Bilan du championnat argentin qui vient de se terminer le week-end dernier. Sur le terrain il y a eu de très belles choses avec les Newell’s Old Boys qui ont été sacrés champions, et des événements plus tristes avec l’Independiente qui a été relégué pour la première fois de son histoire. Hélas, cette saison a surtout été marquée par des drames en dehors du rectangle vert. En effet, depuis quelques temps la violence a repris le dessus dans les stades en Argentine où à chaque match les tribunes font les gros titres. Que ce soit les grands clubs comme River Plate et Boca Juniors, en passant par les plus petits comme Lanus, Quilmes ou encore Colon, personne n’est épargné ! Cela, l’Argentine le doit aux Barras Bravas, groupes de « supporteurs » implantés solidement au cœur des « populares » (virages) dans tous les stades du pays. Véritables mafias organisées, les barras se distinguent en associant argent, trafics, menaces et violence avec le football…
Dans un pays où le football est bien plus qu’un simple sport et où huit personnes sur dix se disent sympathisants d’un club, la passion et la ferveur sont bien évidemment au rendez-vous. Parfois trop, lorsque la violence prend le dessus. Cette triste facette du foot argentin ne date pas d’hier. La première personne qui a trouvé la mort à cause du foot remonte au 30 juillet 1922 suite à une chute d’une tribune. Depuis, la liste s’est alourdie, beaucoup trop même. Le plus grand drame du football argentin remonte, lui, au 23 juin 1968 et avait fait 71 morts. Cette journée sanglante de la « Porte 12 » avait eu lieu lors du « Superclasico » entre les deux ennemis Boca Juniors et River Plate. Suite à un match nul et vierge, les supporteurs de Boca sortaient de la « Puerta 12 » du stade Monumental de River. Pour sortir de cette tribune, il fallait descendre de nombreuses marches. Pour une raison qui reste encore inconnue aujourd’hui, la porte qui séparait le stade de la rue n’était pas ouverte. Les visiteurs désireux de sortir continuaient à pousser. Ce qui a provoqué un phénomène de masse incontrôlable pour une issue que l’Argentine n’oubliera jamais. Depuis le début des années 2000, plus de 80 personnes sont décédées dans des circonstances liées au football. Cette saison n’a pas échappé à cette triste réalité. A Tigre et même au niveau inférieur au Gimnasia la Plata, deux hommes ont succombé à de violentes rixes entre Barras du même club. Le dernier en date est un supporteur de Lanus, lui aussi en raison d’un affrontement entre deux factions de la Barras Bravas. Julio Humberto Grondona, président de la fédération argentine de football depuis plus de 34 ans, enregistre un lourd bilan de plus de 170 morts sous son mandat. Peut-il aujourd’hui vraiment changer les choses ? Une mesure radicale a été prise par l’AFA (Fédération Argentine de Football) suite au décès du supporteur de Lanus pour la fin de saison. Celle-ci interdisait tout déplacement des supporteurs visiteurs, solution qui en Europe n’a jamais fonctionné et qui est loin d’avoir l’effet escompté en Argentine. Pour preuve, lors du dernier match de la saison Boca Juniors devait se rendre à Mendoza chez le club de Godoy Cruz, les supporteurs « Xeneizes » ont été plus de 2000 a faire le long voyage et à rentrer dans le stade encourager les leurs… Cette mesure s’apparentait plus à un coup d’épée dans l’eau pour calmer les médias et les observateurs à la recherche d’un remède plutôt qu’une véritable guerre déclarée aux Barras Bravas. En effet, si ce phénomène existe aujourd’hui c’est en grande partie dû aux dirigeants…
Une complicité avec les plus hautes instances
La création des Barras Bravas est surtout à attribuer à quelques présidents de clubs prêts à tout pour triompher lors des élections internes. Déterminés à gagner par n’importe quelle manière, ces derniers ont donné beaucoup de pouvoir aux Barras en leur offrant carte blanche. Gestions des tickets et des places de parkings, recettes des ventes de boissons ambulantes, ventes de drogues en tribunes et même de coquettes sommes d’argent en fin de mois pour certains leaders… Ces groupes de «supporteurs» réclament même de l’argent aux joueurs et entraîneurs, soi-disant pour aller encourager l’équipe lors de ses déplacements, pour la conception de banderoles ou pour tout type d’aides de ce genre. On est à des années-lumières d’un football populaire que l’on aime tant… Mais une fois que tout ce petit monde s’est implanté, ce business est devenu incontrôlable. Les Barras Bravas sont de véritables mercenaires, sans aucune conscience politique, enfin sauf quand il s’agit de parler argent. Pour exemple lors de la dernière dictature militaire, la barra du club de Quilmes était l’une des milices du pouvoir. A la fin de la période, le leader de cette barra avait même eu comme mission de se rendre au Mondial espagnol de 1982 pour faire taire les exilés argentins. Beaucoup de médias et de personnalités se lamentent de cette