L’Ajax d’Amsterdam est aux portes du dernier carré d’Europa League. L’Ajax est aussi au coude-à-coude en championnat dans lequel il n’a plus perdu depuis le 11 décembre dernier. En fait, l’Ajax d’Amsterdam n’a perdu qu’un match sur les vingt derniers toutes compétitions confondues depuis janvier. Mais tout cela, ça ne suffit pas pour les dirigeants néerlandais, et le coach Peter Bosz, le sait. En terre ajacide, il faut gagner en faisant rêver les supporters, les observateurs, afin de pérenniser les valeurs et l’idée forte qu’esthétisme et efficacité peuvent s’assembler. C’est ce projet, construit sans stars, où la jeunesse est un étendard, que nous allons décrypter. Et autant vous le dire tout de suite, le pari est réussi.
Composition et animation
Une phase d’attaque à couper le souffle
Pour construire un jeu léché, un jeu où la prise d’initiative face à l’adversaire est une valeur forte, il faut d’emblée regarder l’état d’esprit et les actions de l’ensemble de la défense. Si les défenseurs centraux et le gardien sont capables d’utiliser le ballon autrement que pour une relance longue à la va-vite ou une relance latérale, alors un univers ébouriffant de possibilités peut s’ouvrir pour déstabiliser l’adversaire.
Dans ce cadre, Onana le gardien ajacide, passe beaucoup de temps hors de sa surface de réparation, se préparant à un éventuel jeu en triangle avec ses défenseurs centraux, si la situation l’exige. Le risque est assumé, car il sait que son entraîneur est totalement en accord avec cette idée du football qu’il répand lui-même à chaque séance d’entraînement. L’accord est possible entre le joueur, l’entraîneur et cette idée du football car la condition sine qua non pour porter ce principe est remplie : de l’attaquant au gardien, tous possèdent une technique individuelle de très haut-niveau permettant un jeu ambitieux.
Sanchez et Viergever, les défenseurs centraux jouent un rôle-clé dans la préparation d’une attaque placée. Ces derniers et surtout Davinson Sanchez le jeune Colombien n’hésitent pas à relancer verticalement. Si le marquage adverse est très serré au milieu, ne libérant pas de possibilité de passe, Sanchez multiplie les tentatives directement sur l’attaquant Traoré ou Dolberg se présentant en appui.
Avec un taux de 89% de passes réussies, il est aisé de parler de qualité de relance pour l’espoir colombien surtout lorsque celles-ci ne se limitent pas à des passes à deux mètres. Cependant, Onana connaît aussi les qualités dans le jeu aérien de Bertrand Traoré. Si besoin, il ne s’interdit pas d’allonger directement sur lui. La variété dans les options, et ce dès la première relance, voilà ce qui fait la force des équipes dominantes.
Même sans un numéro 10 à l’ancienne de très haut-niveau pour distribuer le jeu, il est possible d’avoir l’emprise dans la construction sur un adversaire très agressif dans son marquage. Disposer d’un attaquant à l’aise techniquement dos au jeu, avoir des joueurs proches les uns des autres pour poursuivre l’action peut suffire à construire des cheminements brillants.
L’Ajax d’Amsterdam ne se prive pas de nous présenter une véritable démonstration dans ce domaine. La première option est simple : Traoré ou un autre joueur, contrôle le ballon dos au jeu s’oriente vers le côté opposé, pour trouver un joueur directement lancé dans la profondeur. La deuxième option est plus rare côté Ajax mais potentiellement tout aussi efficace : Traoré ou Dolberg demandent le ballon par un décrochage tandis qu’un partenaire utilise l’espace derrière lui pour plonger dans le dos en sachant que le troisième homme aura toute la lucidité pour le servir directement.
C’est néanmoins la troisième option que l’on retrouve le plus souvent dans le football proposé par Peter Bosz. La relance verticale d’un défenseur est la première pierre pour bâtir une combinaison en triangle sur les côtés à gauche ou à droite.
Comme l’atteste l’image, cette verticalité dans la première relance est cruciale. Elle est rendue possible par la volonté des défenseurs centraux de ne pas libérer le ballon tout de suite si un espace se présente face à eux. L’idée est d’abord d’aller fixer son adversaire pour le forcer à faire un choix. C’est la « conduccíon ». D’autre part, il faut aussi que les milieux centraux n’hésitent pas dézoner côté pour libérer une ligne de passe dans l’axe.
