F.B. : Il s’agit vraiment une démarche journalistique. Je me suis plongé dans tous les ouvrages qui sont déjà parus sur ce sujet, études, articles de presse, événements précis et j’en passe. Ce livre aurait pu être encore plus dense avec beaucoup plus de définitions ! J’ai réussi à joindre pas mal de groupes ultras français, j’ai aussi assisté à quelques matchs, donc à la base c’est un vrai travail journalistique. Après j’ai eu la chance de fréquenter des stades depuis que je suis tout petit, espace qui m’a toujours fasciné et interpellé par ses ambiances. J’ai donc pu apporter une expertise plus personnelle à ce livre de par mon parcours de passionné de football depuis tout jeune, en rentrant davantage dans le détail. Voilà pour le petit plus en supplément de ces recherches purement journalistiques. Je pense l’avoir fait sans jugement ni complaisance par rapport à ce milieu que j’essaie de raconter de la manière la plus objective possible en parlant à la fois des bons côtés, mais aussi de la violence, telle qu’elle est, et sans prendre parti.
Nicolas Hourcade, Sébastien Louis, Christian Bromberger et Philippe Broussard sont tous connus comme étant de grands spécialistes du sujet. Ce dernier préface d’ailleurs ton livre. Est ce que tu t’es appuyé sur leurs ouvrages pour la rédaction du Dictionnaire des supporters ? As-tu eu l’occasion d’échanger avec eux ?
F.B. : J’ai pu échanger longuement avec Nicolas Hourcade que je connais bien. Le phénomène ultras en Italie de Sébastien Louis je l’ai lu et relu mais malheureusement je n’ai eu aucun contact avec ce dernier. De même avec Christian Bromberger. Pour en revenir à Nicolas Hourcade, c’est quelqu’un avec qui j’ai énormément échangé sur ce livre. Il fait partie des gens qui ont écrit les choses les plus scientifiques, les plus concrètes et les plus intéressantes à ce sujet. En ce qui concerne Philippe Broussard, il a fait un travail d’édition. C’est quelqu’un qui m’a suivi tout au long de la rédaction de ce livre, en me conseillant d’abord, mais aussi dans la relecture de certaines définitions. On peut résumer cela à un travail d’accompagnement, bien sûr en laissant libre court à ce que j’avais envie de faire.
Ton livre a déjà reçu beaucoup d’éloges provenant du monde des tribunes et même des passionnés de football en général, mais une réflexion revient assez souvent : l’absence des Grobari (ndlr : groupe ultra du Partizan de Belgrade). Comment l’expliques-tu ?
F.B. : Effectivement, c’est peut-être un manque. Mais à certains moments j’ai aussi dû faire des choix par rapport à des exigences rédactionnelles. C’est à dire que pour le grand public et un public franco-français, je ne pouvais pas me permettre de trop m’attarder sur l’étranger. Après c’est vrai que j’ai choisi de parler des Delije (ndlr : groupe ultra de l’Etoile Rouge de Belgrade) via lesquels j’évoque les Grobari à travers leur rivalité. J’en parle également lorsque j’évoque Brice Taton (ndlr : supporter du Toulouse FC battu à mort par des membres des Grobari en marge de la rencontre d’Europa League Partizan Belgrade-Toulouse FC en 2009). Maintenant je suis d’accord avec les gens qui pensent que l’absence des Grobari est un tort, j’aurais pu faire une entrée sur eux ou encore une entrée Belgrade. Il y a une part de subjectivité c’est évident, j’ai décidé de procéder comme cela car, encore une fois il fallait faire des choix. Mais je comprends qu’il y ait certains reproches, je les assume.
Entrons dans le vif du sujet. Pour les néophytes, quelle est ta définition du phénomène ultra ? Pour les ultras eux-même, cette notion reste difficile à expliquer, elle résulte d’un ressenti très personnel et peut différer d’une personne à une autre. Être ultra aux origines, c’est à dire au début des années 70 en Italie, qu’est-ce que cela représente selon toi ?
F.B. : (Il hésite) Question assez difficile. Le phénomène ultra pour moi, c’est ce sentiment tout d’un coup d’être passionné par son équipe et de ressentir ce devoir de la soutenir pendant toute la durée d’une rencontre avec des animations à la fois visuelle et vocale. Mais être ultra pour moi, c’est ce phénomène qui fait que d’un coup d’un seul ce soutien à l’équipe est assuré et organisé tout le match, dans la défaite comme dans la victoire. Quand je parle d’organisation, c’est avec des outils qui vont de la bâche du groupe ultra derrière laquelle on chante, à la présence d’un capo qui orchestre les animations, et bien sur des drapeaux, des banderoles et des calicots. C’est vraiment une notion d’organisation du soutien à son équipe tout en ayant ce rôle syndical qui est extrêmement important. Que ce soit à domicile ou à l’extérieur, les ultras sont capables de se porter garant d’une certaine conception de l’histoire de leur club, comme s’ils étaient habités par un rôle. Cela peut aller de la défense d’un logo historique, aux couleurs d’un maillot, des prix des abonnements mais aussi exprimer un mécontentement quand les résultats ne vont pas auprès de la direction. Donc pour résumer je définirais ce phénomène ultra par la capacité d’organisation du soutien et ce rôle associatif qui a pour moi un rôle syndical primordial.
