22 internationaux dont Nedvěd, Nesta, Verón, Salas, Inzaghi, Mancini entre autres… Non, nous ne parlons pas de la Juventus ou de l’AC Milan. C’est l’épopée des Biancocelesti partis à la conquête de l’Italie et de l’Europe entière durant la saison 1999-2000 que nous allons vous retracer. La quête est simple : ramener le titre de champion qui leur échappe depuis 1974 dans ce qui est considéré à l’époque comme le championnat le plus difficile du monde. L’Inter, l’AC Milan, la Juve, Parme font aussi partie des prétendants. Le président Sergio Cragnotti n’a que faire des autres : il fait confiance à Sven-Göran Eriksson pour gérer cet effectif de stars et garnir l’armoire à trophées du club. La Grinta se penche sur le football pratiqué par la bande à Nesta…Inoubliable !
Composition et animation
Les attaquants au coeur du projet de jeu
Sven-Göran Eriksson a les idées claires à l’aube de cette saison. Le Suédois sait qu’il dispose de nombreux attaquants d’exceptions qu’il doit mettre dans les meilleures dispositions au sein de son 4-4-2 fétiche. Quelques noms : Marcelo Salas, Simone Inzaghi, Mancini, Boksic, Fabrizio Ravanelli. Tous ces joueurs se disputent deux places. Autant dire de suite que les titulaires (Salas, Inzaghi en général) sont secondés par des remplaçants effrayants pour l’adversaire. Grand volume de course, intelligence de jeu, adresse affolante devant le but, sont quelques-unes des qualités partagées par ces buteurs. Mais comment mettre ces attaquants dans les meilleures dispositions ?
Rappelons que le contexte footballistique du Calcio à cette époque est propice à la construction d’un projet focalisé sur les buteurs. En effet, vous constaterez peut-être que les années 2010, marquées par les victoires espagnoles en Coupe du monde et à l’Euro représentent l’apogée de la domination technico-tactique du milieu de terrain polyvalent (Xavi, Iniesta en étendard). Tant et si bien, qu’il est à la mode d’aligner le plus possible de joueurs dans l’entrejeu à l’image d’un Vicente Del Bosque, d’un Joachim Löw, ou d’un Guardiola époque Barça. La qualité de ces générations est si élevée que ces milieux savent aussi bien finir une action que défendre chez l’adversaire, courir des kilomètres et perdre peu de ballons….
Toutefois, le contexte est vraiment différent dans les années 1990-2000. Nous sommes alors dans une époque où les buteurs extraordinaires fourmillent en Europe dans tous les top clubs (Ronaldo, Vieri, Del Piero, Henry, Trezeguet, Bergkamp, Yorke, Cole, Shevchenko, Weah, Inzaghi pour en citer quelques-uns…) et affrontent des défenseurs qui ont aussi érigé l’art de défendre, l’art du duel à un niveau dont on ne sait pas s’il sera de nouveau atteint (petite liste non-exhaustive pour se faire plaisir : Maldini, Costacurta, Nesta, Desailly, Stam, Campbell, Ferrara, Zanetti, Hierro …). Le Calcio est une métaphore parfaite de ce paradigme footballistique européen. C’est l’intensité de la confrontation entre la dernière ligne offensive et la dernière ligne défensive qui est la clé de voûte de quasiment tout l’univers tactique de l’époque.
C’est dans ce contexte que la Lazio construit son effectif. Sven-Göran Eriksson possède d’innombrables cartouches pour affaiblir les dernières lignes adverses grâce à ses attaquants de classe mondiale. Comment s’y prend-il ? Notons que le coach suédois s’est fait connaître en Europe grâce à ses exploits avec l’IFK Goteborg (champion d’Europe 1982 avant n’importe quel club français, signalons-le au passage) ou avec Benfica vice-champion d’Europe 1990. Ses principes de jeu paraissent relativement simples et s’appuient sur un mental collectif très solide. Il ne s’écarte pas de ses principes avec la Lazio.
Le jeu long par-dessus représente un axe fort de la construction des actions laziale. Aidé par la formidable qualité de relance de Nesta et Mihajlovic, le coach leur demande dès que possible d’envoyer le ballon dans les airs sur l’attaquant afin de disputer le duel et de pouvoir combiner le plus vite possible à la retombée du ballon. L’idée est qu’en deux ou trois passes, un joueur offensif puisse se retrouver en position de frappe.
