Au nord-est de l’Espagne se trouve un coin tranquille, une ville d’un peu moins de 100.000 habitants, où le drapeau catalan flotte fièrement au-dessus de l’Onyar, célèbre rivière de Catalogne. Si Gérone (Girona) est bien connue des touristes enclins aux douceurs du pourtour méditerranéen, cette ville jouit désormais d’un tout autre écho médiatique : le Girona FC est monté en Liga cette saison. Après deux échecs consécutifs contre Saragosse et Osasuna le club catalan créé en 1930, il y a 87 ans, va connaitre pour la première fois de son histoire les joies d’affronter les cadors de Liga. Si la montée des petits poucets tend à ravir les fans de football et à nourrir d’inexorables fantasmes, à l’instar du ô combien célèbre Leicester, cette promotion de Gérone en Liga laisse un goût amer. Le club qui a accédé à l’élite n’est plus le même que celui qui a disputé la première journée de Liga contre les Colchoneros de Griezmann : son statut a changé, difficile de parler réellement de petit poucet.
Gérone : 1930- 2017
Si jusqu’à présent la prise de contrôle de clubs par des fonds souverains ou des capitaux étrangers était monnaie courante, le rachat d’un club de football par un autre club l’était beaucoup moins, jusqu’à cet été du moins. Les clubs de football se comportent désormais comme de grandes entreprises. Souvent raillés pour leur gestion financière et business related, certains sont désormais à la pointe en termes de levier financier : introduction en bourse, augmentation de capital, émission obligataire… et maintenant M&A. Soit le rachat d’une entreprise par une autre, les fusions et acquisitions, ou OPA. Comme le 23 août dernier, Girona FC et Manchester City ont conclu un accord de rachat : le Girona Futbol Club est désormais la propriété de la holding City Football Group détenue par le cheikh Mansour bin Zayed Al-Nahyan, membre de la famille royale d’Abou Dhabi. En gros ? Manchester City a racheté Gérone.
Vraiment une marginalité ?
Ce phénomène n’est pas nouveau, Gérone va devenir une filiale parmi d’autres de Manchester City aux côtés d’un club uruguayen, japonais, de MLS (New York City) ou encore de Melbourne City. Le rachat de Gérone pourrait rappeler en un sens la mainmise de l’entreprise Red Bull sur Leipzig et Salzbourg. Red Bull a investi massivement dans le football dans les années 2000 en rachetant en premier le SV Austria Salzburg en 2005 puis en créant de toute pièce un nouveau club allemand : le Red Bull Leipzig en 2009. Une ineptie. Mais dans ce cas précis il s’agit d’un corporate (Red Bull) qui a décidé d’investir dans le football à une époque et non pas un club rachetant un autre : ce qui en fait un événement tout particulier; Comme si QSI décidait de racheter le PFC ou le Red Star, ou même l’OM…Un autre exemple bien connu des fans de football est celui du partenariat financier entre Chelsea et le Vitesse Arnhem. Accusés de fausser le championnat néerlandais, les Blues et son partenaire ont subi plusieurs attaques ces dernières années. Une enquête a même été menée pour tenter de démontrer la trop grande influence du club londonien sur son homologue néerlandais suite aux déclarations de l’ancien propriétaire du Vitesse, Merab Jordania, dénonçant l’omnipotence de Chelsea dans la vie du club. La conclusion de l’enquête ? Les Blues n’ont pas d’influence sur la politique du club néerlandais. Difficile à croire alors que Chelsea a l’habitude d’envoyer une poignée de ses jeunes pousses se faire les dents aux Pays-Bas. Promu pour la première fois de son histoire en Liga, Gérone se verra aussi prêter des joueurs de City, un procédé qui avait même déjà commencé bien avant l’officialisation du rachat. Mais à quel prix ?
Devenir une filiale pour survivre ?