situation mais pas grand-monde essaye d’y remédier. «J’ai pu voir au fur et à mesure des années à quel point les barras se sont installées, occupant de plus en plus de place dans les tribunes, dans les clubs et dans la société en général, a noté Fabian Casas, écrivain argentin et supporter de San Lorenzo depuis son enfance. Si on veut, en deux minutes, on fait disparaître tout ça. Tout le monde sait comment ça marche. Sauf qu’en désarmant les barras bravas, on ferait tomber trop de monde dans le milieu de la politique, d’où l’impasse actuelle.» Un seul club essaye de lutter contre ce fléau, l’Independiente. Mais son président Javier Cantero, dont nous vous avions déjà rapporté le combat, se sent seul, trop seul. Cet homme qui reconnait être «menacé de mort et en danger» a pu vérifier ses dires lors de la dernière assemblée générale du club lorsque une trentaine de Barras n’ont pas hésité à rentrer, tout casser et balancer tout ce qu’il leur passait par la main sur le dirigeant. Évacué par la police, Cantero a confirmé qu’il ne lâcherait pas son combat. La première saison de l’histoire du club en deuxième division s’annonce très tendue. Autre grand épisode de la saison à mettre à l’actif des Barras Bravas, c’est celui de la « Doce » de Boca Juniors. Mauro Martin, le leader de la « Doce » et Maximiliano Mazzaro, le numéro deux, sont accusés de meurtre. Si le premier a été arrêté, le second court toujours. Pablo Migliore, gardien du club de San Lorenzo (rival de Boca), ancien joueur et supporteur de Boca et très proche des chefs de la barra, a à son tour été arrêté, en plein stade, le 31 mars dernier. Motif : accusé d’avoir aidé Mazzaro à fuir, ce qu’il a reconnu… Un bordel sans nom où même le président de Boca Juniors, Daniel Angelici, a été aussi auditionné dans cette affaire de «délit d’association illégale». Économiquement aujourd’hui les clubs argentins sont au bord du gouffre, un gâchis quand on sait tout l’argent qui a tendance à partir dans la nature… Et surtout quand on sait que l’Argentine fait partie des leaders mondiaux dans l’exportation des joueurs de foot.
Joueurs, dirigeants et supporteurs sous pression
«Il faut lutter pour être payé en temps et en heure, résister à la pression constante des barras bravas, ce n’est plus seulement jouer, disputer un match, gagner et t’en aller. Tu as cinq ou six fronts différents. Les conditions ne sont pas réunies pour qu’un joueur ne pense qu’à jouer au football.» Les mots de Gerardo Martino, entraîneur des Newells Old Boys (Champion d’Argentine en titre) et ex-sélectionneur du Paraguay, sont assez éloquents. En plus des privilèges déjà évoqués plus haut, les présidents de clubs n’hésitaient pas a se servir des Barras Bravas peu après leur création pour mettre la pression sur l’effectif. Phénomène qui s’est accru et généralisé avec les considérables sommes d’argent qui se sont mises à circuler dans le football, au point de devenir un business très lucratif pour les barras. En 2011, c’est Jonathan Bottinelli qui en a fait les frais. Ce défenseur de San Lorenzo a exigé que le groupe de Barras, qui venait de s’introduire sur le terrain lors d’un entrainement pour faire part de leur mécontentement suite aux mauvais résultats du club, quitte les lieux. L’échange verbal tourne mal et le joueur ramasse une droite en plein visage et une dans le dos. Encore plus grave en 2012, c’est Giovanni Moreno milieu de terrain du Racing, qui voit débarquer après l’entrainement les Barras pointant une arme sur sa jambe, l’obligeant à quitter le club sous peine de détruire sa carrière. Cet épisode a choqué tout le pays… Et cela ne s’arrête pas là. Même avec les supporteurs de leur propre club, les Barras Bravas entretiennent un climat de violence et de peur à ceux qui voudraient se mettre en travers de leur petit business. A l’Independiente, encore une fois, des supporteurs indépendants s’étaient organisés pour migrer dans la tribune d’en face et contrer la Barra locale avec des chants, banderoles etc. Une rébellion qui ne dura pas longtemps, jusqu’à ce que les membres de la Barras débarquent avec des couteaux pour mettre fin à cette action. Même chose à Velez, où le speaker du stade est obligé de rappeler avant chaque rencontre de ne pas aller dans le secteur de la Barra pour raison de sécurité.
En somme, le football argentin est malade et constamment sali par ces groupes mafieux dont le football est la dernière préoccupation. Triste, quand on connait la réalité dans cette région du monde où le football est une véritable religion. Où la majorité des gens sont chaleureux et de véritables passionnés, ce qui fait de l’Argentine un pays unique en son genre. Unique par l’ambiance dans ses stades, unique de par sa culture football… L’occasion pour nous de vous annoncer que La Grinta se rendra dans ce magnifique pays en août pour vous faire vivre tout cela comme si vous y étiez. A retrouver très prochainement dans notre rubrique On Tour !