Ces principes sont extrêmement répandus dans les équipes de Cruyff. Naturellement, c’est une philosophie qui a beaucoup touché le technicien néerlandais comme il l’explique dans So Foot en mars 2015 lorsque Bosz évoque ses influences : « Je le suivais avec assiduité lorsqu’il était encore joueur et quand il est devenu coach, il parvenait toujours à mêler résultats et spectacle. D’ailleurs, Guardiola a également été influencé par Cruyff. » Notons que Guardiola propose exactement le même type de schéma avec Manchester City, demandant à Stones et Otamendi de trouver tant que possible Aguero entre les lignes. Florent Toniutti, dans « Les chroniques tactiques » l’a très bien décrypté.
Soulignons aussi l’importance des défenseurs latéraux. ils participent énormément aux actions offensives en proposant ces fameux triangles ou des dédoublements. Par exemple, lorsque Justin Kluivert est face au jeu, son latéral Veltman sait par avance que sa qualité de dribble obligera l’adversaire à initier une prise à deux. Si deux joueurs sont face à Kluivert, Veltman peut profiter de cette liberté pour arriver lancé. Ce schéma est identique côté gauche.
L’Ajax aime aussi attirer les équipes adverses sur les côtés pour mieux les piéger dans l’axe. Leur qualité technique permet une circulation latérale du ballon. De plus, il est très difficile de récupérer le cuir même dans un espace réduit, car les joueurs de l’équipe néerlandaise ne paniquent jamais balle au pied et arrivent souvent à trouver par ce biais le trou de souris qui déstabilise l’adversaire. Avec près de 500 passes par match et 58% de possession, l’Ajax se situe clairement dans le haut du panier européen dans ce secteur. Le bloc adverse peut alors se fatiguer dans ces efforts inutiles à la recherche d’un ballon qui se dérobe, puis se disloquer. La qualité de déplacement des Ajacides notamment Klaassen et Ziyech se suffit ensuite à elle-même pour porter l’estocade fatale.
En phase de finition, l’Ajax tire énormément au but hors ou au sein de la surface de réparation adverse. C’est un axe fondamental de la philosophie de Peter Bosz, déjà lorsqu’il entraînait le Vitesse Arnhem. Cependant, comme il l’explique lui-même toujours dans So Foot, il est vain d’isoler cette phase de jeu du reste de son travail : « Mais tirer au but, ça n’est que la finalité d’une bonne possession de balle ! »
Ajoutons aussi que la qualité des ailiers de l’Ajax explique beaucoup cette grande quantité de frappes par match. En effet, Younes et Kluivert sont des faux-pieds (voire ambidextre pour le second) qui rentrent aisément intérieur pour frapper. De plus, leur qualité de dribble, leur vivacité fait énormément de dégâts à l’approche de la surface adverse (ils obtiennent d’ailleurs de très nombreuses fautes). En s’appuyant sur ces qualités, en ne s’arrêtant jamais de dribbler, les joueurs offensifs peuvent soit, se créer eux-mêmes des possibilités, soit attirer des défenseurs et libérer des partenaires se retrouvant alors dans la position idéale pour tirer. Kluivert et Younes en sont particulièrement conscients. Ils mettent leurs coéquipiers notamment Schone, Klaassen ou Ziyech dans les meilleures dispositions pour qu’ils expriment leur qualité de frappe.
Pour frapper au but plus souvent que les autres, il faut essayer de récupérer le ballon plus haut que la moyenne pour démultiplier les possibilités. C’est pourquoi les principes défensifs sont tout aussi importants que les idées offensives dans l’esprit du tacticien néerlandais. Avant de les détailler, terminons par cet extrait vidéo qui résume à lui seul, toute les principes collectifs développés par l’Ajax, qui mis les uns à côtés des autres, forment une sublime harmonie collective :
Lovely build-up play, reminiscent of days gone by pic.twitter.com/b6TARZNUfq
— Mohamed Moallim (@iammoallim) 17 mars 2017
Une tradition défensive respectée
Jeunesse ne rime pas forcément avec nonchalance ou indiscipline. Ce groupe composé en grande majorité de joueurs extrêmement jeunes (Sanchez 20 ans, Van de Beek 19 ans, Kluivert 17 ans, Dolberg 18 ans, Traoré 21 ans…) présente une grande discipline à la perte de balle. En Coupe d’Europe, l’adversité est bien plus grande que dans le championnat local. Ils doivent décupler leur attention face à la qualité technique adverse notamment dans la relance. C’est pourquoi ils évoluent généralement en bloc médian très resserré dans l’axe.
