En Italie, la tessera del tifoso a fait couler beaucoup d’encre. Alors que les résultats en termes de sécurité sont contestables, les effets sur les parcages, eux, sont désastreux. Toutefois, l’espoir de revoir les « settore ospiti » (parcage visiteurs) remplis revient grâce à une nouvelle carte lancée par quelques clubs.
La tessera del tifoso, c’est cette « carte du supporter » introduite lors de la saison 2009-2010 et rendue obligatoire pour les déplacements en janvier 2010, censée être la réponse à la violence et l’insécurité dans le football italien. C’est le ministre de l’Intérieur berlusconien, Roberto Maroni, qui en est à l’origine. Outre pour les déplacements, la tessera del tifoso est également indispensable pour prendre un abonnement. Evidemment, celle-ci permet aux autorités un contrôle (pour ne pas dire un véritable fichage) des supporters. Le service « questura online » permet aux clubs de vérifier en temps réel si les demandeurs de la carte ont fait l’objet de condamnation, et auquel cas refuser d’en faire des tesserati. Si l’initiative peut paraître excellente pour lutter contre la violence, elle a été très contestée par les principales tifoserie qui refusent de s’encarter pour plusieurs raisons. D’abord, l’obligation vient du ministère de l’Intérieur et non de la Lega. Une sacré différence dans un pays en crise qui rejette ses politiques et un milieu qui n’apprécie guère les autorités. D’autre part, le précieux sésame est payant. Parfois 10 euros, parfois plus selon les clubs. Un argument supplémentaire pour les opposants au calcio moderno qui dénoncent un impôt déguisé.
La tessera est différente de la « supporter card » d’autres pays européens en ce sens qu’elle ne fournit pas de billet nominatif et qu’elle prévoit un système de récompense des supporters les plus fidèles à l’extérieur en leur accordant la priorité pour acheter les billets. Il y a aussi eu un problème de violation de la vie privée dont les formulaires des clubs ne précisent pas que les informations sont transmises à la Questura (une office du ministère de l’Intérieur), aux banques et à des réseaux de paiement puisque la plupart du temps elle comprend une souscription à une véritable carte de crédit. De plus, il faut souvent des mois pour l’obtenir.
Là où la vérification du passif des supporters perd son bienfondé, c’est lorsque’un daspo (divieto di acedere alle manifestazione sportive, l’équivalent italien de l’IDS, interdiction de stade) ou une personne qui a commis une infraction dans un stade, a purgé sa peine, il est empêché à vie de voir son équipe de cœur ! La “Legge Amato” (artt. 8 e 9 della legge 04/01/2007) est assez injuste. Par exemple, un meurtrier qui a purgé sa peine pourrait accéder à ces droits acquis de toujours –à juste titre- tandis qu’un simple supporter condamné pour avoir célébré un but avec un fumigène est écarté à vie. Depuis, l’Osservatorio sulle manifestazione sportive a révisé ce point précis en raison des protestations des supporters. Une modification relative puisque les personnes sous le coup d’un daspo ou de condamnations liées à une manifestation sportive ne pourront posséder un titre d’accès au stade pour une durée de 5 ans même pour une condamnation en première instance (donc de quelqu’un qui pourrait être blanchi par la suite…) !
La tessera en partie responsable de la désertion des stades
Pour toutes ces raisons, les ultras et une bonne partie d’indépendants écoeurés ont décidé ne pas renouveler leur abonnement et de déserter les parcages à l’extérieur depuis cette fameuse tessera del tifoso. Tout ne s’explique pas par la crise qui frappe le pays, aussi grande soit-elle. Idem pour ceux qui usent et abusent du « déclin du calcio » pour expliquer les maux du football italien.