Deux journées de Liga se sont jouées et deux fois le stade Montilivi a vibré : un match nul contre l’ogre Atlético de Madrid et une victoire, la première de son histoire en Liga, contre Malaga. Pour l’instant Gérone se classe 6e du championnat, sûrement pour le plus grand plaisir des supporters. À l’orée d’une saison historique pour la petite ville de Catalogne le mariage entre City et Gérone a été officialisé lors d’un match amical : une manière pour City d’étrenner son nouveau jouet. Rahem Sterling titulaire lors de cette rencontre de la démesure, acheté 70 M€, représente 10 fois le budget de Gérone la saison dernière. Gérone marque, Gérone gagne : le stade explose. Ce « partenariat » avec City est-il le début du Spanish Dream ? Certains veulent y croire. Pragmatisme oblige, il est souvent difficile pour une filiale de se démarquer de la maison mère, d’être indépendante. Gérone est propriété de City et ses détracteurs seront là pour lui rappeler que ses futurs succès ont été achetés, à tort ou à raison. Le Gérone City FC, diront-ils. Désormais au stade les pubs locales ont laissé place à des promotions pour acheter des goodies de City ou même se rendre à Manchester, des annonces pour se rendre à Abu Dhabi… Le maillot extérieur de Gérone ? Il rappelle étrangement celui de City avec son dégradé de bleu.
Concernant le rectangle vert, Gérone se fera prêter des jeunes joueurs prometteurs et ainsi pourra envisager plus sereinement son maintien dans l’élite. Sans conséquence aucune ? Sa formation en pâtira. Dur doit être le réveil des pensionnaires du centre de formation catalan dont les rêves de fouler la pelouse de leur club s’éloignent… À court terme cette stratégie va permettre, peut-être, de stabiliser l’équipe en Liga. À long terme le club va mourir à eptit feu. D’aucuns s’accorderont que la formation incarne l’âme d’un club, avec ses joueurs dits du crû, ses joueurs nourris et bercés aux exploits de Gérone et de son stade. Dans une région comme la Catalogne où l’empreinte culturelle et identitaire atteint son paroxysme, il est difficile de concevoir qu’un club, et implicitement qu’un pays du Golfe, puisse prendre le contrôle du club de football local.
L’obscur arrangement
Plus que le rachat même du club, le stratagème pour y parvenir interpelle. Le protagoniste principal de ce rachat se nomme Guardiola. Pere Guardiola. Alors qu’en 2015 Gérone croulait sous les dettes, le club a été racheté par une entité appelée Media Base Sport. À sa tête deux associés et propriétaires : Jaume Roures et Pere Guardiola, le frère de Pep… Gérone, un choix dû au hasard ? Tandis que le rachat n’était pas encore officiel, City commençait déjà à envoyer des joueurs en prêt pour tenter de forcer l’accession de Gérone en première division. Auparavant City « investissait » dans des clubs exotiques pour générer de nouveaux revenus, et voilà que le choix se porte sur Gérone. Pep est influent à City et son frère, agent par ailleurs, a indirectement la mainmise sur Gérone. Alors que City s’assure de voir Pep rester entraîneur, le clan Guardiola tisse sa toile. Tout le monde est gagnant.
Gérone : l’échec d’un football populaire et solidaire
Le président de Gérone Delfi Geli porte sa ville au plus profond de son cœur : il y est né, a été joueur et entraîneur chez les jeunes au club. L’accuser de bafouer l’histoire de son club, son identité et la culture catalane serait mentir. À l’instar des clubs espagnols Gérone croule sous les dettes, de quoi mettre en danger l’institution : ce partenariat avec City permet au club de survivre. Delfi Geli avait-il le choix ? Probablement pas. Delfi Geli est victime d’un mal bien plus profond.
Il est victime d’un monde du football qui laisse faire. Un monde du football au son de cloche de Thomas Hobbes. Marche ou crève. Le football n’aurait-il de collectif que le nom ? Non-assistance à personne en danger est le motto de clubs cupides : plus soucieux de leur nombre d’abonnés sur Twitter et beaucoup moins des personnes vivant du ballon rond.
Parfois d’obscur arrangement comme celui de Gérone et City permettent de sauver un club, il est vrai. Cet épisode met pourtant en exergue le gouffre existant entre des clubs richissimes à n’en plus finir et d’autres plus modestes : presque impassibles, impuissants devant un sport qui devient de l’entertainment. La différence majeure entre la valorisation d’un club de football et d’une entreprise industrielle repose sur son actif incorporel. L’actif incorporel d’un club de foot englobe les couleurs du club, la forme du blason, les chants des supporters, la joie qu’un but procure, la haine ressentie lors d’une défaite, l’impatience du prochain match, l’atmosphère régnant autour du stade.
Hier, on disait que la passion ne s’achetait pas. Jadis même.