Sombres et fébriles toute la première partie de saison, les deux équipes ont effectué un retour aux sources en décembre 2018. D’un côté, l’Athletic Bilbao, en position de premier relégable à la 18e place limogeait Eduardo Berizzo au lendemain d’une nouvelle défaite 3-0 contre Levante et nommait à sa place Gaizka Garitano, technicien de la réserve. De l’autre côté, la Real Sociedad, 15e de la Liga renvoyait Asier Garitano en place depuis l’été, remplacé par Imanol Alguacil, entraîneur de l’équipe réserve, qui avait déjà pris le contrôle de l’équipe première pendant les derniers mois de la saison passée.
Éclatantes et fortes quatre mois plus tard, les équipes sont respectivement neuvièmes et dixièmes à moins de dix points de l’Europe. Surtout, les deux entraîneurs, arrivés pour relancer des clubs dont les résultats catastrophiques reflétaient la médiocrité du fond de jeu, sont à l’origine d’un changement drastique. Depuis décembre, leurs dynamiques au classement réverbèrent l’implantation d’idées. Des idées ambivalentes.
Athletic Bilbao, l’importance des surfaces
« La défense dicte ses lois à la guerre. » Le dicton est de Carl von Clausewitz, auteur prussien du traité de stratégie militaire ‘De la guerre’, dans lequel Gaizka Garitano se retrouve certainement plus qu’Imanol Alguacil. Car les deux entraîneurs ont des approches opposées, liées aux caractéristiques de leur arrière-garde. Depuis son arrivée à l’Athletic, le plan de Garitano est de profiter du rendement de ses joueurs qui occupent deux zones pourtant éloignées : les surfaces.
Le campement ? Un dispositif en 4-4-2 très travaillé, où chaque phase défensive offre la même disposition : un bloc médian, des lignes resserrées, la relance adverse chassée sur les côtés par l’agressivité au pressing de Williams et Raúl García. L’enjeu tactique est la protection de son but par l’ordre collectif et de réduire les chances de progression du rival. En acceptant de diviser la possession du ballon (49,5% en moyenne) et d’être une équipe extrêmement réactive, Garitano a trouvé une voie fructueuse.
Avec lui, l’Athletic n’a perdu que deux fois en quatorze rencontres de championnat. Et après une victoire contre Séville (2-0), le Betis (1-0), ses hommes ont fait tomber l’Atlético Madrid (2-0). Des résultats qui récompensent les intentions du technicien : renforcer les caractéristiques athlétiques de ses défenseurs dans des zones restreintes et du duo Raúl García- Aduriz dans les airs.
Au fond, et la formation à Bilbao de Gaizka Garitano en est le symbole, l’Athletic déploie un style de jeu familier aux Rojiblancos : une défense solide, une prise de risque minimisée et une attaque verticale par les côtés où les initiatives de centres se multiplient en direction d’un grand n°9. Dans ce contexte, la présence aérienne de Raúl García et d’Aduriz dans la surface adverse, favorisée par de longs ballons, est productive : en 4 matchs, Aritz a marqué quatre fois, le double de son total de septembre à décembre.
Mais sa blessure en janvier qui s’ajoute à celle de Raúl García en fin décembre pousse Gaizka Garitano à modifier ses intentions. La façon de défendre reste la même qu’à ses débuts quand son organisation en phase défensive mettait en valeur la solidité de sa dernière ligne. Mais depuis, la différence est offensive : un jeu direct qui profite des capacités d’iñaki Williams dans les grands espaces.
« Gagner commence par la défense, disait-il en conférence de presse après son premier match face à Girona. À part un écart de Nuñez, nous n’avons rien concédé facilement à notre adversaire. Je suis heureux parce que nous n’avons pas rompu en défense, même si nous avons laissé des trous. Nous n’avons pas perdu notre plan. Lorsque vous ne gagnez pas, vous perdez confiance. Nous avons gagné trois points importants et ce résultat donnera la confiance de l’équipe. Elle n’a pas gagné depuis des mois et je suis très heureux pour les joueurs, ils ont travaillé dur pour cela. »
Derrière, la charnière centrale Iñigo Martínez-Yeray est ultra-dominatrice. Après Eibar (27,1) et Leganes (24,1), l’Athletic (24) est l’équipe de Liga qui remporte le plus de duels aériens par match. Au sol, la qualité de placement des deux centraux permet à leur équipe d’être la troisième à intercepter le plus de ballon (2,2 par match pour Iñigo et 2,3 pour Yeray). Avec eux et un Iago Herrerín en grande forme dans les buts depuis décembre, l’équipe n’a encaissé que 8 buts lors des 14 dernières rencontres. Même la bande à Ernesto Valverde qui a déjà inscrit 73 buts bien que fiévreuse à la création, n’a pas réussi à désorganiser l’équipe de Garitano.