Klaassen redescend fréquemment au niveau de Schone (ou Van de Beek son remplaçant) afin d’empêcher un éventuel surnombre adverse dans sa zone. En resserrant l’axe de la sorte, l’Ajax pousse l’adversaire à écarter sur les côtés. Si c’est le choix effectué par l’adversaire, alors les Néerlandais coulissent le plus vite possible côté ballon, pour récupérer le cuir dans les pieds de l’adversaire. Effectivement, l’une des traditions historiques de l’Ajax est d’éviter au maximum de « dégager » ou « d’éloigner le danger ». L’idée est de prendre le cuir directement dans les pieds pour l’utiliser dans la foulée alors que l’opposant est désorganisé.
C’est pourquoi les défenseurs sont eux-mêmes très véloces pour surgir devant l’adversaire surtout si ces derniers sont dos au jeu. Cette vélocité alliée à une grande intelligence de jeu permet à Peter Bosz de transmettre une autre idée défensive qui lui tient particulièrement à cœur et qu’il nomme « le doordekken » : « Si un adversaire retourne dans sa moitié de terrain, le dernier défenseur de mon équipe ne doit pas avoir peur lui aussi de rentrer dans la moitié de terrain de l’adversaire ». L’harmonie collective permet ensuite de compenser ce dézonage d’un joueur notamment par le milieu le plus reculé.
Cependant, ce positionnement médian n’est qu’un intermède placé entre des phases de pressing très agressives, des phases presque constantes en championnat, mais plus ciblées dans le temps pendant la Coupe d’Europe. Dans ce cadre la ligne défensive accompagne les mouvements des coéquipiers et n’hésite pas à jouer le hors jeu en cas de long ballon.
Lorsque ce pressing haut est bien réalisé, il permet aux joueurs bataves de multiplier les situations de transitions. Parangon du football moderne, aucun technicien de haut niveau ne peut réussir sans travailler spécifiquement ces situations. Cela tombe bien, Peter Bosz excelle dans ce domaine, que ce soit il y a quelques saisons avec le Vitesse Arnhem ou aujourd’hui avec les joueurs de la capitale. Les principes sont restés les mêmes : « Lorsque nous perdons la balle, nous avons mis en place la règle des cinq secondes. Chaque joueur doit faire en sorte d’avoir récupéré la balle dans les cinq secondes qui suivent sa perte en pressant immédiatement l’adversaire. Parce qu’un adversaire qui récupère la balle n’est jamais en bonne position pour attaquer, les joueurs sont souvent regroupés autour du ballon. Nous essayons donc de tirer profit de ça pour récupérer la balle rapidement. C’est un concept mis en place par Guardiola à Barcelone. Il avait sa règle des trois secondes. Bon, on n’est pas Barcelone, donc j’ai décidé de donner à mes joueurs deux secondes de plus » .
Cette philosophie très agressive couplée à la verticalité du jeu ajacide et aux courses virevoltantes des joueurs de couloir fait d’énormes dégâts. L’idée est de trouver Younes ou Kluivert le plus vite possible face au jeu, pour ensuite aller provoquer l’adversaire en 1 contre 1 et créer une situation de frappe, une faute dangereuse ou mieux un pénalty. Le premier but marqué contre Schalke est révélateur à cet égard.
Une génération brillante techniquement
Pour dominer son adversaire dans le jeu, il est nécessaire de s’appuyer sur des milieux de terrain solides physiquement et techniquement. Comment l’Ajax a-t-elle fait pour en recruter sur ce type de profil alors que leur puissance financière est désormais minime dans le concert européen ? C’est d’abord le résultat d’une politique de recrutement intelligente et cohérente.
Hakim Ziyech, actuel meilleur joueur du championnat néerlandais en est l’exemple parfait. Né aux Pays-Bas, il n’est formé ni au Feyenoord, ni au PSV ni à l’Ajax mais à l’école bien moins connue mais tout aussi talentueuse d’Heerenveen, puis de Twente. En une centaine de matchs sous les couleurs de ces deux clubs, il empile 47 buts. Joueur doté d’un caractère fort, au point que certains le disaient perdu pour le football à ses débuts, beaucoup de grands clubs semblent vouloir s’attacher ses services (AS Roma, Dortmund, Leicester, Celtic…). Notons une nouvelle fois, que parmi cette longue liste, aucun club français n’y figure… D’autant plus qu’il y avait de la place pour tenter le coup car des clubs huppés sont rebutés par sa personnalité complexe. Au final, c’est l’institution Ajax qui rafle la mise pour le plus grand bonheur de ses supporters : Ziyech a déjà marqué 7 buts et donné 11 passes décisives rien qu’en championnat.
Son profil est intéressant pour toutes les équipes souhaitant dominer dans le jeu leur adversaire : disponible aux quatre coins du terrain, il sait distiller des passes de qualité dans toutes les conditions. Doté d’un gros volume de jeu et d’une très belle frappe, il n’est également pas le dernier quand il s’agit de provoquer son adversaire. Hakim Ziyech, c’est le profil de la « garce » comme on ne fait plus beaucoup dans le football aseptisé d’aujourd’hui.
