Les Black and White Fighters supportent le Club Sportif Sfaxien en Tunisie. Le groupe créé en 2003 interpelle par son ampleur et le nombre de supporters mobilisés, dont beaucoup de jeunes, à qui les Fighters transmettent les valeurs ultras. Une ferveur et un ancrage dans la ville boostés par la saison 2012-2013 qui a vu la victoire du CSS au championnat. La Grinta s’associe avec Le Chroniqueur Ultra pour cet entretien avec les B&W Fighters. Focus.
L’image de la ville antique de Sfax encerclée par un craquage massif de fumigènes est tout un symbole. Cette impressionnante choré urbaine, à l’extérieur du stade, est réalisée en 2018 pour les 15 ans du groupe. Ils n’étaient pourtant que quelques-uns, le 11 septembre 2003, a créé le groupe qui n’a cessé de croitre et compte aujourd’hui plus de 1000 membres. BW, membre du groupe que nous nommerons ainsi car il souhaite rester anonyme, revient sur les débuts du groupe : « Ce qui marque lors de la création du groupe c’est l’ambiance qui régnait au sein du groupe nous étions des jeunes étudiants motivés et passionnés par l’amour du club… Au début nous étions 7 et le lendemain plus d’une quinzaine… et au bout d’une semaine, une centaine. Les réunions se sont déroulées dans la maison de l’un des fondateurs et puis dans les cafés et notre premier pas était une bâche officielle ».
Le mot Fighters évoque, selon BW, « le guerrier qui se bat pour l’équipe et la ville de Sfax ». Les couleurs noir & blanc sont célébrées dans un tifo déployé par les BW Fighters lors d’un match de gala entre les anciens du CSS et les anciens de l’équipe française à l’occasion des 90 ans du club. BW décrit le tifo réalisé qui revient sur des épisodes historiques du club « Le premier voile décrit l’appartenance et quelques mythes des clubs comme Hammadia Agrebi, Med Ali Akid, Hatem Trabelsi… Le deuxième voile décrit une transition importante dans l’historique du club en 1962. L’entraineur Milan Kristic propose de changer le nom du club de Club Tunisien à Club Sportif Sfaxien, avec les couleurs noir et blanc au lieu du rouge et vert. Le troisième voile résume la passation de cet amour éternel d’une génération à une autre ».
Dix ans après la création du groupe, le CSS est sacré champion de Tunisie et gagne la Coupe de la Confédération. C’est l’un des grands moments du groupe. « La saison 2012-2013 ? Je peux la décrire en un seul mot : incroyable ! Voir son équipe entamer sa saison avec des résultats positifs et son groupe célébrer ses 10 ans, quoi de mieux ? Pour le groupe, on a eu le temps de préparer notre planning non seulement pour les festivités de l’anniversaire mais aussi pour les matchs du championnat et des compétitions africaines. Notre équipe a toujours été notre priorité, en dépit de tout. Être présents aux entrainements, inciter nos gladiateurs à honorer le club et mouiller son maillot, atteindre les matchs locaux et supporter l’équipe : C’est un style de vie que seuls les passionnés peuvent comprendre ».
En plus des tifos et des banderoles, il y a les enregistrements et les productions musicales, pratique répandue pour les groupes ultras au Maghreb. L’album de 2012-2013, ‘’قلعة الأجداد – Kelaat Lejdad” (« Château l’ancestral » en français), troisième album du groupe, a forcément une saveur particulière. « L’album n’était qu’un simple exemple de la réussite de cette saison-là. Toutes les chansons ont eu un succès fou, à l’image de la saison, dingue dans tous les sens du terme ». Les paroles sont consacrées à l’amour du club, à la ferveur, à la vie ultra. Il y a notamment la chanson « Mia Amore » (sic), qui raconte le quotidien d’un supporter de Sfax qui a donné toute sa vie pour le club, mais dont l’entourage ne comprend pas ce dévouement : « De l’amour des couleurs connu dans le coin / Avec les jeunes de la ville, les jeunes passionnés / L’amour du club a pris sa vie / D’autres n’ont rien compris de sa propre vie ».
Cette saison 2012-2013 a un effet positif sur le groupe. « La passion s’est agrandie et s’est transférée d’une génération à une autre, toujours avec les mêmes valeurs et les mêmes principes. On s’est basé sur la créativité dans chaque activité du groupe d’où la progression du niveau avec le temps. On s’est battus contre tous les obstacles pour aller loin avec notre groupe. On ne s’est jamais lassés, on n’a jamais baissé les bras ».
Et ce malgré l’oppression dont sont victimes les ultras. « En Tunisie, la répression est une habitude. La violence policière gangrène la société tunisienne en général et le football en particulier. Black & White FIGHTERS a été victime de cette répression. Persécutions, interdictions de stade, prison, arrestation… Mais malgré tout ça, nous sommes toujours là pour défendre la liberté ». Il continue : « Le groupe et le mouvement ultras en général en Tunisie est toujours présent pour lutter contre toute sorte d’injustice au pays, dans les gradins ou même en dehors du virage. Nous sommes conscients de toutes les actualités, le malheur et la souffrance des citoyens…Et nous serons toujours contre un système de dictature qui veut imposer ses propres règles dans nos gradins ».