Cette approche idéale (pensée collective, domination physique et discipline) dans la moitié basse du camp permet à l’Athletic de contrôler le jeu sans avoir le ballon, maxime de Mourinho. Puis, une fois en sa possession et relancé proprement grâce à la qualité des deux centraux avec la balle, de se montrer dangereux dans l’autre surface par les capacités de ses joueurs offensifs : les projections de Yuri, les mouvements d’Ibai Gómez entre l’aile droite et le centre, les leçons d’utilisation du ballon de Muniain et la vitesse d’Iñaki Williams.
En totale liberté devant le double pivot Beñat et Dani García, Muniain est le maître de la gestion d’attaque. Sur attaque placée, il crée des déséquilibres et accélère le jeu en combinant avec ses coéquipiers. En transition offensive, il est l’intermédiaire rapide qui lance la Pantera Negra (panthère noire) Iñaki Williams. En clair, Iker Muniain nettoie et active les chemins qui mènent au but adverse. Sur l’aile droite, habitué à apporter sa vitesse et sa technique sur l’aile droite dans un 4-4-2 pragmatique (l’Alaves d’Abelardo), l’Espagnol Ibai Gómez est rapidement devenu incontournable depuis son arrivée cet hiver à Bilbao. Par ses qualités de débordements et de passes en mouvement comme à l’arrêt, son retour dans son club formateur frappe comme une destinée pour Garitano.
Avec le rapide et costaud Iñaki Williams, lequel se balade un peu partout dans la moitié adverse, l’Athletic Bilbao tient un n°9 qui peut offrir tout ce que souhaite une équipe qui récupère bas et veut punir une équipe désordonnée défensivement : un soutien entre les lignes rivales et l’ouverture de couloir de passe par des courses dans le dos des centraux ou des latéraux. Mais si la défense basque, de plus en plus incommode, « dicte ses lois », son attaque n’a encore rien d’effrayante et s’entraîne petit à petit à rugir.
Real Sociedad, l’importance des circuits
Un peu plus à l’Est, la Real Sociedad d’Imanol Alguacil se veut à l’inverse des intentions de l’Athletic Bilbao. À travers le ballon, elle se présente comme protagoniste du jeu. En s’installant plus haut sur le terrain – car ses centraux sont fébriles dans leur surface – et en redoublant les passes, elle veut imposer son propre rythme. De cette manière, l’équipe txuri-urdin protège son but en attaquant celui de l’adversaire.
« Je sais pourquoi je suis ici, affirme Alguacil à son arrivée. Tout d’abord, pour ma façon de travailler et, deuxièmement, pour le travail accompli par les joueurs de la Sanse (la Real Sociedad B) au cours des trois dernières années. Cela doit être notre objectif avec la première équipe, de nous rapprocher de ce que nous avons accompli avec la réserve au cours de ces dernières saisons. Ça va être compliqué parce que dans l’équipe première, les résultats priment beaucoup mais j’arrive avec l’idée de donner à l’équipe une identité unique et que les supporters soient fiers de leur équipe. On va le faire petit à petit. » Pari ?
Dans les paroles, la réflexion d’Imanol Alguacil, incohérente au début de saison, est audacieuse, capable d’affirmer avant sa première étape contre le Real Madrid : « C’est un énorme stade, une grande équipe, Il n’y a sûrement pas de meilleur scénario pour commencer. Et on y va comme on le fait à chaque fois qu’on va sur un terrain, pour remporter les trois points. » La victoire 0-2 des Basques au Bernabeu, amorce d’une fuite en avant au classement et d’une série de 10 matchs sans défaite (stoppée début mars) est un bon condensé d’une philosophie expansive.