Le jeu long des Laziali se fait aussi bien dans les pieds (ou sur la tête) que dans la profondeur. Les attaquants savent parfaitement attaquer les espaces entre le latéral et le défenseur central. Ils apprécient le fait de se désaxer par un appel en oblique vers un couloir pour gagner de la liberté et créer une combinaison. Ces séquences peuvent se répéter grâce au jeu long exceptionnel de la défense et notamment de la charnière centrale. Dans le premier contrôle, la lecture de jeu et le dosage de leurs passes, Mihajlovic et Nesta excellent tellement qu’ils pourraient même retourner l’esprit du plus grand pourfendeur de la relance directe.
Par ailleurs, l’équipe romaine dispose aussi d’atouts exceptionnels pour jouer au sol et construire une attaque depuis le milieu de terrain. Pavel Nedved et Juan Sebastián Verón sont emblématiques à cet égard. Ils savent parfaitement utiliser les intervalles, se placer dans le dos des milieux de terrain pour placer sur un premier contrôle ou une passe, une banderille foudroyante.
En effet, la Lazio incarne parfaitement ce principe cher à Arrigo Sacchi selon lequel une grande équipe commence dans un système donné mais s’anime sur le terrain très différemment de celui-ci afin de tromper l’adversaire et l’observateur non avisé. Le 4-4-2 à plat initial se transforme aisément en 4-2-2-2 ou en 4-3-1-2 dans les faits. C’est ainsi que Nedvěd et Verón qui commencent théoriquement sur les côtés viennent occuper l’axe très fréquemment derrière les milieux défensifs adverses.
D’autre part, dans la continuité de sa philosophie le coach suédois, très exigeant avec ses attaquants, leur demande de venir fréquemment se proposer en décrochage pour perturber la défense adverse et faire avancer l’ensemble du bloc.
Lorsqu’un attaquant propose une solution en remise, il y a toujours un autre joueur biancoceleste qui revient se placer entre les défenseurs centraux, ce qui permet de les fixer continuellement. De plus, les joueurs de la Lazio brillent dans l’utilisation de l’espace et la création d’incertitudes. Par l’alternance entre appels profonds sur les côtés et jeu en combinaison dans l’axe, ils rendent leur football très difficile à lire pour la défense adverse qui n’a plus qu’à s’arracher les cheveux devant tant d’ingéniosité et de malice.
En outre, il est fréquent que les défenseurs latéraux viennent s’insérer dans les offensives romaines. Effectivement, que ce soit Giuseppe Pancaro, Favalli ou Negro, ceux-ci n’hésitent pas à dédoubler ou à rentrer dans l’axe. Cela permet de renforcer les possibilités de passes, de créer toujours plus d’incertitudes, voire même qu’ils se mettent directement dans une très bonne posture pour frapper au but.
D’ailleurs, la frappe lointaine, à plus de 20 mètres, se révèle comme un axe de finition déterminant dans le projet de jeu laziale. Nous avons déjà évoqué la précision des passes longues de Nesta ou Mihajlovic. Mais, c’est sans compter sur le niveau stratosphérique des frappes de Verón, Boksic, Inzaghi, Stanković ou Pancaro. Presque tout l’effectif représente une menace pour l’adversaire dès que l’un d’entre eux se retrouve en position de frappe. Essayez d’imaginer le calvaire des gardiens de la Lazio sur tous les échauffements et les entraînements en « spécifique frappes » qu’ils ont subi…
De surcroît, la grande quantité de centres des joueurs romains sublime l’intelligence spatiale et la facilité dans la finition de tous les buteurs du club. Durant cette saison 1999-2000 la répartition des buteurs est assez significative de la qualité générale du groupe : 21 buts pour Simone Inzaghi, 15 buts pour Salas, 8 buts pour Verón, 7 pour Mihajlovic, 5 pour Nedvěd etc. Les coups de pied arrêtés offensifs sont dans le même sillage. Notons cette observation très originale au haut niveau : c’est le défenseur central Mihajlovic qui tire presque tous les coups-francs et surtout qui va frapper les corners des deux côtés. Les compilations You-Tube ne retranscriront jamais assez bien les frissons qu’ont connus les supporters romains à chaque fois que Sinisa Mihajlovic posait le ballon aux alentours de la surface adverse.
En résumé, la philosophie de jeu de la Lazio à cette époque est assez simple : l’idée est de jouer le moins possible dans son propre camp mais d’amener le ballon rapidement et systématiquement dans le camp adverse pour attaquer. Par contraste, c’est une vision qui s’oppose diamétralement à celle du Guardiola d’aujourd’hui. Sauf cas exceptionnel, celui-ci aime construire une ouverture depuis l’arrière, avec des passes dans son camp si nécessaire pour déstabiliser l’adversaire. Sven-Göran Eriksson veut toucher le plus directement possible ses attaquants puis combiner en deux ou trois passes dans le camp adverse avant d’enclencher la finition. Cette vision technico-tactique a parfaitement fonctionné cette saison puisque la Lazio termine deuxième meilleure attaque de son championnat avec 64 buts marqués (1 de moins que l’AC Milan). Cependant dans un championnat réputé à l’époque pour son âpreté défensive, aucune équipe ne peut aller loin sans une solide défense. Eriksson en est pleinement conscient.