Cette même saison, les BW déploient des drapeaux en tribune, en soutien aux ultras de divers pays (image ci-dessus). Soutien aux Ultras Ahlawy pour les 74 supporters morts lors du massacre dans le stade de Port-Saïd en Egypte. Aux supporters du Fenerbahçe suite à la mort d’un jeune de 20 ans, tué à l’arme blanche après le derby contre Galatasaray à un arrêt de bus. Les Fighters montrent leur solidarité avec les groupes marocains victimes d’une grande répression et d’arrestations, un drapeau de l’Algérie en soutien aux Ultras Infernos de Setif, et le drapeau tunisien pour montrer leur mécontentement face à la loi qui interdit l’entrée des stades aux moins de 20 ans.
Une loi marquante, surtout pour les Fighters qui orientent leurs projets vers les jeunes, notamment à ceux dont l’accès est interdit au stade. Ainsi, l’idée des Fighters est de leur « permettre de vivre leur passion en dehors du stade (…) Le but de Fighters juniors était d’apprendre les ultras juniors notre style de vie, la mentalité ultras et ses principes, le mouvement ultras ». La transmission du mode de vie ultra est prépondérante. Les vidéos diffusées sur la chaîne YouTube du groupe illustrent la culture ultra aux plus jeunes « La série « Fighters Culture » reflète les facettes de la vie d’un Fighter en 5 épisodes ». Elles montrent les préparatifs des tifos, les graffitis, les déplacements, « Combattre les conditions parfois défavorables, surtout de l’Afrique, aller dans un pays où on ne connait personne », car « le plus important c’est qu’il y ait des guerriers derrière l’équipe ». Mais aussi l’appartenance à la ville, et l’admiration des couleurs en noir et blanc. Le dernier épisode s’intitule d’ailleurs » Achromatopsia » : c’est le nom d’une maladie rétinienne qui se caractérise par une absence de vision des couleurs – donc fait percevoir la vie toute en noir et blanc.
L’une des vidéos met en scène un jeune homme travailleur troquant sa tenue chic par un tee-shirt B&W Fighters et un attirail ultra. Cette représentation tend à déconstruire la conception des ultras considérés par les autorités comme des criminels, et montre les ultras comme des personnes citoyennes, responsables et fédératrices. Car les BW Fighters sont soutenus par la population lorsqu’ils font le craquage massif de fumigènes dans les rues de Sfax, célébrant l’équipe et la ville dans tout son aspect social.
Les BW Fighters sont impliqués dans différentes actions solidaires de leur ville. Ils ont notamment visité le village d’enfants orphelins SOS Mahrès et le centre des personnes âgées. Des actions sociales qui sont multipliées pendant la pandémie de Covid. « La pandémie nous a rendu plus solidaires : on est parti pour inciter les gens à rester chez eux et se protéger, on a organisé des actions caritatives pour aider les gens en besoin, tous les quartiers de Sfax se sont colorés en noir et blanc, les murs se sont transférés en messages de sensibilisation contre le Covid-19 et les chansons ont envahi tous nos quartiers… Si un jour on a choisi d’aimer notre équipe c’est pour toujours et quelles que soient les conditions. L’amoureux ne se lasse jamais de montrer son amour à sa bien-aimée, et c’est exactement la même chose avec notre cher club ». Et de poursuivre : « L’épidémie nous a certes éloignée du stade et privée de voir nos gladiateurs jouer, mais elle a éveillé en nous le sentiment d’humanité et de compassion envers les gens qui n’était forcément pas notre priorité avant la crise sanitaire ». Une dimension sociale primordiale et commune à bon nombre de groupes d’ultras dans le monde, peu connue du grand public.
Face à la crise, les Fighters sont plus que jamais actifs et impliqués. La ferveur ultra est fédératrice, positive et vitale « Chaque membre actif doit avoir une tâche à faire au sein du groupe. (…) On a continué à travailler en dehors du stade afin que les membres puissent vivre leur passion, une passion sans laquelle la vie n’a aucun goût. C’est notre destin, on est faits pour ça. Chaque passionné devient accro avec le temps, jusqu’au dernier souffle ! ». De par leur dévouement, leur ancrage dans la ville et leur travail avec les jeunes, les B&W Fighters sont des acteurs incontournables, tissant du lien social et de la solidarité, transmettant une raison de vivre.
*Le Chroniqueur Ultra publie le fanzine Chronique Ultra, dédié à la culture ultra. Il travaille à faire connaitre le mouvement ultra, notamment au Maghreb.
Le Chroniqueur Ultra et Héloïse B remercient les B&W Fighters et leur section en France.