« Le rôle social et syndical des groupes de supporters à tendance ultra est d’une importance capitale »
Alors que la France se prépare à accueillir l’Euro en 2016, beaucoup de personnes s’étonnent du manque total de recul et de justesse dans le traitement du « problème » des supporters. Les interdictions de déplacement notamment, se multiplient comme lors du derby entre l’ASSE et l’OL. À ce titre, comment qualifierais-tu la politique actuelle adoptée par les pouvoirs publics ?
F.B. : Je la qualifierais de trop active en permanence. On préfère agir en amont d’éventuels débordements, d’éventuelles violences par des interdictions de déplacement, par des arrêtés préfectoraux et même par des interdictions administratives de stade. Cette pro-activité est pour moi soit liée à une méconnaissance totale de l’univers des tribunes qui pousse nos autorités à agir sur des faits d’actualités ou des matchs précis. Ou alors à un désintéressement total vis- à-vis de ce sujet. On a tendance à criminaliser l’activité de supporter, les pouvoirs publics et des autorités du football en France ne considérant pas les fans comme des acteurs à part entière du football. À mon sens, cette idée est fausse. Il faut donc essayer de dialoguer. Après on ne peut pas dire que les ultras soient blancs comme neige ,on le sait tous. Donc aujourd’hui au point où on en est, il faut aussi une responsabilisation de ces groupes de supporters. Il faut une prise de conscience qui signifierait parfois de lâcher un peu de lest sur la conception que l’on a au niveau du supportérisme ultra via l’acceptation d’un échange. C’est un véritable enjeu car nous sommes dans un pays où le football n’est pas ancré culturellement dans notre société contrairement à nos voisins italiens ou encore allemands. On a tout intérêt à ce que les deux parties se retrouvent autour d’une table, lâchent un peu de lest et se responsabilisent. Regarde le résultat au jour d’aujourd’hui, radicalisation et dissolution des groupes de supporters, alors que la dissolution est une chose très néfaste. Les associations permettent de catalyser une tribune, les dissoudre c’est le meilleur moyen que ça parte dans tous les sens. L’Allemagne est pour moi un exemple sur ce point, quand tout le monde marche main dans la main ça fonctionne.
Quel sentiment vis-à-vis du cas parisien ? Dissolution des associations, nouvelle politique du club, aucune liberté offerte au « nouveau public » par ailleurs trié de près, liste noire de fans. La liberté d’expression et de circulation est elle un vain mot lorsque l’on est supporter ?
F.B. : La situation à Paris est l’exemple emblématique de ce qui se prépare en France si rien ne change. Moi je ne suis pas anti-plan Leproux de manière aveugle, car on en était arrivé à un point où il fallait faire quelque chose. Qu’on le veuille ou non les mesures qui ont été prises ont ramené le calme et la sérénité autour du stade, car quand il y a mort d’homme, quand deux tribunes s’affrontent, on est obligé d’agir. La situation était vraiment pesante. Le problème c’est qu’on a agi encore une fois de manière radicale sans essayer de comprendre le véritable problème. On a réagi à un événement d’actualité dramatique et on a pris des mesures qui ont eu des dommages collatéraux. Pour quelques centaines de personnes qui posaient des problèmes depuis des années et auxquelles on ne s’était pas forcément intéressé, on a mis en place des abonnements aléatoires. Cela provoque une cassure obligatoire et empêche l’organisation d’un soutien, tout ça parce qu’on est pas capable de faire la part des choses. Au lieu de réagir sur le fond du problème et d’essayer de s’intéresser à ce sujet avec une politique claire, une politique de fond et une politique intelligente on réagit en faisant n’importe quoi. Et à Paris la direction continue à suivre ce plan radical avec cette fameuse liste noire, les interdictions de déplacements, en gros des mesures qui, aujourd’hui sont disproportionnées. D’ailleurs la CNIL et même les Droits de l’Homme ont surenchéri en affirmant qu’il y avait des problèmes avec ces décisions qui bafouent des libertés individuelles et collectives.
Plus généralement, être ultra, eu égard de la philosophie originelle a -t-il encore encore un sens aujourd’hui en 2013 ? Le refus du foot-business, de la financiarisation du ballon, du marchandising, de la hausse du prix des billets, l’attachement à des joueurs censés représentés le club, les relations avec les dirigeants, tout ça aujourd’hui n’existe peu ou plus. La cohérence, concept si cher au groupes ultra à l’origine, est elle encore respectée ?