J’ai volontairement choisi l’exemple le plus grossier. Lors du match entre la Sampdoria et l’Udinese du 11 décembre 2012, un seul tifoso frioulan était présent dans le settore ospiti (voir photo). Exemple grossier, parce que certains répliqueront que l’Udinese est probablement l’exception qui confirme la règle de la passion des stades italiens. Certes, mais ce courageux supporter qui a fait marrer la Botte entière a eu des déclarations lourdes de sens. Travaillant dans le coin, Arrigo Brovedani a expliqué à Udinetoday.it : « Je n’avais pas la tessera del tifoso. A dire vrai, je ne voulais néanmoins pas l’avoir. Mais cette fois, j’ai été contraint. Une fois arrivé sur place, j’ai découvert que j’étais le seul supporter présent ! ». Il a eu le droit à un maillot de la Samp en récompense de sa fidélité. Si l’histoire est plutôt drôle parce que l’Udinese ne déchaîne pas les foules, Brovedani a tout de même souligné un point important : il a été contraint d’être “tesserato” pour voir son équipe en déplacement. Sous-entendu : il n’aurait sans doute pas été seul dans le parcage sans cette mesure. C’est simple, pas besoin d’être un génie pour savoir que l’ultra se déplace davantage que n’importe quel autre supporter. C’est dans la culture du mouvement, tout simplement.
Or ce sont les premiers à rejeter cette tessera del tifoso. Il y a même une défiance symbolique. Comme si posséder la carte ferait du détenteur un complice du football moderne, un acte honteux en somme. A ce jeu là, quelques supporters ont chambré leurs adversaires avec des banderoles. Comme la Lazio lors du derby de Rome en avril. Des collectifs se sont crées, tels que « La Palermo non tesserata » un peu partout en Italie. Un espoir subsiste toutefois de revoir les parcages visiteurs peuplés même si quelques contestataires sont loin d’être convaincus.
Les cartes des clubs, solution intermédiaire ?
Face à la forte baisse des abonnements, quelques clubs ont lancé leur propre carte. Appelée le plus souvent voucher, l’AS Roma a été la première à en lancer une sous le nom de « AS Roma Club Home » avec les mêmes exigences que la tessera del tifoso. Sauf que celle-ci n’émane pas du ministère de l’Intérieur. D’ailleurs, la Roma qui avait atteint son plus bas niveau d’abonnements lors de la saison 201/2012 a enregistré 7000 abonnements en plus lors de la saison 2012/2013. « Niente effetto Zeman » comme diraient les Italiens. Les abonnements en Curva Sud affichent complet pour la première fois depuis deux saisons ! D’où l’ardeur -notamment- des Laziali. Plusieurs autres clubs ont lancé leur voucher avec les exigences de sécurité mais bénéficiant d’un regain d’enthousiasme de la part des tifosi. Une autre carte a été créée par la Roma pour les déplacements : « l’away card ».
Les avantages sont plus nombreux. Cette carte n’est pas associée à des systèmes de paiement, pas de système de traçabilité à distance et elle n’est également pas liée à la tessera del tifoso (les informations vont directement dans la base de données du club) et surtout, elle est aussi rapide à obtenir qu’un billet. Ce compromis, est « le meilleur qui pouvait être obtenu » estime Lorenzo Contucci, avocat en tête de file des combats judiciaires en faveur des tifosi, dans une interview à playbologna.it. Toutefois, ce n’est pas suffisant pour le collectif de Palermitains qui « au contraire de beaucoup de groupes ultras » ne cèdent pas et continuent « la lutte contre la répression » d’après leur communiqué. Une position inflexible qui ne reflète pas le sentiment d’une bataille gagnée par les supporters. La Fiorentina a imité la Roma, et ces derniers jours, Bologne et Naples ont fait de même. La voie est clairement prise en faveur d’un retour à des parcages animées. Même si pour Contucci, la tessera del tifoso ne « sera jamais complètement supprimée ». L’Osservatorio a même envisagé une suspension de l’away card, auquel cas l’avocat a répondu dans la même interview : « dans éventualité où cela arriverait, nous serions prêts à une class action ».
Le seul point noir qui demeure reste ce fameux article 9 de la Legge Amato. Le plus dur à changer. La première bataille a été gagnée, pourquoi pas bientôt la guerre ? Et revoir ainsi, des parcages (et des stades) remplis en Italie.
Pour ceux qui souhaitent approfondir encore plus le sujet. Tessera del tifoso e voucher : Storia, criticà, suggerimenti – Lorenzo Contucci