Pour le quotidien sportif argentin Olé, Ángel Cappa a échangé vendredi sur le champion du monde, le jeu de l’Argentine au Mondial, les entraineurs Guardiola, Mourinho, Simeone, Menotti et son fameux Huracán : « Avec le VAR, nous aurions été champions ». Traduction.
Olé : À la suite de chaque Mondial, il y a la volonté de copier le modèle de jeu de l’équipe championne. Pensez-vous qu’il va se passer un changement de paradigme avec la France et son style de jeu de contre-attaque ?
Ángel Cappa : Premièrement, il y a toujours la volonté de copier celui qui gagne. Il y a des gens pour qui rien d’autre que la victoire n’est intéressant car ils pensent que celui qui gagne, c’est celui qui est bon, c’est tout. Il faudrait discuter de ce qu’est le succès parce que selon moi, ce n’est pas seulement gagner. En ce qui concerne la France, elle a eu certaines vertus et de très bons joueurs, mais je ne crois que personne ne veut jouer en contre-attaque. Celui qui joue de cette manière, c’est parce qu’il ne sait pas jouer d’une autre manière. Si je cède le ballon à l’adversaire, cela signifie que je vais courir derrière lui et je ne crois pas que cela plaise aux joueurs.
Mais cela ne peut pas arriver qu’un entraîneur utilise cette stratégie car il se sent inférieur à l’adversaire ?
Á.C. : Bien sûr que si. Une fois, j’ai demandé à Cruyff pour quelle raison il n’existait pas beaucoup plus entraîneurs proches de son idée de jeu et il m’a répondu : « Facile, parce qu’il faut le savoir ». Jouer de cette manière, en attendant derrière, lutter, courir, attendre une perte de balle, c’est plus facile. Ce qui est difficile, c’est l’autre. Et pour cela, il faut connaitre le jeu. La France a joué ainsi parce qu’elle se regroupait bien en défense et avait les joueurs pour jouer en contre-attaque. Mais imiter celui qui a gagné, c’est une erreur grave parce qu’il faut voir ce que moi je possède dans mon équipe. Si celui qui a gagné jouait avec deux ailiers et moi je n’en ai pas, comment je l’imite ? C’est une stupidité mais c’est une tendance habituelle.
Dans le football argentin, il y a souvent des critiques envers les entraîneurs qui tentent de sortir la balle en jouant au sol, justement avec l’argument qu’ils n’ont pas les joueurs capables de cela. Il y a l’idée qu’il n’est pas possible d’imiter le Barcelone de Guardiola sans ses joueurs.
Á.C. : Aux détracteurs de ce style, je ne leur dis rien parce que chacun a le droit de penser comme il veut. Pour moi, pour jouer de cette façon, il faut le savoir et beaucoup ne savent pas comment faire. Beaucoup en sont praticiens mais pour moi, il n’y a pas plus de brassage d’air que de dire « il faut gagner peu importe la manière ». Une fois, je l’ai demandé à une équipe que j’entraînais. Je leursai dit : « Les gars, aujourd’hui, il faut gagner peu importe la manière. Quelqu’un sait ce que cela signifie ? ». Celui qui dit que la chose la plus importante c’est de gagner, ne fait que porter atteinte au jeu et aussi à lui-même. Si j’étais menuisier, j’aimerais réaliser une table de la meilleure manière possible. Si je dis « je la fais comme ça, ils vont tous me l’acheter parce que de toute façon le plus important c’est de vendre », je me manque de respect à moi-même.
Pourquoi beaucoup de gens préfèrent que le défenseur dégage la balle devant ? Y a-t-il une grande crainte de l’erreur ou estime-t-on que sortir la balle au sol se fait pour une question d’esthétisme ?
Á.C. : L’erreur fait partie du jeu. Ceux qui jouent à ne pas jouer commettent également des erreurs, comme tout le monde. Si j’ai 50.000 pesos pour aller au casino et que j’ai peur de les perdre, il vaut mieux pour moi que je n’y aille pas, puisque les perdre est l’une des possibilités. Relancer au sol n’est pas une question d’esthétisme, mais une nécessité du jeu. Le football se joue avec la balle et j’ai besoin de l’avoir pour bien l’utiliser et générer des situations de but. Mais c’est sûr que l’avoir juste pour l’avoir, ne sert pas.
