Depuis cinq jours, le conflit gelé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a repris à propos du Haut-Karabakh, cette région séparatiste de l’Azerbaïdjan où vit à peine une population en majorité arménienne. Un club de plus en plus présent dans les compétitions européennes ces dernières années symbolise ce déchirement : Qarabag.
Depuis cinq jours, les combats entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont sanglants dans le Haut-Karabakh, ce territoire azerbaïdjanais séparatiste soutenu par l’Arménie. La population y est à majorité arménienne. La reprise des affrontements, les plus graves depuis 2016, laissent craindre une nouvelle guerre ouverte entre les deux pays. Un conflit qui, entre 1992 et 1994, a engendré 30 000 victimes et environ 600 à 650 000 réfugiés. Depuis 1993, Ağdam en est l’un des vestiges. Ce qu’il reste de cette ville fantôme ? Des ruines… Et un club de foot délocalisé à presque 400 kilomètres.
Le FK (Futbol Klubu) Qarabag est en exil depuis presque 30 ans à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. Rien d’un hasard, tout comme le nom du club tiré de cette région perdue par les Azéris. Un club engagé depuis toujours dans sa cause unioniste, même en minorité à Ağdam. Après le massacre du village de Khodjaly en 1992, les joueurs se rendent même au commandement militaire azéri d’Ağdam afin de demander la suspension du championnat et de proposer leurs services à l’armée. Refus catégorique, il leur est répondu que leur place est sur un terrain de football et que ce sont les seuls à pouvoir offrir un peu de joie à la population.
Un entraîneur du club y a laissé sa vie
Un drame érige un peu plus Qarabag en emblème de l’Azerbaïdjan dans ce conflit. Allahverdi Bagirov, l’entraîneur du club, trouve la mort en juin 1992 après que sa Jeep a atterri sur une mine antichar. Deux ans plus tard, il sera proclamé héros national. Il avait joué à Qarabag au tournant des années 70 et 80, avec son frère Eldar. Ce dernier fonda le Front populaire azerbaïdjanais, un mouvement indépendantiste qui a remporté les premières élections libres de l’Azerbaïdjan. Allahverdi, lui, s’était engagé dans l’armée devenant un commandant respecté.
Sans son entraîneur, Qarabağ a quand même réussi à réaliser le doublé Coupe-championnat. “L’équipe a joué à Ağdam jusqu’à deux mois avant l’accident, ne suspendant les matchs que lorsque les missiles se sont approchés trop près du stade. Mon frère, qui était Général, était stationné avec ses armées à l’extérieur de l’enceinte, prêt à tirer. Son fils, Vugar (devenu depuis un taulier de l’équipe nationale, ndlr), a fait ses débuts à Qarabag à 16 ans”, se souvenait Adil Nadirov véritable mémoire du club et ancien coéquipier des frères Bagirov avant son décès il y a quelques mois.
Un court retour à la maison
Ağdam chute le 23 juillet 1993. Une semaine plus tard, Qarabağ obtient son titre de champion d’Azerbaïdjan, battant Xazar Sumqayit 1-0 en finale grâce à un but de Yaşar Hüseynov, l’un des joueurs prêt à rejoindre l’armée. Aslan Kerimov, plus de 150 apparitions sous le maillot de Qarabag, raconte : “Il n’y avait pas de fête au coup de sifflet final. Une partie de l’équipe est montée dans la voiture et a foncé vers Agdam, à la recherche d’amis et de membres de la famille parmi les réfugiés. Avec un ami, nous sommes allés sur le boulevard de Bakou, nous avons acheté une canette de coca à un vendeur ambulant et l’avons bu en regardant la mer Caspienne. »
Pendant des années, un bus de supporters – financé par le club – partait des villages de réfugiés près de la frontière du Haut-Karabakh en direction de Bakou, parcourant les sept heures de route pour assister aux matchs « à domicile » de l’équipe. Jusqu’à ce qu’en 2009, la fédération azerbaïdjanaise autorise le club à jouer au Guzanli Complexe Stade Olympique, dans le district d’Ağdam, à six kilomètres de la ville fantôme. Cela n’a pas duré longtemps : sans Internet, ni d’hôtel digne de ce nom, des joueurs obligés de dormir dans des chambres à trois dans un immeuble délabré près du stade, entre couvertures sales et quantité d’eau chaude insuffisante pour prendre une douche. Impossible de continuer dans ces conditions pour une équipe devenue ambitieuse avec des nombreux joueurs étrangers (dont un Français depuis 2018, Abdellah Zoubir).
Coupe d’Europe et incidents
Depuis une décennie, Qarabag s’est fait sportivement un nom en Europe. Le club se qualifie régulièrement pour les compétitions UEFA. Dernier exploit en date qui n’en est plus vraiment un : une raclée 3-0 infligée au Legia Varsovie ce jeudi 1er octobre lui offrant un accès à la phase de poules de l’Europa League. Les Azéris croiseront la route notamment de Villarreal. Un adversaire de taille mais Qarabag en a déjà affronté d’autres dans son histoire. Telle la Roma en 2017. Les quelques supporters visiteurs en parcage au Stadio Olimpico avaient alors profité de l’exposition médiatique pour déployer un tifo aux couleurs du drapeau national. Un message évidemment politique.
Mais l’année dernière, ce sont les Azéris qui ont subi un incident du même genre. Le 4 octobre 2019, le club luxembourgeois de Dudelange reçoit le FK Qarabag : à la demi-heure de jeu, alors que les unionistes mènent 2-0, un drone apparaît dans le ciel du stade Josy-Barthel, affichant le drapeau indépendantiste de la région du Haut-Karabagh. L’oeuvre est signée d’un groupe d’activistes belges, le First Armenian Front. De quoi déclencher la fureur du club visiteur qui n’hésitera pas à lancer sur les réseaux sociaux : “Le Karabagh est l’une des régions historiques de l’Azerbaïdjan ». Nul doute que le regain de tensions dans la région risque de favoriser de nouveaux incidents autour du clivant FK Qarabag.