À l’heure où les supporters historiques du Paris Saint-Germain sont pointés du doigt depuis la dissolution des associations en 2010, des avocats luttent pour défendre les droits de ces fans. C’est le cas de Me Pierre Barthélemy qui se confie sur la situation juridique de ses clients mais également sur les raisons de son engagement.
Me Pierre Barthélemy, vous êtes l’avocat de supporters parisiens mais également vous-même fan du PSG et ex-abonné du Parc des Princes, c’est bien ça ?
P.B. : Je suis effectivement l’avocat de supporters parisiens dont certains sont d’anciens abonnés du Parc des Princes. Supporter du Paris Saint-Germain, j’ai eu l’occasion de beaucoup fréquenter le Parc entre 1996 et 2010, avec un premier abonnement en 2001-2002 à l’âge de 15 ans.
Vous êtes notamment l’avocat d’anciens ultras. Aujourd’hui, qu’est-ce que la justice reproche à ces supporters ?
P.B. : Certains de mes clients ont, en effet, appartenu à des associations de supporters qui ont animé les virages du Parc des Princes jusqu’en 2010. Aujourd’hui, la justice, en elle-même, ne reproche rien à ces supporters. D’une part, elle n’intervient que lorsque les pouvoirs publics ou ces supporters la sollicitent afin de trancher un litige. Jusqu’en 2010, il s’agissait notamment des décrets de dissolution de certaines associations dites « ultras ». Depuis, les supporters saisissent régulièrement les tribunaux pour demander l’annulation de mesures individuelles d’interdictions administratives de stade (par exemple, pour avoir porté l’écharpe d’une association dissoute), le retrait d’arrêtés restreignant leur droit à se déplacer, la destruction de fichiers illégaux les « blacklistant » (grâce aux travaux de Me Cyril Dubois, un confrère compétent et impliqué sur ces questions) ou encore la condamnation des clubs refusant de leur laisser accès à leur billetterie. Ce sont le type de dossiers sur lesquels il m’arrive d’intervenir.
D’autre part, elle intervient lorsque ces supporters sont accusés d’avoir commis des faits répréhensibles pouvant donner lieu à l’application de sanctions pénales (amendes, peines de prison, interdictions judiciaires de stade). C’est ce qui arrive lorsqu’un supporter est arrêté pour des faits de violence, d’usage de fumigènes, de consommation exagérée d’alcool… Il passe devant un tribunal qui, après avoir écouté les réquisitions du ministère public et les arguments en défense du supporter, choisit de le relaxer ou de le condamner. Ces dossiers de pure technique pénale ne sont pas de ma compétence.
Il faut noter que vous défendez vos clients bénévolement, c’est important pour vous ?
P.B. : En tant qu’avocat, je considère qu’il fait partie de mes devoirs d’aider les justiciables à faire valoir utilement leurs droits lorsque ces derniers en expriment le besoin. C’est une question de principe. De surcroît, en tant que supporter parisien, habitué des virages (même si je n’ai jamais appartenu à une association de supporters et n’ai fait que côtoyer le supportérisme dit « ultra »), je me sens redevable de ces supporters qui ont sacrifié des semaines, des salaires et des cordes vocales pour faire du Parc des Princes un réel élément de communion sportive. Quand on a suivi le Paris Saint-Germain durant les années 2000, le spectacle sur le terrain n’était pas toujours source de bonheur intense pour ses supporters. Mais ces « ultras » ont continué à consentir des sacrifices pour encourager leur équipe (malgré, chez eux aussi, des épisodes de grève ou de déception massivement exprimée) et pour ma part la venue au stade est toujours aussi émouvante et palpitante : les tifos, les chants, les explosions de joie, la simple communion après un but avec un mec que l’on ne connaît pas, le partage d’une profonde déception après une nouvelle défaite contre Sochaux…
Pour toutes ces raisons, je pense que c’est le minimum que d’offrir à ces supporters méritants (je me refuse à défendre bénévolement ceux dont le comportement est répréhensible et donc néfaste pour l’image du supportérisme « ultra ») le soutien qu’ils m’ont offert quand je subissais une défaite contre Sedan à -5°C un mercredi soir de janvier la veille d’un examen de maths.
