L’édition 2018-2019 de la Liga n’a pas été d’un grand niveau de jeu, le vainqueur final ne laissant pas non plus une trace mémorable, excepté son numéro 10 meilleur buteur et auteur de belles scènes. Mais ce théâtre à offert de nombreuses petites histoires.
La tendance tactique : transition
En Espagne, les équipes ont dévoilé un jeu très structuré. À côté de l’Atlético Madrid de Simeone et du Valence de Marcelino, l’une des caractéristiques principales des équipes d’un rang inférieur a été la discipline à l’ordre collectif. Avec des idées très claires, le Getafe de Bordalás, l’Alavés d’Abelardo et le Léganes de Mauricio Pellegrino ont été extrêmes dans leur positionnement sans ballon, en passant leur temps à réduire les espaces dans le cœur du jeu et rendant leur adversaire impuissant.
Dans un contexte de crise de résultat, le retour de Gaizka Garitano et la mise en place d’un jeu de transition favorisant les deux surfaces, la défense avec le duo Iñigo Martínez-Yeray, l’attaque avec Muniain et Iñaki Williams a permis à l’Athletic Bilbao de jouer l’Europe à la suite des six premiers mois à traîner dans le fond du classement. Même constat pour le FC Séville qui a retrouvé un 4-4-2 à plat très discipliné et aux lignes resserrées avec le retour de Joaquin Caparros à la place de Pablo Machín limogé mi-mars.
Dans un contexte de crise de jeu et de résultat, Javi Calleja a poussé son Villarreal à adopter une posture méthodique : Santi Cazorla, Manu Trigueros, Manu Morlanes, Pablo Fornals et Gérard Moreno entres autres, tous des créateurs, ont dû se plier à un bloc bas défavorable au contrôle du ballon, signalant une fois de plus le manque de prise d’initiative dans le jeu des équipes de Liga.
D’ailleurs, la compétition restera marquée par la crise de l’animation offensive du Betis de Quique Setién, une des causes (si ce n’est la seule) mettant fin à l’un des projets les plus ambitieux des dernières années en Liga. Constat terrible pour les observateurs : sur les dix équipes en haut du classement, seulement quatre ont tenté d’offrir un beau spectacle. Tandis que parmi les cinq dernières du championnat, moins médiatisées, elles sont tout autant. Terrible aussi pour Javier Tebas, le président de la ligue espagnole.
L’enseignement tactique : duo de relayeurs
Les équipes conservatrices ont rythmé cette Liga parce qu’elles se sont présentées en nombre et aussi pour avoir révélé des histoires à leurs manières : certaines ont grandi tout au long de la saison comme Getafe, certaines ont inquiété sans jamais tendre vers le meilleur comme Barcelone. Mais puisque la masse fait toujours de l’effet, les équipes qui jouaient au service du ballon n’ont pas arrêté de chercher des solutions pour triompher.
Et contre ce grand nombre de bloc médian/bas, c’est grâce à des millieux relayeurs élégants qu’elles ont offert une histoire contre-culturelle fascinante. Face à la difficulté d’atteindre la surface d’un bloc bas, les équipes à l’aise avec le jeu de possession ont toutes un principe fort consistant à faire circuler le ballon et les joueurs pour libérer des zones libres. Avec beaucoup de risques dès la première relance (l’équipe adverse peut se projeter rapidement dès les décalages créés), elles ont fait le choix de vouloir à tout prix casser les lignes (déstructurer le bloc) et de ne pas uniquement persister à jouer sur les ailes (contourner le bloc).
Avec des milieux relayeurs toujours en mouvement, capables de résister à la pression et de bien orienter le jeu, ces équipes ont insisté sur l’identité du juego de posición. Au FC Séville de Pablo Machín, l’antidote était le duo Pablo Sarabia-Franco Vázquez devant l’esthète Ever Banega. À l’Espanyol de Rubi, c’était Sergi Darder et Óscar Melendo devant le talentueux Marc Roca. Au Betis de Quique Setién, Lo Celso et le remarquable Sergio Canales devant le guide William Carvalho. Au Levante de Paco López, les deux artistes Enis Bardhi et Rubén Rochina devant l’acharné José Campaña. Et à Eibar, lors des phases de possession l’ailier gauche Marc Cucurella laissait le côté à son latéral en s’insérant au cœur du jeu proche du bijou Joan Jordán devant Pape Diop. D’ailleurs, le visage de la révélation de la saison en Liga fait partie de ces quelques maîtres des petits espaces et porte un maillot domicile à bandes vertes et blanches verticales. Et il est espagnol.
