108 ans d’histoire, 7 Copa Libertadores, 2 Coupes intercontinentales et 14 titres de champion plus tard, voilà l’Independiente relégué en seconde division argentine pour la première fois de son histoire. « Los rojos », l’un des plus beaux palmarès du football sud-américain, n’ont jamais su trouver la bonne formule sur le terrain mais aussi dans les tribunes où le club est parti en guerre contre ses propres supporteurs. Deux ans après la rétrogradation de River Plate, voici encore un grand nom du football argentin qui succombe au « descenso » là où le seul rescapé reste Boca Juniors. Retour sur la pire saison de l’histoire du club d’Avallaneda…
23 heures hier soir au stade Libertadores de América, l’arbitre siffle la fin de la rencontre entre l’Independiente et San Lorenzo. Après une nouvelle défaite à domicile (0-1) le verdict tombe, « los rojos » évolueront en seconde division la saison prochaine. Non ce n’est pas un cauchemar mais bien la réalité, un nouveau séisme pour le football argentin. Cela faisait tout une saison que les « hinchas » (supporteurs) de l’Independiente se faisaient chambrer match après match dans tous les stades du pays à coup de « Qui ne saute pas va à la B« . Hier cette phrase a pris tout son sens dans un stade où se mélangeait plusieurs sentiments allant de la colère en passant par la fierté jusqu’à la tristesse. En effet, les scènes que l’on pouvait observer hier nous ont aussi rappelé qu’en Argentine la culture football est exceptionnelle, que celui-ci est vécu comme une religion et que ce championnat reste l’un des plus beaux dans le monde. Les supporteurs, les joueurs, les dirigeants étaient en larmes mais par amour du club les gens chantaient, ça sautaient et tout cela sans incident. Cela nous a forcément remémoré les moments vécus au Monumental de River Plate il y a deux ans, ou pour ceux qui suivent de plus près le football européen, la relégation de la Sampdoria de Gênes… Mais une question se pose, comment a-t-on pu en arriver là?
Après deux saisons très moyennes, le club d’Avallaneda n’avait plus le choix. Il fallait faire une saison en engrangeant un maximum de points. Parti dernier du classement du maintien, le « descenso »(établi à partir d’une moyenne des points pris sur les trois dernières années), les joueurs ont débuté la saison avec le couteau sous la gorge et une pression énorme. Pour cette mission, c’est l’entraîneur Americo Gallego champion du monde 1978 et déjà entraîneur du club lors du dernier titre en 2002, qui a été appelé à la rescousse fin août pour succéder à Christian Diaz. Mais malgré les nombreux renforts avec entre autre l’attaquant Leguizamon, l’international Paraguayen Morel Rodríguez passé par Boca et La Corogne ou encore Ernesto Farías, ancien buteur de River, Porto et Cruzeiro, l’électrochoc ne se produit pas. Pire, l’Independiente termine le « Torneo Inicial » (La saison est divisée en deux avec deux tournois différents qui composent les matchs aller et retour) 18 ème avec seulement trois victoires pour huit défaites et autant de matchs nuls ! C’est dans ce contexte très difficile que « El Rey de Copas » (Le roi des Coupes, surnom qu’il doit à son record de Copa Libertadores remportées sur le continent) doit entamer le « Torneo Final » 2013 où la victoire sera impérative chaque week-end. Pourtant l’Independiente est loin d’être l’équipe la plus dégueulasse sur le papier et même sur le terrain dans le championnat, mais quand tes cadres sont tous des trentenaires et que la combativité ne suffit plus à masquer la lenteur de certains, c’est tout de suite plus emmerdant. Au bout de trois journées de ce « Torneo Final » avec 6 points de pris sur 9 possibles et surtout une victoire qui fait du bien au moral face au Racing, l’ennemi voisin, on se dit que enfin la patte Gallego commence à faire son effet. Enfin, c’est ce que l’on croyait. Six journées plus tard et sans aucun match remporté depuis, Gallego est remercié après un match nul un partout à domicile face à l’Union de Santa Fe, concurrent direct pour le maintien. Il sera remplacé dans la foulée par Miguel Angel Brindisi, lui aussi ex-international argentin et déjà sacré champion d’Argentine en 1994 avec ce club en tant qu’entraîneur. Mais le chantier est beaucoup trop vaste. Et même avec des changements radicaux comme la mise sur le banc du gardien numéro un Hilario Navarro, qui entre nous était loin