F.B. : (Il reste quelques secondes silencieux) Oui et non. Je pense que la base du mouvement ultra est un soutien indéfectible à son équipe. Donc oui il y a de la cohérence car cela existe toujours. Même si aujourd’hui l’amour du maillot de la part des joueurs se fait de plus en plus rare, même avec ce business qui gangrène le football, l’ultra lui adule son club, son maillot et sa ville. Beaucoup moins les joueurs, les dirigeants qui eux ne font que passer alors que les supporters seront toujours là. Après le mouvement ultra est obligé de s’adapter car ces supporters apparaissent un peu comme les derniers utopistes au milieu de tout ça. Mais encore une fois leur rôle est indispensable car je trouve beau d’avoir toujours aujourd’hui des passionnés de l’histoire de leur club, de l’attachement des joueurs à leur maillot et surtout des gens capables d’alerter sur le côté populaire du football, des prix des abonnements et j’en passe. Donc en fait je conclurai sur cette question en affirmant qu’il n’y pas de manque de cohérence chez les ultras.
Tu t’es aussi intéressé au sujet dans les pays étrangers, en Italie notamment, berceau de la culture ultra. Quel état des lieux fais-tu du phénomène là-bas ? Désertification des stades, hausse des phénomènes de violence, tout ça alors que la répression n’a jamais été aussi forte, quelles conclusions finalement ?
F.B. : Il y a un contexte différent en Italie par rapport à la France. Le mouvement a émergé là-bas à une époque d’extrême tension politique ce qui a fait que beaucoup de groupuscules très politisés ont intégré le mouvement ultra. Cela a entraîné de la politique dans les stades mais aussi de la violence qui n’a rien à voir avec ce que l’on connait en France. Autre élément à prendre en compte, il y a beaucoup plus de rivalité exacerbées. En France, nous n’avons pas de derby dans la même ville alors qu’en Italie c’est monnaie courante, ce qui induit des enjeux politiques et culturels encore plus fort. Sans compter la rivalité entre le Nord et le Sud du pays. Ensuite au vu de l’âge qu’a le phénomène ultra en Italie, ce dernier a eu aussi le temps de s’essouffler. En plus, le souci c’est qu’aux yeux des gens c’est un phénomène qui a toujours été vu comme sulfureux. Donc tout cela mis bout à bout, on en arrive à cette situation très complexe aujourd’hui en Italie. Si on ajoute à ça la vétusté des stades, le Calciopoli et tous les scandales sportifs qu’a connu la Botte et bien ça donne un mouvement très à vif, beaucoup moins organisé et en perte de vitesse. Sans parler de la « tessera del tifoso » qui a rajouté des éléments de tension, même des fois entre groupes où il y a eu des débats pour savoir comment la vivre et l’assumer.
Enfin, l’un de nombreux reproches fait par les ultras aux médias, c’est le sensationnalisme dans le traitement de l’actualité les concernant. Concrètement, on en parle en mal, jamais en bien. Pourtant, les actions et gestes louables de leurs parts sont nombreux, voire même uniques pour certains dans nos sociétés occidentales. Alors, pour finir sur une note positive, qu’as tu envie de mettre en avant dans cette culture, et comment expliquer aux gens extérieurs au phénomène – qui plus est en France où l’intérêt pour le sujet est mince – , l’importance de cette catégorie de supporters ?
F.B. : Au-delà de tout ce qui a été dit lors de cette interview, je veux mettre en avant ce soutien permanent à l’équipe qui est une chose positive et non négative. Ensuite le rôle social et syndical de ces associations de groupe de supporters est pour moi une chose primordiale. Un groupe ultra ce n’est pas seulement 90 minutes au stade, c’est aussi une vie sociale la semaine au local pour partager beaucoup de choses. Un lieu où l’on remet même parfois des jeunes dans le droit chemin avec une participation à la confection des drapeaux et des tifos. Quand tu vois en Italie des groupes organiser des colonies de vacances pour des jeunes, c’est incroyable. Au-delà du rôle associatif pour le club, les ultras sont aussi très attachés à leur ville. Ainsi, c’est souvent que l’on voit fleurir des actions très charitables pas seulement au stade mais plus généralement dans les villes. Et à mon sens, la chose la plus importante à mettre en avant dans cette culture c’est sans aucun doute ce rôle social trop peu expliqué.
Franck Berteau « Le dictionnaire des supporters. Côté tribunes » (Stock)
Propos recueillis par Bastien Poupat avec Thibaut V.
Ici le passage de Franck Berteau chez nos partenaires de Liberté Pour les Auditeurs :