À côté d’une politique de recrutement intelligente qui a permis d’acheter des joueurs en devenir tels que Younes ou Dolberg, il y a un travail toujours aussi efficace et pérenne sur la formation interne. Les joueurs tels que Davy Klaassen, De Ligt, Justin Kluivert, ou Donny Van de Beek sont des exemples marquants. Ces derniers connaissent l’exigence du haut-niveau. Ils sont dès leur plus jeune âge, habitués à ne cultiver que la victoire tant dans les catégories de jeunes que dans les sélections espoirs chez les Oranje. Il est d’ailleurs probable que les Pays-Bas se relèvent assez vite des heures sombres de sa sélection tant le vivier apparaît important.
Les axes de progrès
En ce moment que ce soit en Eredivisie ou en Europa League, cette équipe se révèle injouable tant sa dynamique est positive. Pourtant, elle présente des faiblesses qui ne sont pas anecdotiques. Nous avons souligné la qualité de la relance de l’Ajax notamment au niveau de la défense centrale. Cependant, on observe un léger déséquilibre entre la prise d’initiative de Sanchez et celle de son coéquipier Viergever. Celui-ci est plus discret et parfois plus fébrile dans ses choix. Par ailleurs, la relative jeunesse de ces deux joueurs (20 et 27 ans respectivement) peut laisser planer un doute lorsque la pression et les enjeux s’élèvent, en cas de finale de Coupe d’Europe par exemple.
De surcroît, au niveau défensif, il n’est pas rare de les voir multiplier les petites fautes ou les excès d’engagement. Face à une équipe disposant de tireurs de coups de pied arrêtés (tels Ibrahimovic ou Pogba à Manchester), ces erreurs peuvent coûter cher. Elles s’expliquent par une relative naïveté de l’effectif batave.
Les défenseurs latéraux dégagent un semblant de fragilité dans les un contre un. Même si le volume de course des milieux permet de multiplier les prises à deux aux abords de la surface de réparation, les joueurs de côtés sont souvent en difficulté lorsqu’ils défendent en reculant ou en « recule-frein ». À l’image de tout l’effectif les joueurs peuvent rencontrer des problèmes face à une équipe qui aime le duel, l’engagement physique tout en étant capable de produire un volume de courses similaires aux partenaires de Klaassen.
Enfin, le ratio occasions crées/buts marqués est profondément bancal. Les joueurs de l’Ajax doivent absolument progresser dans ce secteur s’ils veulent remporter un titre cette saison. Bertrand Traoré en est l’illustration parfaite. Capable de se créer d’innombrables occasions qu’elles soient d’origine individuelles ou collectives, il fait souvent preuve de maladresse dans le dernier geste. D’autant plus que Bosz n’a pas pléthore de solutions sur le banc. Kasper Dolberg, 18 ans, grand espoir du football danois, est l’alternative la plus importante, mais il semble encore un peu ménagé par le technicien néerlandais.
Conclusion
Dans ces temps parfois difficiles pour ce sport, l’Ajax nous réconcilie avec le football. Cette équipe est un régal à voir jouer. À aucun moment, les joueurs ne tentent de gérer un avantage acquis ou une situation prétendument favorable. Les Ajacides jouent pour mettre un maximum de buts à l’adversaire quitte à se brûler physiquement. Alors que ce club historique semblait ne pas pouvoir retrouver la lumière européenne, il est en passe d’écrire une nouvelle page de son histoire avec un titre national et européen à gagner. Pourtant son budget n’a pas explosé, des stars ne sont pas arrivées. Mais c’est d’abord l’histoire d’un travail de fond, sublimé par un coach talentueux ainsi qu’un processus où la tradition historique du club s’associe à merveille avec les exigences du haut niveau actuel. Assurément un modèle à suivre.
Bilan
- Une homogénéité technique incroyable de la défense à l’attaquant.
- Une équipe capable de produire un grand volume de courses, dans une harmonie collective saisissante.
- Une volonté de toujours dominer l’adversaire quel que soit le contexte
- Un entraîneur de très haut niveau, doté d’une personnalité hors norme
- Une charnière centrale joueuse, solide techniquement et dans le jeu aérien
- Tous les milieux de terrain disposent d’une vraie qualité de frappe.
- Des ailiers virevoltants bien secondés par leurs arrières latéraux
- Des attaquants encore trop maladroits devant le but
- Un banc de touche assez important quantitativement mais qui laisse des doutes qualitativement
- Fragilité apparente face à un défi physique éventuel
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Sources photos : worldfootball.net, google images.