L’équipe : Getafe
En Europe, Getafe a l’un des taux de possession de balle les plus faibles d’Europe (43%) avec Parme et Cardiff et le taux le plus bas en termes de passes réussies avec 63,7% sur l’ensemble de la saison. Mais en Europe, à l’instar de Sassuolo qui se trouve dans le haut de ces classements, le Getafe de José Bordalás est l’un des seuls « petits » qui joue comme des « grands ».
Extrêmes dans leurs positionnements sans ballon, les Madrilènes ont été les représentants les plus fidèles et efficaces de cette tendance tactique en Espagne. Avec un jeu pragmatique, une défense solide (2èmemeilleure de Liga après l’Atlético) et une attaque d’apparence usée mais séduisante, le club a disputé durant de longs mois la course à la Ligue des champions avant d’obtenir une qualification directe en C3.
Disposés en 4-4-2, l’équipe de Bordalás veut construire une forteresse autour de l’axe et s’organiser avec la balle selon deux styles. Premièrement pour l’effort défensif, tantôt par un bloc bas et des lignes resserrées (« Ma façon de jouer est liée à la structure des armées romaines », dit Bordalás) tantôt par une pression très haute pour bloquer les joueurs voulant absolument ressortir au sol comme contre le Betis de Quique Setién.
Puis, pour l’appproche offensive, tantôt par le jeu long, tantôt par les relances au sol depuis la défense. Avec Maksimović au milieu à côté du destructeur Arrambari, Getafe a toujours eu un relais pour ressortir la balle proprement après l’avoir récupéré. Devant, l’intelligence collective de deux profils similaires : Jorge Molina-Jaime Mata a permis de remporter les duels aériens et de se projeter rapidement. Promu en première division il y a deux ans, les joueurs de José Bordalás ont montré une intelligence tactique remarquable tout au long de la saison. De la beauté du football de résistance.
L’entraîneur : Rubi
Arrivé à l’été dernier, la première saison de Rubí à la tête de l’Espanyol – terminée avec une septième place en Liga – aura été une transformation à grande échelle. Le club qui restait sur une saison 2017-2018 difficile dont les seuls espoirs étaient maintenus par un Gérard Moreno qui faisait tout et tout bien, a poussé sous la tutelle de la philosophie offensive de son entraîneur catalan.
Si, le passage d’un an de Rubí à Huesca avait été remarqué et permis au club de remonter en première division – Huesca est aujourd’hui relégué – l’un des adjoints de Tito Vilanova au FC Barcelone a mis en œuvre à l’Espanyol l’une des meilleures équipes de Liga : celle qui assemble les particularités de chaque membre du onze.
Au sein de son système en 4-3-3, Rubí s’est appuyé sur la nature de certains joueurs pour en définir l’identité générale : Mario Hermoso, Marc Roca et Sergi Darder. En Liga, hormis Rodri, personne ne dispose un tel potentiel technique et physique au milieu comme Marc Roca. Cela permet de prouver, s’il le fallait, la valeur de l’héritage de Sergio Busquets. Sous les ordres de Rubí, dans l’entrejeu, l’espagnol de vingt-deux-ans est entouré de Sergi Darder et Esteban Granero ou Óscar Melendo, reflétant une proposition constante de spectacle.
Devant, l’activité des attaquants avec ballon pour se proposer entre les lignes (Sergio García), dans la profondeur (Léo Baptistão, Wu Lei) ou être un point d’ancrage (Borja Iglesias) et sans ballon par un pressing haut (tous), a eu le mérite d’être captivante et performante. Si José Bordalás est également un de ses rares entraîneurs de force à construire un collectif permettant de renforcer mutuellement les caractéristiques de ses joueurs, le technicien de l’Espanyol, lui, est un disciple du beau jeu : « Nous ne pouvons pas avoir des supporters qui viennent au stade et sentent que nous ne voulons pas leur transmettre des émotions ».