d’être l’assurance tout risque qui a coûté de précieux points sur des erreurs incroyables, ou encore la venue de Caicedo à l’intersaison qui s’est emparé de la place de numéro 9 au dépend de Leguizamon, rien y fait. La tension est palpable tous les week-ends avant chaque rencontre et le couperet se rapproche de plus en plus. Le sursaut d’orgueil aura bien lieu avec des victoires importantes face à des concurrents directs comme l’Argentinos Juniors (club formateur de Diego Armando Maradona) et aussi contre San Martin San Juan mais « Los Diablos Rojos » (Les diables rouges) retombent dans leur travers et ne gagnent plus une seule rencontre sur les quatre derniers matchs. La défaite hier soir face à San Lorenzo aura été celle de trop, envoyant un club mythique en deuxième division…
Un bordel en parallèle en tribune
Dès son investiture en début de saison, Javier Cantero président du club, a déclaré la guerre à sa propre « Barrabravas » (Groupe de supporteurs) qui se nomme « La Barra del Rojo ». En effet, en plus du bordel au niveau sportif le président a aussi voulu s’attaquer à un autre chantier de poids. Et encore, le mot est faible. A sa prise de fonction, Cantero décide tout bonnement de ne plus donner un seul peso (la monnaie argentine) à la Barra. Le président venait de s’apercevoir que le livre de compte du club présentait un trou de 70 millions de dollars. Rien que ça… Pour lutter contre la Barra del Rojo, Cantero a aussi fait appel à une nouvelle responsable de la sécurité, Florencia Arietto. Florencia arrivera même à avoir les soutiens de la majorité des supporteurs du club lors de la rébellion envers des membres de la Barra Bravas qui menaçaient d’envahir le terrain après l’ouverture du score de Quilmes en championnat en leur lançant des « Hijos de puta » (Pas besoin de traduction même si vous n’êtes pas bilingue) ou encore «supporter n’est pas un métier, c’est une passion ». Un gros bordel qui commençait à faire tâche en plus du sportif. Arietto allait un peu vite, même trop vite pour son président qui est quand même le seul a lutter contre les barras dans le pays. Cantero n’est plus sur la même longueur d’onde que sa responsable sécurité qui décide de quitter son poste… Alors pourquoi un tel revirement? Cantero a déclaré après cela « L’idée est de sauvegarder ce que l’on a obtenu, qui est déjà révolutionnaire pour Independiente et plus généralement pour le football argentin. On ne paye pas de délinquants, on ne leur offre pas non plus de billets. Florencia voulait aller plus loin encore, et c’est là qu’on n’était plus d’accord. Je suis aussi contre la violence dans les stades, mais je ne veux pas voir Independiente jouer dans une église ». Le président a peut-être vu juste, difficile de combiner répression et ferveur. Quand on veut un stade avec une ambiance exceptionnelle, il faut des groupes des supporteurs, la question est souvent revenue même en France ces derniers temps… Mais le combat est loin d’être gagné, on peut même affirmer aujourd’hui qu’il est perdu. Hier encore un des leaders de la Barra a été arrêté avant le match décisif contre San Lorenzo avec plusieurs faux carnets de « socios » et des engins pyrotechniques. Le gouvernement argentin et l’AFA ont récemment pris des décision importantes jusqu’à la fin saison contre la violence et le fonctionnement de ces groupes en interdisant tout déplacement de supporteurs visiteurs, des méthodes pas totalement inconnues chez nous en Europe mais qui n’ont jamais été une bonne solution…
Vous l’avez bien compris, le football argentin a été très touché par cette triste nouvelle pour le club d’Avellaneda. Beaucoup de messages de soutien font leur apparition un peu partout. Dont notamment ceux d’anciennes gloires du club comme Kun Aguero qui a déclaré : « Les grands clubs reviennent toujours« . Ou encore Ricardo Bochini, joueur le plus titré avec le club: « Je suis très triste même si je le voyais arriver depuis longtemps ». L’entraîneur Brindisi lui s’est effondré en conférence de presse comme ses joueurs qui n’ont pas eu la force de répondre aux journalistes après la défaite. Ainsi va le football, l’Independiente devra se taper des déplacements très lointains et assez galères aux quatre coins du pays avec parfois des pelouses qui s’apparentent plus à des champs de patates qu’à des billards. Tel est le prix à payer pour retrouver l’élite et son glorieux passé…