Le retour du derby corse entre le Sporting Club de Bastia et le Gazélec d’Ajaccio – le premier de l’histoire en Ligue 1 – était coché sur notre calendrier depuis plusieurs mois. Si les relations entre les deux clubs sont meilleures qu’il fut un temps, il en va toujours de la suprématie insulaire. En particulier cette année où la course au maintien concerne les deux équipes. Entre vents violents, report de match, polémique sur fond de Marseillaise, le week-end a été agité à Furiani.
Notre escapade sur l’île de Beauté commence par un vendredi ensoleillé en décalage avec la météo du continent : 24° dans l’habitacle de la voiture. Un signe avant-coureur : la Corse cultive sa différence. Preuve en est, samedi jour initial de la rencontre prévue à 20 heures, des rafales de vent violent menacent le déroulement de la rencontre. Nous nous rendons tout de même à la billetterie d’Armand-Cesari sur les coups de 17 heures, bien que pessimistes. Après une dizaine de minutes d’incertitude sur place – les stores sont baissés – le report du match est confirmé. La partie sera remise au lendemain à 14 heures. Il faudra donc écourter (ou esquiver) les longs repas de famille dominicaux. D’ici là, nous trouvons refuge dans un bar à proximité.
Malgré l’interdiction de déplacements de supporters visiteurs en Ligue 1 suite aux attentats de Paris, une poignée de Gaziers sont installés à une table. Les Ajacciens, reconnaissables à leurs vestes GFCA, sirotent quelques bières entourés de quelques Bastiais en toute convivialité. Alors que nous discutions près du comptoir avec quelques anciens membres du groupe Bastia 1905, les Corses du Sud nous offrent une tournée. Ils ont entre la trentaine et la quarantaine, la carrure d’ouvriers en bâtiment. Les pauvres sont venus d’Ajaccio pour rien, puisqu’ils travaillaient le lendemain. Honneur à eux. En revanche, d’après les divers échos, une trentaine de membres de la Sezzione (groupe à tendance ultra du Gazélec) ont été invités à passer la soirée avec leurs homologues de Bastia 1905. Deux points communs les réunissent : la culture corse et une antipathie envers l’AC Ajaccio. Parait-il même qu’ils ont dormi à trente dans une maison aux alentours de Bastia.
Des débats houleux avant le match
Retour à Furiani le dimanche à l’heure du déjeuner donc. La météo est plus clémente. Malheureusement, même les plus acharnés du Sporting se rendent au stade « à reculons ». Pour faire court, la confiance est rompue entre dirigeants et supporters concernant la gestion du club. Armand-Cesari ne fera d’ailleurs pas le plein, chose inhabituelle pour un derby aussi important. Les Bastiais ont aussi été lassés après plusieurs jours de polémique sur la Marseillaise entonnée dans tous les stades de Ligue 1 suite aux événements de Paris. Les débats ont fait rage entre ceux qui souhaitaient l’entonner, ceux qui y voyaient le « symbole du colonialisme français », ceux qui entendaient la siffler ou la majorité qui souhaitaient la respecter sans la chanter. Hélas, la mairie de Bastia a même été taguée après une sortie de l’édile Gilles Simeoni (nationaliste modéré) en faveur du protocole imposé par la Ligue.
C’est une autre explication des débats houleux : Les Bastiais n’aiment pas se voir imposer des choses par la LFP. D’autant que pour certains, l’hymne corse aurait pu suffire. Cependant, un argument revient souvent au fil des discussions. « Ils n’ont pas à nous dire comment rendre hommage aux morts. Qu’ils respectent déjà les nôtres ! ». Une référence bien sûr au drame du 5 mai 1992, longtemps méprisé par les instances dirigeantes du foot français. Direction la Tribune Est, censée être la plus animée de Furiani. D’après les habitués, le nombre de stadiers présents à l’entrée est plus conséquent et la fouille plus soutenue qu’à l’accoutumée. Le responsable de la sécurité du club nous confirmera que ce dispositif résulte uniquement des attentats.
