Antonio supporte Boavista, « l’autre » club de Porto. Depuis 30 ans, il suit son équipe derrière la bâche des Panteras Negras. La Grinta l’avait rencontré lors d’un match il y a quelques années. Nous profitons d’un dimanche après-midi tranquille à Porto pour lui poser quelques questions sur son groupe et le mouvement ultra portugais.
Quelle est l’origine du nom “Panteras Negras” ?
Il y a deux raisons : la première, c’est que le maillot en damier n’a été adopté qu’en 1933. Avant, le club jouait avec un maillot complètement noir, qui rappelle les panthères noires. La deuxième raison, la plus connue, est ce rituel de lancer une panthère de peluche sur le terrain. Le gardien, à l’époque le grand Alfredo, devait la renvoyer aux ultras sur les tribunes.
Comment est né le mouvement ultra au Portugal ?
Le premier vrai groupe ultra voit le jour en 1976, la “Juventude leonina”, né grâce à la détermination des fils du président du Sporting Lisbonne de l’époque João Rocha. Il faut admettre que déjà quelque temps auparavant des étudiants brésiliens se rendaient au stade Alvalade avec des “batuques” (instruments à percussion) pour recréer l’ambiance des stades brésiliens. Il s’agissait d’un projet qui s’appelait Vapores de Rego. En 1982 ce sont les “Diabos Vermelhos” du Benfica qui se réunissent pour la première fois. Peu après, en 1984, les “Panteras Negras” apparaissent au stade Bessa.
De quel mouvement les Panteras Negras se sont-ils inspirés ?
Le mouvement italien, avec sa créativité. Nous regardions spécialement les groupes ultras de la Roma, Juventus et Sampdoria, aussi à cause des couleurs que ces équipes ont en commun avec le Boavista.
Les tribunes du Boavista ont-elles une tendance politique ?
Ce genre de choses n’existe pas au Portugal. En Italie, quand le mouvement ultra est né, le pays était en ébullition et ce qui s’est passé dans les tribunes était le réflet de ce qui se passait dans la rue : la jeunesse italienne était révolutionnaire. Les stades portugais reflètent aussi la société portugaise, on y voit toutes les classes sociales, des ouvriers jusqu’aux médecins et aux avocats. En revanche, aucune tendance politique ne se manifeste lors d’un évènement consacré au sport.
Quelles sont les valeurs d’un ultra du Boavista ?
L’origine de notre foot est un foot de rue. Les vrais ultras du Boavista résistent sans compromis. So os fortes ressistem, os fracos desistem (les forts résistent, les faibles se désistent). Dans mon groupe, j’ai toujours connu l’amitié, la loyauté et la cohérence. Je suis fier d’en faire partie.
Les Panteras Negras ont-elles des amitiés ?
Nous n’avons pas vraiment d’amis dans le pays. Il y a juste du respect avec les ultras du Vitoria de Setubal et de l’Academica de Coimbra. Ils nous ont toujours respecté lors des déplacements. À part ça on est des solitaires, comme des vrais panthères. À l’étranger, on a un jumelage avec les ultras allemands du St. Pauli.
Comment choisissez-vous votre capo ?
Le capo est celui qui a le plus de muscles. On a essayé d’introduire la démocratie chez nous, on a enregistré l’association auprès du Répertoire Nacional des Associations et on a essayé de faire des élections mais cela n’a pas fonctionné. C’est la force qui fait la différence, alliée aussi au charisme. Pour guider un groupe ultra, il faut aussi du charisme.
Comment préparez-vous vos tifos ?
Cela dépend de l’importance du match. Quelqu’un lance une idée et à partir de cela, on s’organise. Nous pouvons nous voir pour créer la chorégraphie deux heures avant le match ou le jour précédent.
Êtes-vous soutenus par le club ?
Oui, le club nous est très proche. Il nous fournit les moyens de transport pour les déplacements ainsi que les billets. Il existe un accord parmi les clubs portugais selon lequel chaque club offre 100 billets à l’équipe visiteuse.
Le club nous donne aussi des locaux près du stade où l’on peut se réunir pour diner ou voir les matchs tous ensemble. Il y a aussi un bar pour nous faire plaisir lors des beaux moments.
Comment as-tu décidé d’être un ultra du Boavista? N’est-ce pas compliqué de l’être alors que dans la même ville il y a le FC Porto ?
J’ai toujours aimé les couleurs du Boavista et je me suis toujours reconnu dans les idéaux du club. Au stade, je profite du match, mais j’adore chanter et voir les drapeaux, même s’ils me couvrent la vue pendant le match. Ça fait partie du spectacle qui fait que les lambdas vivent aussi une expérience unique au stade. Tout ça c’est grâce aux ultras. En ce qui concerne le FC Porto, ce n’est pas compliqué: il s’agit d’un club plus riche et avec une histoire que je respecte. Cependant, cette équipe ne représente pas mes idéaux et ils n’ont pas les couleurs que j’aime.
Quel souvenir as-tu du championnat gagné en 2001 ?
J’ai un très beau souvenir, un rêve qui est devenu réalité. L’Avenida Boavista était pleine de monde, elle débordait de supporteurs qui vivaient une liesse sportive : tous à chanter et célébrer une réussite unique. Le bus ouvert avec les joueurs qui célébraient au-dessus roulait doucement. Quelques ultras ont aussi réussi à y monter dessus, aidés par les joueurs.
Quels sont les rapports des ultras avec les forces de l’ordre ?
Au Portugal, il existe une culture généralisée de culpabiliser les ultras à chaque fois qu’il arrive un imprévu. Malheureusement la police parfois utilise une force excessive dans des situations qui ne le justifient pas. Elle a été toujours présente au Bessa pour décourager les échauffourées . Je me rappelle de quelques situations un peu plus tendues en déplacement, mais rien de grave.
Quels sont vos rapports avec les journalistes ?
Mauvais. S’ils écrivent sur nous, c’est pour quelque chose de négatif. On préfère ne pas avoir affaire avec eux, mais on utilise les réseaux sociaux qui nous permettent de diffuser plus facilement nos actus. On organise aussi des événement de solidarité, et avec les réseaux sociaux, on arrive à toucher plus de monde.
Qu’aimes-tu dans le foot ?
Quand j’étais plus jeune, je jouais au foot dans la rue, comme un «boavisteiro» authentique. Le football me fascine pour sa dimension populaire, je l’aime pour l’agrégation qu’il génère dans les stades, pour l’âme vitale et rebelle des virages. Disons simplement que j’aime ces aspects autant que le jeu lui-même.
Quel est ton rêve pour les prochaines années ?
Notre objectif est de rester en Primeira Liga. Nous sommes une des équipes au plus petit budget. Sauf surprise, jouer le maintien est notre destin, il faut être réaliste. Mais je rêve de pouvoir revoir mon équipe en Europe.