Ce qui définit l’intention de l’entraîneur, c’est son intérêt pour le ballon ? Certaines personnes disent que la possession ne les importe pas.
Á.C. : Le premier amour d’une personne qui joue au football, c’est le ballon. Quand quelqu’un dit qu’il se sent confortable sans lui, je ne comprends pas. C’est comme si un nageur disait qu’il se sent confortable sans eau ou le joueur de tennis sans raquette.
Ne pensez-vous pas que cela fait 30 ans que la discussion sur l’importance de gagner se répète ?
Á.C. : Et oui. Le discours de ceux qui disent qu’il faut gagner me semble quelque chose de tellement évident. C’est comme si je disais que pour vivre, il faut respirer. Je sais déjà que je joue pour gagner ! Mais aussi, je joue pour jouer. Eduardo Galeano disait qu’on joue pour jouer et que le triomphe est une récompense. Un mec qui est tombé malade de jeux de cartes va au casino et on lui dit : « écoutez, vous ne pouvez pas rentrer. Prenez 1.000.000 de peso et partez ». Ce type va aller jouer ailleurs, il ne va pas rentrer chez lui. Il veut gagner, bien évidemment, mais il veut jouer ! Les deux choses sont interdépendantes. Bien sûr qu’il faut gagner, bien évidemment. Mais dire cela est une stupidité qui frôle l’inouï. Nous gagnons tous et nous perdons tous. Mais je m’identifie et j’ai un sentiment d’appartenance au jeu.
Dans une interview, vous avez déclaré que Mourinho est un entraîneur qui méprise le jeu. Vous n’avez pas l’impression que votre déclaration conteste quelqu’un qui a une idée distincte de la vôtre ?
Á.C. : Mépriser, c’est ne pas être reconnaissant, ne pas prendre en compte. Je sais qu’il y a une autre signification culturelle du mot « mépriser » qui est de porter atteinte. Mais il ne s’agissait pas de cela. Ce que je voulais dire c’est qu’il ne prend pas en compte le jeu, il s’en moque. Mourinho s’amuse à ne pas jouer. Et il gagne et perd comme tout le monde. Il joue de cette manière avec des joueurs de plus de 100.000.000 dollars chacun. Mais ce n’est pas ça qui suffit à la faire fonctionner, même contre l’équipe du coin. Si demain, il doit jouer contre l’équipe des employés du supermarché d’en face, il va jouer de la même façon. Or, personne dans le football n’a la garantie de gagner. Le problème, c’est que les supporters veulent des gagnants. Un jour, on a fait la remarque « Trapattoni est un vainqueur » à Sacchi. Qu’est-ce qu’il a dit ? « Oui, quand il la touche (la balle, ndlr)… »
Simeone se trouve dans le même sentier que Mourinho ?
Á.C. : Oui. Ce n’est pas moi qui les place. Ce sont eux qui le disent. Ces messages de « gagner peu importe la façon », « rien d’autre que la victoire ne m’importe », « celui qui gagnea raison », sont plus nuisibles que le propre jeu de l’équipe.
Dans les années 1980, au cœur du football argentin, était généralement effectuée une distinction entre les entraîneurs travailleurs et paresseux, vainqueurs et lyriques. En revanche, Guardiola divise les vaillants et les peureux. Et vous, quelle division faites-vous ?
Á.C. : Il y a beaucoup de divisions. Ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Ceux qui comprennent le jeu et ceux à qui il n’importe pas de comprendre le jeu. Pour bien jouer, il faut travailler deux fois plus parce que le jeu exige une participation mentale importante du footballeur. Il exige que le footballeur pense. Or, un bon entraîneur aide le joueur à prendre des décisions correctes, il l’entraîne pour qu’il soit capable de prendre les meilleures décisions sur le terrain. Des autres entraîneurs, il se dit qu’ils travaillent beaucoup car ils tirent 58 corners de chaque côté à l’entrainement. Cela me semble être une stupidité parce que tu travailles avec tes remplaçants et pas avec ton adversaire du dimanche. Oui, il faut travailler le jeu arrêté, mais il ne faut pas exagérer. À Universitario (Pérou), mon équipe marquait 50% de ses buts sur phase arrêtée. Vous savez pourquoi ? Parce que j’avais de bons tireurs et de bons buteurs de la tête. À Huracán (Argentine) en 2009, nous marquions aussi beaucoup de buts par ce biais. Et combien de temps travaillions nous cela ? Une demi-heure par semaine.
