Samedi soir, sur les coups de 17 heures en plat principal, la troisième journée de Ligue 1 nous offre un duel à couteaux tirés entre Valenciennes et l’Olympique de Marseille. Deux noms marqués du sceau de l’histoire, la faute à un passé commun sous des tréfonds de corruption. Le genre de gamelle qu’on aimerait enterrer profondément des deux côtés. Dommage, l’antagonisme demeure, et l’histoire fait toujours parler les mauvaises langues. VA-OM : ils se détestent.
20 mai 1993. L’OM, quadruple champion de France en titre vient de se défaire de Valenciennes par le plus petit des écarts. Le cinquième titre est en marche, la finale de Munich se profile, la France du foot n’a d’yeux que pour la belle phocéenne, et pourtant… Deux jours après la rencontre, des membres du club valenciennois accusent l’OM de tentative de corruption. Ce qui ne semble être au départ qu’une vaste fumisterie prend progressivement corps. Quelques semaines plus tard, les soupçons se transformeront finalement en preuves, les accusations en réalités, les destins futurs des deux clubs en enfer : l’histoire commune VA-OM était née, la haine qui va avec également.
Une rivalité à dominance nordiste
Pourtant, à y regarder de plus près, cette antipathie commune est vécue à des degrés différents de part et d’autre. Oui, paradoxalement malgré « l’affaire », à l’inverse des rivalités avec Saint-Etienne, Paris ou Bordeaux, l’antagonisme entre l’OM et Valenciennes demeure de nos jours en fait assez surestimé. Disons que tout est histoire de point de vue. Côté marseillais, le club nordiste ne représente finalement que l’acteur secondaire (ou accessoire) d’un drame pipé d’avance, au cours duquel se seront soulagés moult et moult acteurs du foot français, et nombre d’hommes de haut rang en vue d’éliminer un individu gênant : Bernard Tapie. Aussi, à l’époque, les ressentiments provençaux se sont davantage cristallisés sur la capitale et ses institutions, ou encore sur les prétendus traîtres (type Bernès, ayant lâchement abandonné Nanard), mais aussi et surtout sur la Ligue de Football Professionnel et son homme fort, Noël Le Graët. L’actuel président de la FFF refusera même conjointement avec la DNCG et malgré sa promotion obtenue sur le terrain, la remontée de l’OM en D1 en 95, injustice suprême aux yeux des amoureux du club. Avec le temps, la relation vis-à-vis de Valenciennes s’est même, du côté des supporters olympiens muée en une forme de condescendance face aux fans adverses s’estimant être les « victimes » collatérales d’une machination fomentée par le « démoniaque » Tapie. Bah ouais, dans la cité phocéenne, l’avis sur l’identité de la victime diverge fortement. Bref, vous l’aurez compris, un déplacement à Valenciennes pour un supporter marseillais – si l’on excepte l’année des retrouvailles entre les deux clubs – ne représente guère beaucoup plus qu’un banal déplacement à Brest, Auxerre ou Lille, le lourd historique en plus évidemment.
Pour les supporters de Valenciennes, l’affaire revêt un caractère bien différent. Rappelons les faits. A l’issue de la saison durant laquelle s’est jouée le scandale, VA est relégué sportivement en seconde division pour un point. Rageant, d’autant plus que le résultat de la partie retour les opposant à l’OM n’a jamais été attribué. Pris dans le tourbillon d’une affaire dont il ne maîtrisait rien, le club s’enfonce. Outre l’ambiance délétère dans laquelle les nordistes évoluent, les difficultés sportives entraînent en définitive un dépôt de bilan vécu comme un véritable drame mêlé à un sentiment d’injustice. Nous sommes en 1999, et l’OM joue alors la finale de la Coupe UEFA. Inévitablement, Marseille et son club, depuis revenu vers les sommets catalysent tous les ressentiments nordistes, n’attisant qu’un peu plus les braises en vue de futures retrouvailles… Celles-ci auront lieu en mai 2007 à Nungesser.