Le mur laziale
L’adage selon lequel aucune équipe ne peut remporter un titre sans une défense solide et collective est une nouvelle fois respecté dans cette saison 1999-2000. Avec 33 buts encaissés soit le deuxième meilleur total du championnat, la Lazio a su poser des problèmes insolubles à bon nombre de ses adversaires.
Avec un milieu de terrain composé de joueurs comme Stanković, Almeyda, Simeone, Lombardo, Sergio Conçeiçao, l’effectif dispose d’un QI football très élevé (presque tous ces joueurs sont actuellement entraîneurs !) associé à une culture du travail défensif et du dépassement de soi très importante. Dans ce cadre, Eriksson demande à ses joueurs de constituer presque une « muraille » dès que l’adversaire pénètre leur camp afin de les empêcher d’approcher la surface. Son 4-4-2 s’anime donc de plusieurs manières pour verrouiller leur zone défensive.
Dans un premier temps, la Lazio aime se disposer en bloc médian-bas, sous la forme d’un 4-5-1. Chaque joueur occupe une zone précise du terrain dans le but d’empêcher la progression adverse, empêcher surtout les passes dans l’axe entre les lignes qui peuvent amener le déséquilibre.
Dans l’animation défensive, Matías Almeyda est un joueur décisif pour Sven-Göran Eriksson. Titulaire presque indéboulonnable, il est celui qui doit protéger ses défenseurs centraux en se positionnant légèrement plus proche d’eux quand le contexte l’exige notamment en phase de repli dans les 30 derniers mètres. L’animation prend alors une forme de 4-1-4-1 extrêmement efficace face à l’adversaire.
Néanmoins, avec des joueurs si intelligents tactiquement tels que Diego Simeone, le coach peut construire des plans défensifs variés pour s’adapter selon le match, l’adversaire, et le résultat en cours. C’est ainsi que son 4-5-1 plutôt rationnel dans l’occupation de l’espace peut se transformer en 4-4-2 ultra compact côté ballon. L’idée est alors de créer des supériorités numériques dès que le ballon est proche d’une ligne en laissant à l’abandon le côté opposé. La Lazio d’Eriksson est peut-être ce qui se fait de mieux dans la variété des animations défensives à partir d’un système en 4-4-2.
Loin d’être un adepte du pressing tout-terrain, l’entraîneur suédois n’hésite pas à le réclamer malgré tout à des moments précis. Ces phases semblent parfaitement travaillées à l’entraînement. Ce sont des séquences de 5-10 minutes maximum, durant lesquelles les deux attaquants se mettent très légèrement en quinconce pour aller chercher les défenseurs centraux adverses. Pendant ce temps, les milieux de terrain excentrés remontent sur les latéraux et tout le bloc accompagne l’action défensive. Il n’y a que sur ces phases de jeu très courtes que l’on peut voir la Lazio jouer le hors-jeu.
Précisons que si l’équipe romaine a choisi d’évoluer en bloc bas la plupart du temps, ce n’est pas tant un signe d’infériorité face à l’adversaire, mais un choix tactique pour exploiter une des qualités fortes de son groupe : la construction d’un contre foudroyant. En cas de récupération basse, les joueurs de la Lazio ont réussi leur objectif : aspirer une grande partie de l’équipe adverse dans leur camp. Connaissant la qualité des attaquants restés aux avants postes, une seule passe après la récupération du cuir peut semer la panique dans le camp adverse. Les attaquants romains cherchent la plupart du temps à se désaxer pour contrôler le ballon et pouvoir se retourner dans la foulée. L’idée ensuite est de provoquer l’adversaire pour trouver une faute, ou de combiner avec un adversaire qui arrive lancé depuis les lignes arrières pour conclure l’action sur un centre ou une frappe de loin alors que la défense ennemie n’est pas positionnée. Ainsi, sans révolutionner le monde du football par des idées innovantes, l’équipe laziale a parfaitement intégré les principes de jeu de leur coach. Cette compréhension mutuelle rapide, alliée à la qualité individuelle de chacun des joueurs et à leur professionnalisme les a vite rendu injouable pour la majorité des équipes de la Botte.