Vous êtes à l’origine de recours en justice contre les arrêtés préfectoraux jugés « liberticides », quelles ont été les décisions de justice ?
P.B. : En effet, j’ai eu à porter en justice, pour certains supporters, la contestation d’arrêtés restreignant leur droit à se déplacer pour suivre leur équipe de cœur. Jusqu’au mois d’octobre dernier, les juges administratifs se bornaient à refuser de se prononcer sur le fond au motif que la liberté de se rendre au stade n’est pas une liberté fondamentale mais un loisir. Or, pour mettre en œuvre la procédure dédiée, le référé-liberté permettant d’avoir une décision en 48 heures, il faut démontrer l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Mais suite à l’interdiction de déplacement des supporters lyonnais à Saint-Etienne, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’il n’est pas possible d’interdire l’accès aux stades aux personnes, même munies de billets, appartenant à une association de supporters, ayant appartenu à une association de supporters dissoute ou ayant été susceptibles d’y appartenir alors même qu’elles ne se prévaudraient pas de la qualité de supporter et ne se comporteraient pas comme tel. Il juge que cette interdiction, qui se fonde exclusivement sur une appartenance présente ou passée à une association sans tenir compte du comportement des intéressés, excède manifestement ce qui est nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public.
« Il est normal que la CNIL mette un terme à la mise en demeure du PSG »
Aujourd’hui, peut-on se poser la question si le dossier d’un ultra est traité indifféremment par la justice ?
P.B. : Rien ne permet de dire aujourd’hui que les « ultras » bénéficient devant la justice d’un traitement différent de celui de tout autre justiciable. De mon expérience, la justice applique les mêmes raisonnements et jurisprudences avec mes clients supporters et mes autres clients. En revanche, il est possible de s’interroger sur la réalité d’une plus grande inclinaison des pouvoirs publics à prendre des mesures coercitives ou de sanction à l’encontre des supporters « ultras » qu’à l’encontre des autres supporters ou simples individus pour des faits similaires ou dans des situations identiques.
Quel est l’état d’esprit de vos clients, après un sentiment de trahison de leur club de cœur ?
P.B. : En tant qu’avocat, je ne suis que le conseil juridique de mes clients. Je n’évoque que peu ce genre de questions affectives ou sportives avec eux. Néanmoins, il ne me semble pas qu’ils parlent de trahison. Il semble qu’ils aiment toujours leur club profondément, mais qu’ils expriment un désaccord avec une partie de la politique commerciale des dirigeants actuels.
Récemment la CNIL a pris la décision de clôturer la mise en demeure du PSG suite à une liste noire de supporters. Concrètement, comment le PSG s’est sorti de cette situation ?
P.B. : Cette décision est parfaitement cohérente. La CNIL a mis en demeure le Paris Saint-Germain de lui soumettre, pour autorisation, les listes dont il a constaté l’existence dans leurs locaux. Maintenant que le club a déposé les demandes d’autorisation sollicitées, il est normal que la CNIL mette un terme à cette mise en demeure. Celle-ci va désormais se prononcer sur la légalité de la constitution de ces listes et sur l’opportunité de prononcer des sanctions contre le club qui les a longuement utilisées sans avoir respecté les règles afférentes. C’est la procédure de mise en demeure qui est close. En aucun cas celle de la légalité de ces listes.
À l’heure actuelle, la direction du club parisien semble choisir son public. Un avis en tant qu’avocat mais également supporter ?
P.B. : En tant qu’avocat, je ne trouve rien à redire au fait qu’un club restreigne les conditions générales de vente de sa billetterie tant qu’il le fait en respectant le droit (pas de clauses abusives, pas de clauses illégalement discriminatoires…) et tant qu’il les applique uniformément pour chaque supporter. En tant que supporter, je trouve dommage que ces nouvelles conditions générales de vente et que le nouveau règlement intérieur du Parc des Princes n’aient pas été l’objet, au préalable, d’une discussion avec tous les protagonistes, dont les supporters. Je suis convaincu que la force d’un club, c’est de savoir promouvoir le vivre ensemble avec ses supporters. Ce qui n’est pas nécessairement antinomique d’une optimisation des recettes commerciales et d’un contrôle minimum sur les comportements à observer en tribune.
Propos recueillis par Benoit Taix