Vous ne croyez pas aux automatismes dans le football ?
Á.C. : Si. L’automatisme c’est même pour vivre au quotidien. Tu sors de ta maison, tu t’assois dans ta voiture, et tu ne penses pas à ce que tu fais, naturellement tu débraye doucement et tu passes la première. Une équipe a un fonctionnement, elle s’améliore en pratiquant et en jouant. Pour cela, un processus d’au moins un an est nécessaire, parce que c’est ainsi que des automatismes vont se créer entre des joueurs distincts par connaissance. Je sais qu’à lui je ne lui donne pas en profondeur car il l’aime avoir recevoir la balle dans les pieds, un autre aime que je lui fasse la passe d’une autre façon. Ce sont des complicités qui se créent en jouant.
Qu’est-ce que vous pensez des GPS, des listes de statistiques avec données des joueurs … ?
Á.C. : Tout peut être une aide, mais l’analyse doit se faire à partir du jeu, pas de données. Aujourd’hui, ils essayent de tout convertir en nombre. Par exemple, ils traitent les kilomètres parcourus par chaque joueur. Selon une étude que j’ai lue, 80% de ce parcours se fait en marchant. Alors que cette donnée des kilomètres parcourus donne la sensation d’un effort, ce n’est en réalité qu’un mensonge. Ils me disent : « Yntel a réalisé 20 passes et en a réussi 18 ». Mais à qui ? Dans quelle zone du terrain ? Si je suis le latéral et que je fais 40 passes au défenseur central, il est très probable que je n’en rate aucune s’il est à 5 mètres. En Espagne, ils se sont rendus à l’idiotie d’informer la vitesse maximum et la vitesse moyenne de chaque joueur. Or c’est quelque chose qui n’a aucun sens. La distance et la vitesse qu’un joueur cours est secondaire. Je ne sais pas s’il court vers l’avant, vers l’arrière, si cela a été productif…. Je crois qu’ils font ça pour vendre des programmes aux entraîneurs, qui les achètent pour être qualifiés de modernes et ne pas rester comme des vieux.
Également, face à la parité existante dans le football, beaucoup de matchs se définissent selon des petits détails.
Á-C : Comme toujours. Pour moi, Guardiola est de loin, le meilleur entraineur du monde, le plus respectueux, avec la plus grande conviction… même si je ne veux pas dire que tout ce qu’il fait est bien car il s’est aussi trompé. Et lui, bien entendu, travaille aussi les détails et a gagné beaucoup de matchs ainsi.
Qu’est-ce que vous avez pensé de l’Argentine au Mondial ?
Á.C. : J’ai vu une sélection totalement désorientée, du début à la fin. Si nous faisons mal jouer le meilleur joueur du monde, cela veut tout dire. Il est très difficile d’y parvenir…
C’est sûr pour le supporter d’Huracán, mais pas forcément pour le neutre…. On continue de vous parler de cette fameuse équipe de 2009 ?
Á.C. : Oui bien sûr. Pour moi, ce n’était pas « l’Huracán de Cappa » comme il était appelé. C’était l’Huracán de Huracán, puisque notre plus grand mérite a été d’être fidèle au style historique du club. C’est le club où j’ai le plus apprécié entraîner. À Universitario, nous avons fini champion avec une équipe que j’ai entraînée seulement deux mois et ce que mes joueurs ont fait m’est gravé pour toujours. Mon Racing (Argentine) de 1998 jouait très bien. Mais cet Huracán était exactement comme je rêvais que soit une équipe de football. Elle jouait totalement comme je voulais qu’une équipe que je dirige, joue. Si seulement comme joueur j’avais pu jouer dans une équipe comme celle-ci. Depuis le banc, j’étais tout autant heureux que les gens dans les tribunes. Parce que le football, si ce n’est pas une émotion, ce n’est rien.