Le derby le plus « triste » de l’histoire
Nous sommes placés à gauche de Bastia 1905. En face, un contre-parcage – une première à Furiani ! – d’une cinquantaine de Gaziers se dresse juste à côté du parcage visiteurs vide. En d’autres circonstances, nous aurions incendié les décisionnaires. À souligner que le Sporting Club de Bastia a été exemplaire en laissant les visiteurs rentrer avec leur matériel. L’avenir donnera raison aux dirigeants bastiais, aucun incident ne sera à déplorer. Hélas ce qui devait être une fête ne l’est pas. Vient le moment de recueillement. Peut-être un couac dans l’organisation, la minute de silence s’éternise. 7-8 longues minutes où personne ne savait si l’on « pouvait » parler ou non. Les joueurs pénètrent sur la pelouse d’un Armand-Cesari silencieux avec un air de déjà-vu un 5 mai.
Moment de recueuillement avant Bastia-Ajaccio par SportingClubBastia
Puis la Marseillaise retentit. Pas excessivement fort certes, mais le public a la décence de ne pas la siffler et met de côté les différends historiques et politiques. Alors oui, rares sont ceux qui ont chanté et des membres de Bastia 1905 sont rentrés après la fin de l’hymne français. Après tout, ils sont dans leur bon droit, non ? Il est regrettable de constater en rentrant à l’hôtel que les Laurel et Hardy du PAF ont encore vomi leur bile sans souligner qu’il s’agissait pour sûr du plus bel hommage rendu ce week-end. Difficile de s’en rendre compte confortablement installés dans leurs studios, remarquez. Il fallait écouter les applaudissements nourris. Plus émouvant encore, l’hymne corse qui se prête particulièrement à ce genre de situations. Il fallait voir le magnifique tendu d’écharpes du stade entier pendant celui-ci. C’était à pleurer tellement c’était beau. L’hommage était également adressé à Dumè Albertini, éducateur du SCB décédé récemment. La photo de ce dernier et une banderole en corse « reposez en paix » ont été exhibées aux quatre tribunes. Des ballons blancs ont été lâchés dans le ciel, un bleu pour Dumè.
Victoire des Gaziers sur le terrain et en tribunes
Une fois l’émotion passée, la « macagna » (blague corse) reprend le dessus. « Châtaigne », personnage bien connu des tribunes bastiaises s’empresse de me montrer l’alerte de l’Equipe sur le portable d’un collègue. « La Marseillaise respectée à Furiani ». Ce chroniqueur de l’émission web de supporters « Minenfootu » se marre : « On n’est pas normaux ». Le match commence. De suite, la cinquantaine d’Ajacciens prend le dessus et se fait entendre. Quelques grands drapeaux sont agités côté Bastia 1905 qui met du temps à rentrer dans le match. Quasiment jusqu’au but de Brandao de la tête, à la 5e minute, parfaitement servi par Danic. 5 minutes plus tard côté GFCA, Martinez sort sur blessure pour Djokovic. Les inévitables railleries fusent : « Djokovic retourne jouer au tennis ! ». Le Sporting domine copieusement les débats. Mais en tribunes, ce sont plutôt les Corses du Sud qui étonnent.
« Ne te fie pas à ce que tu vois, c’est un derby inhabituel », tempère un des anciens de la tifoseria turchina. Contre le cours du jeu, le Gaz’ égalise sur un penalty de Zoua à la 19e. Furiani se crispe, comme si joueurs et supporters imaginaient déjà le pire. Le niveau technique des deux côtés est mauvais, guère rassurant dans l’optique du maintien. Peu importe pour les Gaziers qui sont galvanisés par la dynamique en cours de trois victoires consécutives. L’inévitable but qui crucifie Armand-Cesari survient à la 70e par une superbe volée de Khalid Boutaïb. « Ah vous l’avez voulue, la fratellanza (fraternité) ! Continuez, continuez ! », peste Châtaigne contre un public et des joueurs pas assez agressifs à son goût.
Así celebran los jugadores del Gazélec Ajaccio con su afición. ¡Viva el fútbol modesto! pic.twitter.com/urzd18AcNr
— Guillermo Bullón (@GuillermoBullon) 22 Novembre 2015
Le Gazélec s’impose 2-1 dans une ambiance assez étrange. Quelques timides « dirigeants démission » ont été entendus, « les premiers de la saison ». Et cette impression que Bastia a perdu face à son reflet, celui d’il y a quelques années. Face à Thierry Laurey dans le rôle de Frédéric Hantz, face au GFCA dans le rôle du promu de National à la Ligue 1. En résumé, l’inverse exact du SCB : un club à qui tout réussit.
Par Adrien Verrecchia à Furiani