La légende oubliée : Matías Almeyda
Matías Jesus Almeyda est l’un des joueurs clés du projet de la Lazio à la fin des années 1990. Malgré une très grande carrière de joueur et une carrière d’entraîneur aux débuts prometteurs, il est tout au long de son parcours mis en concurrence avec son camarade argentin Diego Simeone. Cette exposition parallèle lui a peut-être fait défaut. Formé à River Plate, il arrive en Europe par le biais de l’Espagne, en signant en 1996 au FC Séville. Après trois années convaincantes en Espagne il change de dimension en rejoignant la Lazio et le projet ultra ambitieux de Sergio Cragnotti. C’est probablement l’apogée de sa carrière de joueur.
Sous les couleurs biancoceleste, il s’impose vite comme un leader sur le terrain et en dehors. Au sein d’un effectif aux fortes connotations argentines (Verón, Simeone, Sensini puis plus tard Crespo) il est le leader tactique d’une équipe extrêmement travailleuse et généreuse défensivement. Infatigable, capable d’avaler les kilomètres, il utilise à merveille une science du placement qu’il a pu aiguiser grâce aux séances d’entraînement très exigeantes du Calcio. Mais son jeu n’est pas uniquement porté sur la destruction. Il dispose d’une qualité de pied remarquable, qui lui permet d’orienter le jeu de son équipe et de donner le tempo. Il est parfait dans le plan de jeu principal d’Eriksson qui vise à jouer en bloc médian-bas pour mieux transpercer les lignes à la récupération en une ou deux passes.
Son départ de la Lazio en 2000 signifie pour lui le début d’un déclin sportif. Malgré une bonne saison à Parme en 2001, un départ pour l’Inter Milan en 2002 et une participation à la Coupe du monde en Corée, son temps de jeu global diminue en club et en sélection où Diego Simeone le dépossède peu à peu de sa place. Il termine sa carrière à River Plate, puis se lance dans le coaching quelques années plus tard. A la tête des Chivas Guadalajara depuis 2015, ouvertement marqué par la philosophie de Bielsa, qu’il a côtoyé en sélection entre 1998 et 2002, il s’est imposé comme l’un des meilleurs entraîneurs au Mexique. Avant un retour en Europe ?
Conclusion
Nous sommes au printemps de l’année 2000 et l’heure est au bilan. Sergio Cragnotti convoque Sven-Göran Eriksson dans son bureau : les objectifs du début de saison sont atteints. Vainqueur du championnat d’Italie à la dernière journée en passant juste devant la Juventus de Zidane, la Lazio s’empare aussi de la Coupe d’Italie. Par ce doublé, l’Italie est conquise, il faut maintenant remporter la plus prestigieuse des compétitions européennes. Malgré une victoire en Supercoupe d’Europe contre Manchester United le 27 août 1999, l’appétit du président n’est pas assouvi. Surtout que l’élimination en quart de finale de Ligue des champions contre Valence au cours d’un match aller dantesque est dure à digérer. Ce n’est donc que partie remise pour le président qui compte bien renforcer encore son effectif l’année suivante dans cette optique (Crespo, Claudio Lopez, Poborsky). Cependant, la Lazio n’égalera jamais l’avalanche de titres de cette saison 1999-2000 légendaire, durant laquelle Sir Alex Ferguson n’hésitera pas à affirmer que la Lazio était pour lui la meilleure équipe du monde.
Bilan
Les grandes forces :
- Un effectif d’une qualité incroyable à tous les postes avec 22 joueurs pouvant pleinement prétendre à une place de titulaire.
- Un plan de jeu qui correspond parfaitement à la philosophie de la majorité des joueurs de l’effectif.
- Un milieu de terrain très complémentaire réunissant qualités techniques, QI football, force physique et générosité dans l’effort.
- Un mental à toute épreuve pour résister à toutes les difficultés et aller chercher le titre à la dernière journée.
- Une efficacité diabolique devant le but.
- Des défenseurs centraux extrêmement forts dans le un contre un à l’image d’un Nesta auteur d’une saison remarquable.
- Une qualité exceptionnelle sur coups de pied arrêtés grâce notamment au pied magique de Mihajlovic.
- Des joueurs très forts dans le jeu de tête offensif et défensif.
- Un gardien, peu spectaculaire mais très efficace.
Les quelques faiblesses :
- Le gardien n’est quasiment jamais utilisé pour relancer court de derrière.
- Les défenseurs latéraux manquent de vélocité et de vitesse. Ils peuvent être en difficulté face à des joueurs lancés s’il n’y a de compensations de partenaires.
- Difficulté à redoubler les passes dans l’axe, dans leur camp face à la pression adverse. Almeyda, Simeone n’expriment pas le meilleur d’eux-mêmes dans ce registre.
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