Sa signature récente au Real Betis en succession de Quique Setién, avec qui il partage une philosophie similaire est plaisante… Reste à convaincre le Benito Villamarín, qui a en partie précipité la fin de l’écosystème Setién/Betis.
La saison passée, Villarreal, à l’aise avec un football de position en plus d’être l’une des meilleures équipes d’Europe en transition avait changé de catégorie, prouvant au fur et à mesure des week-ends qu’elle était parmi les meilleures d’Espagne. Avec un recrutement bienveillant durant l’été, apparenté par les arrivées de Karl Toko-Ekambi et Miguel Layún ainsi que les retours de Gérard Moreno, Carlos Bacca, Santi Cazorla et Alfonso Pedraza, Villarreal semblait tendre vers la progression.
Finalement, cela a été une régression : le départ de Rodri à l’Atlético Madrid a laissé un vide dans la construction, le plan de jeu s’est limité à servir Samuel Chukwueze dans l’espace, Javi Calleja a été licencié et remplacé par Luis García avant de revenir un mois et demi plus tard. Le tout alors que l’ombre de la relégation a plané toute la saison. En modifiant sa défense à quatre par une ligne de trois et son losange au milieu par trois relayeurs mobiles, Calleja a renforcé le collectif dans les derniers mois et décroché le maintien. Mais en donnant les clés de la construction à un Lucas Tousart argentin (Santiago Cáseres) une grande partie de la saison, son équipe a perdu toute identité.
Le Français : Karim Benzema
Dans une saison post-Coupe du monde où presque l’ensemble des joueurs du Real Madrid ont eu des difficultés à s’adapter aux exigences tactiques du nouveau coach Julen Lopetegui puis été noyés dans le cadre libre de Santiago Solari puis de Zinédine Zidane, seul Karim Benzema a impressionné. Finalement, tout au long de la saison, son rendement a été inversement proportionnelle au football de son équipe.
Devenu le centre de l’attaque madrilène suite au départ de Cristiano Ronaldo, l’attaquant français a vu le jeu se construire autour de lui : si le Real Madrid a besoin de détruire ou contourner un bloc bas adverse, Benzema s’intercale entre les lignes et accélère le jeu. Si le Real Madrid a besoin d’attaquer rapidement, il organise la transition en point d’appui ou se projette dans l’espace – à noter un physique plus affuté que jamais -.
En plus de son profil technique et de créateur qu’il n’a cessé de dévoiler lorsqu’il était associé à Cristiano Ronaldo et que l’on a aperçu cette année avec la pépite Vinícius Júnior, Karim Benzema, vingt et une fois buteur en championnat, a libéré son profil d’attaquant de surface. Sa science du placement et du déplacement lui a permis de marquer plus de dix buts de la tête, de dépasser la barre des vingt buts qu’il n’avait plus atteint depuis quatre saisons et de finir deuxième meilleur buteur de Liga. À 31 ans, dans les lignes de l’histoire du Real et le cœur de ses fans, Karim a définitivement conquis Madrid.
Le facteur X : Getafe et le logiciel Zone7
8. Un tout petit chiffre qui fait de Getafe l’équipe la moins touchée par les blessures en Liga. Moins que le FC Barcelone, le Real Madrid ou l’Atlético Madrid. Recommandé à José Bordalás par Jordi Cruyff, qui l’avait testé et approuvé durant son passage au Maccabi Tel Aviv, le logiciel Zone7 crée par Tal Brown et Eyal Eliakim, deux hommes qui travaillaient dans une des unités les plus secrètes des services de sécurité d’Israël, « la 8200 » (formé à suivre et pressentir le comportement des ennemis du Mossad) collecte et analyse des données sur les joueurs durant la semaine et les week-ends, permettant ainsi au staff technique d’améliorer la planification des séances d’entrainements en fonction des rapports reçus et d’améliorer le rendement physique de chaque joueurs.