La polémique finale contre Vélez, continue-t-elle de vous faire mal ? (En 2009, l’Huracán d’Ángel Cappa a un un ppo,t d’avance au classement sur Vélez Sarsfield avant l’affrontement des deux équipes pour le dernier match de la saison. 0-0 à 6 minutes de la fin du match, Joaquín Larrivey – attaquant de Vélez formé à Huracán – est lancé face au but, et commet un attentat sur Gastón Monzón, gardien d’Huracán. L’arbitre ne siffle pas, Maximiliano Moralez, attaquant de Vélez récupère la balle après le rebond, marque le but du match et du championnat.)
Á.C. : C’est la colère qu’il te reste parce que perdre est une chose. Tu as perdu, ça te fait mal, mais c’est terminé et ça passe. C’est une autre chose, de te faire voler. Et ils ont volé tous le Parque Patricios (le quartier de Buenos Aires où Huracán se situe) ! C’est très dur et difficile à accepter. Je voyais l’amour de tout le peuple… Ils ont mis en place le fonctionnement le plus sale et corrompu pour retirer à tous ces gens ce qu’ils méritaient.
Imaginez si dans cette finale le VAR aurait existé …
Á.C. : J’y ai pensé. Avec le VAR, on aurait été champions… Lorsque je me suis informé de l’existence du VAR, cela ne m’a pas plu. Jusqu’à ce je me rappelle de cette finale. Et là j’ai changé d’opinion parce que c’est un outil correcteur de ce type d’injustices. Ce serait un très grand obstacle pour la corruption qui existe dans le football argentin parce qu’il faudrait corrompre les types du VAR et là cela serait un plus grand scandale.
Si cet Huracán a été l’équipe qui a le mieux exprimé votre idée footballistique, quelle équipe serait l’antithèse ?
Á.C. : Gimnasia (Argentine). Pendant 11, 12 matchs, j’étais dans un climat d’urgence et d’hystérie. J’ai senti que le temps manquait. À l’Atlante (Méxique), par exemple, je n’ai pas obtenu de bons résultats et j’ai dû m’en aller mais cela été différent puisque l’équipe ne jouait pas mal.
Et à River Plate ? Votre campagne s’est inscrite au sein de la période qui a mené le club à la relégation.
Á.C. : Ceux auxquels je ne plais pas disent des choses pour me blesser mais ils savent que ce sont des mensonges. Durant les quelques matchs qui ont construit mon étape à River, j’ai obtenu le meilleur pourcentage de points. (en réalité deuxième après Juan Jose López mais devant Leonardo Astrada, Néstor Gorosito et Diego Simeone). Donc il faut les laisser parler. Pour moi, c’était une fierté immense d’avoir été entraîneur de River et j’ai la conscience tranquille d’avoir toujours voulu respecter ce que River signifie footbalistiquement.
Vous voyez une porte de sortie pour le football argentin ?
Á.C. : Dans la mesure où il n’y a pas de projet qui commence par décrire ce que signifie le football pour tous les Argentins, et à partir de là, de travail dans la sélection et dans les clubs, on flottera dans le hasard. Nous pouvons gagner, nous pouvons perdre. Ce que je sais c’est que, tant qu’il n’y aura pas un projet sérieux pour trouver notre style, cela sera difficile. Une idée pour aider consisterait en ce qu’un footballeur doit jouer au moins deux ans en Argentine avant de partir. Mais, cela heurte la liberté de travail. Il faudrait donc trouver une variante parce que ce problème ne favorise pas notre football.
Vous pensez que Menotti doit avoir un rôle dans ces réformes ?
Á.C. :Naturellement. Ne pas compter sur Menotti au sein de l’organisation du football argentin est quelque chose d’impardonnable. Qu’il en soit loin, en train de prendre un café avec ses amis, me semble un gaspillage scandaleux. Pour moi, César est l’un des entraîneurs les plus importants de l’histoire contemporaine du football mondial, et la figure la plus importante de l’histoire du football argentin.