Chaudes retrouvailles
VA-OM est rapidement classé à hauts risques par les autorités. Les jours précédant le match, certaines rumeurs font état d’une rencontre entre supporters des deux camps dans la matinée. D’autres bruits évoquent la présence de gars de La Louvière ou d’Utrecht côté nordiste, afin de donner un coup de main et réserver un accueil disons, musclé aux groupes marseillais. Finalement, rien d’aussi organisé. Il n’empêche que quelques comptes seront quand même réglés. A l’époque, les virages marseillais bien qu’aux prémices de la crise du supporteurisme organisé telle que connue aujourd’hui, sont encore puissants. Aussi, les Sudistes s’organisent massivement afin d’être présents au rendez-vous et, rappeler si le besoin s’en faisait sentir, qui est le patron. Ainsi, des rixes – non planifiées – à l’initiative des Valenciennois opposeront fans des deux clubs, le contact est réel, les Sudistes plus nombreux prendront le dessus. Néanmoins, les forces de l’ordre veillent et disperseront rapidement tout ce petit monde via un bon gazage de lacrymo’ à l’ancienne. Les Olympiens – après avoir constitué un cortège qui fera forte impression en ville – en profitent alors pour s’approprier les abords du stade notamment via le squat des bars jonchant les alentours de Nungesser, signe de défiance évident pour les locaux. Plus tard dans la soirée, d’autres incidents éclateront. Les fans phocéens notamment se retrouveront parqués plusieurs heures durant sur un parking en plein soleil, sans eau ni sanitaire, goûtant très amèrement et gratuitement aux matraques et autres gaz lacrymogènes des CRS, inquiets de voir s’agglutiner les Valenciennois autour de la cage marseillaise. Cet épisode largement déformé fera d’ailleurs quelques mois plus tard, les choux gras du magazine « Enquête Exclusive » de M6, émission toujours prompte à discréditer via quelques raccourcis grossiers – et grotesques – la culture ultra comme encore tout récemment. Le match offrira lui en tribune une belle opposition. Chants constants, gestuelles reprises par toute la zone, les Mars’ font le boulot dans un parcage à l’ancienne de bric et de broc digne de l’ex-Yougoslavie, plusieurs filets de sécurité peu solides en feront les frais. Les Valenciennois eux, assurent comme souvent à domicile, bien emmené par le bloc Dragons-ultras Roisters, ces derniers se payant même un petit plaisir via une banderole : « Le foot est né en Angleterre, la corruption à Marseille ». La partie se terminera sur un score de parité, 0-0. Au final, la sortie des supporters marseillais, sera houleuse. Plusieurs embuscades (jets de pierre au autres), au sortir de la ville seront organisées par des gars sans rapport avec les tribunes de Nungesser.
Un antagonisme qui tend à s’estomper
Sportivement parlant, les saisons suivantes, les Valenciennois vengeront les plaies du passé à plusieurs reprises. En 2009-2010 et 2010-2011 notamment (3-2) mais aussi et surtout l’an dernier avec un 4-1 – hommage poétique oblige – bien senti. Seulement depuis 2007, la situation a beaucoup évolué. Le contexte explosif de l’époque a laissé place progressivement à une forme d’indifférence. L’enfer promis aux Marseillais au moment de la remontée parmi l’élite des Nordistes avait en quelque sorte, facilité la mobilisation des forces provençales à plus de 1000 kilomètres de leur base pour ce déplacement. Aujourd’hui ce n’est plus vraiment le cas, et la rivalité VA/OM tend à disparaître. Il faut dire que la composition des groupes marseillais en elle-même a pas mal évolué. Les bus en provenance de la cité phocéenne sont de moins en moins remplis, et la relève n’est pas vraiment assurée avec des noyaux qui fondent à vue d’œil – la transmission des codes propres à la tifoseria sudiste n’est de fait plus vraiment assurée. Aussi, les parcages marseillais dans le nord de la France sont, dorénavant majoritairement peuplés par les sections des groupes. Les Dodgers en possèdent plusieurs dans l’est et le nord, les Yankee également, tandis que le Commando Ultra en compte un bon nombre dans tout le quart nord-ouest du pays où l’OM reste extrêmement populaire. Conséquence directe, l’opposition nord/sud est un peu biaisée, voire carrément inexistante, et les particularismes voués à s’effacer. Bref, le tout perd de son charme. Il y eut bien quelques moments chauds ces dernières années – un bus de supporters valenciennois attaqué sur une aire de repos par exemple – mais il s’agissait là d’actes d’individus isolés, pas de membres de groupes marseillais. L’an dernier, également, des incidents ont éclaté, mais ils opposaient davantage forces de l’ordre à fleur de peau et fans provençaux – qui par ailleurs se déplaçaient sans problème majeur autour de la nouvelle enceinte rouge et blanche au milieu des locaux, chose impensable à Saint-Etienne à titre de comparaison.
Bref, ce samedi, tension il y aura bien aux alentours du stade du Hainaut. Pas aussi intense que lors de la première rencontre officielle entre les deux équipes depuis « l’affaire » certes, mais suffisamment évocatrice de souvenirs pour piquer la curiosité des amateurs, et donner l’envie d’admirer le spectacle des tribunes. Parce que derrière l’indifférence, perdre à Valenciennes pour un Marseillais, c’est un peu se manger le passé en pleine face, là où, un jour de mai 93, le destin du club a définitivement basculé. Alors que pour les Valenciennois, l’enjeu est avant tout de venger, encore et encore ce statut tant détesté d’acteur involontaire du plus gros scandale de l’histoire du foot français.
Ouais parce qu’après tout, se taper l’OM, juste comme ça, pour le plaisir et en souvenir du passé, ça réconforte toujours un peu…