À titre de comparaison, le Real Madrid et l’Atlético Madrid ont été impactés plus de 30 fois par les blessures cette saison. Autant dire que malgré leurs âges avancés et la dose d’efforts souhaitée par le projet de jeu de José Bordalás l’absence de blessures tout au long de la saison chez le tandem Jorge Molina (37 ans, 41 matchs, 16 buts, 5 passes décisives) et Jaime Mata (30 ans, 38 matchs, 16 buts, 6 passes décisives) est une prouesse. Nul doute aussi, que ces services ont joué un grand rôle dans la lutte pour l’Europe : quand entre mars et mai, Séville perdait André Silva, Daniel Carriço et Maximilian Wöber, qu’Alavés perdait Takashi Inui et Guillermo Maripán, Getafe se rapprochait petit à petit de la meilleure saison de son histoire.
On aurait aimé en voir plus : Brahim Diaz
Trois mois après son arrivée lors du mercato hivernal, l’espagnol Brahim Diaz a enchainé les rencontres, coïncidant avec le retour de Zinedine Zidane à la tête de l’effectif madrilène au mois de mars, alors qu’il n’avait participé qu’à trois matchs sous les couleurs de Manchester City entre août et décembre.
Jusqu’au terme de la version 2018-2019 de Liga, le jeune milieu de terrain a joué sept matchs et est rapidement devenu la seule satisfaction, en l’absence de Vinícius Júnior pour blessure au genou, d’un Real Madrid chaotique terminant la saison avec trois défaites sur les cinq derniers matchs. Comme l’ailier brésilien quelques semaines plus tôt, le meneur de jeu de dix-neuf ans a ramené de l’exotisme et de la chaleur a une équipe trop froide grâce à des inspirations géniales par la passe ou par le dribble.
Sur un côté ou dans l’entrejeu, son profil technique (avec la balle) et agressif (sans la balle) semble parfaitement s’associer à la Liga, championnat dans lequel les états de grâce comme son but dès le début de la rencontre face à la Real Sociedad, pourraient hâtivement faire de lui plus qu’un phénomène et déclencher une mania. Vite que l’entracte se termine.
On aurait aimé que ça n’arrive pas : le licenciement de Pablo Machín (FC Séville)
En 2017, le Gérone de Pablo Machín avait été l’équipe frisson de Liga, notamment car elle était composée d’un groupe dont aucun nom ne se détachait réellement mais proposait pourtant un jeu enivrant. En 2018, le FC Séville de Pablo Machín était une jolie démonstration de l’adaptation express d’un collectif à l’identité et aux idées de son entraîneur mais une tempête de résultats intolérables pour les dirigeants du club (deux succès en neuf rencontres de Liga depuis le début de l’année civile, une 6èmeplace en championnat et une élimination en huitièmes de C3 contre le Slavia Prague lors des prolongations) est venue interrompre le projet ambitieux Machín-Séville.
Il prenait le visage charmant d’un 3-1-4-2 ultra-vertical avec des défenseurs relanceurs, trois milieux plus créateurs que récupérateurs (Ever Banega meneur de jeu devant la défense et le duo Sarabia-Franco Vázquez), des ailiers/latéraux offensifs avec Guilherme Arana et Jesús Navas, et enfin l’association Ben Yedder-André Silva en attaque. Alors que le FC Séville a explosé en première partie de saison, à partir de décembre le manque de finition dessinée aux traits de la disparition progressive d’André Silva et la capacité à ne pas prendre plus d’un point ont fini par régler la fin du projet, voyant l’objectif de la Ligue des champions s’éloigner.
La suite de la saison de Séville dans les mains de Joaquín Caparrós a été un bouleversement dans le jeu avec l’installation d’un 4-4-2 conservateur et un double pivot dans l’entrejeu mais pas au classement. Car cette philosophie n’a pas permis au club d’aller plus haut que la sixième place, surtout, ce fait marquant de la Liga, comme quelques semaines plus tard de l’autre côté de Séville, lorsque Quique Sétien se faisait siffler dans une période difficile pour son Betis avant que le projet des Verdiblancos soit conclu, met en évidence l’aura de la loi de l’enjeu sur les projets de jeu offensifs et protagonistes, elle qui semble atténuée sur les projets conservateurs.