Le premier trait d’identité de cette Real Sociedad est lié à sa sortie du ballon. Elle se comporte différemment selon que le jeu démarre à gauche ou à droite. Mais d’abord, elle initie le jeu à partir de sa surface et le secteur à proximité. Avec Imanol Alguacil, même Geronimo Rulli le gardien argentin profite des émotions qu’une relance réussie provoque. Comme un enfant qui ressent le plaisir de la découverte d’un nouveau jeu. Devant lui, les centraux progressent essentiellement grâce au pivot qui libère des espaces afin de permettre la relance ou qui redescend les aider à ressortir la balle. C’est ensuite que La Real essaie d’être aussi large que profonde en activant des circuits de passes vers les côtés. À droite, sa démarche avec Joseba Zaldúa est plus lente que son côté gauche avec Theo Hernández, plus directe.
À gauche, Theo contrôle le foyer de la profondeur à partir de ses projections balle au pied. Quand le latéral de la Real Sociedad est en possession du ballon, les mouvements de Zurutuza sont automatiques : si Theo Hernández prend de l’altitude, le milieu espagnol prend la position de pivot, à côté d’Illarramendi (jusqu’à sa blessure, début février) pour blinder l’axe en cas de perte. Accélération et rupture.
À droite, secteur où sont implantés le latéral Zaldúa, les milieux Mikel Oyarzabal ou Januzaj et où Mikel Merino s’incruste en sortant de l’axe pour occuper la zone du côté, c’est le foyer des phases de toque. Cette connexion entre trois joueurs techniques, beaucoup plus que de l’autre côté, permet à la fois à la Real Sociedad de sortir d’un pressing adverse, mais surtout de trouver des joueurs plus haut. Possession et déséquilibre.
D’ailleurs, l’essence de la philosophie se nomme Mikel Merino, lumineux relayeur de 22 ans de la Real Sociedad. Entre l’axe et le côté droit, l’ancien d’Osasuna (1er de seconde division), du Borussia Dortmund et de Newcastle élabore les offensives de La Real. Et guide les attaquants.
Le tableau s’enrichit à l’apparition constante d’Oyarzabal et Januzaj, les joueurs qui provoquent des déséquilibres dans le dernier tiers du terrain. C’est l’histoire de deux pieds gauche merveilleux. Le premier, espagnol, le fait par ses dernières passes et en finissant lui-même les actions. Le second, belge, le fait en accélérant les actions et par ses dribbles. Les deux sont un chemin fondamental dans le circuit txuri-urdin pour provoquer des incertitudes et générer des espaces, sur jeu de position ou transition offensive.
Au bout d’une circulation de balle dynamique, Willian José fait tout. Et fait tout bien. Dans une Liga où les attaquants ont une immense valeur pour leurs équipes, où Raúl de Tomás porte le Rayo Vallecano, Jaime Mata et Jorge Molina pour Getafe, Morales pour Levante et où Loren Morón accroit les fragilités offensives du Betis, Willian José permet à l’équipe d’avancer, de se déplacer, de combiner et toujours de finir de la meilleure façon. Avec Januzaj très fin techniquement, le joyau Oyazarbal et Willian José, qui utilise le corps comme personne, l’équipe d’Imanol Alguacil a une triple menace offensive.
Plus néerlandaise (« Si nous avons le ballon, les autres ne peuvent pas marquer ») que prussienne, la Real Sociedad de l’entraîneur basque a amélioré radicalement son rendement offensif avec en moyenne 1,36 but par match, contre 0,88 au début de saison. Moins réfractaire que Johan Cruyff dans l’application de son idée d’éloigner au maximum la balle de ses cages, le derby du 2 février contre l’Athletic Bilbao l’a montré, Imanol Alguacil a construit une équipe qui donne une grande importance à sa sortie de balle et la domination de l’espace dans le camp rival. À philosophies opposées, les deux coachs basques ont de nouveau érigé le brevet « appellation d’origine » sur leurs clubs respectifs. De quoi éclaircir le poids des identités dans un football de moins en moins linéaire.